« Le 3 janvier 2012 marquera le mille cinq centième anniversaire de la mort de sainte Geneviève, patronne de Paris. Pour tous les Parisiens, le nom de la sainte est associé à la Montagne où elle fut inhumée et où s’accrocha au long des siècles le rayonnant foyer de l’intelligence française. Le roi Louis XV venait de faire élever sur le sommet par Jacques-Germain Soufflot une basilique magnifique dédiée à sainte Geneviève quand la Révolution de 1789 profana l’édifice pour en faire le Panthéon et y loger ses encombrants « grands hommes »… Mais passons.
Cette sainte gallo-romaine, gauloise par sa mère et franque par son père, naquit à Nanterre entre 420 et 423. Encore enfant, vers 429, elle fut remarquée, pour sa grâce et sa beauté toute céleste, par saint Germain, évêque d’Auxerre, passant, accompagné de saint Loup, évêque de Troyes, par Nanterre pour aller combattre en Bretagne l’hérésie pélagienne.
Le prélat lui suspendit alors au cou une monnaie marquée d’une croix, signe de sa promesse de consécration virginale.
Peu après, la mort de ses parents l’obligea à quitter Nanterre pour s’installer à Lutèce, d’abord chez sa marraine, ensuite à la tête d’une communauté. Répartissant en aumônes l’argent des vastes domaines hérités de ses parents, se nourrissant elle-même de fèves et de pains d’orge, accomplissant des miracles extraordinaires, notamment des guérisons d’aveugles et de paralytiques, elle ne s’attira pas que des louanges de la part de la population : pour comprendre cette mystique plaçant toute son espérance en Dieu seul, les païens étaient trop matérialistes et les chrétiens trop découragés par la situation de leur ville dans une Gaule livrée aux invasions wisigothes…
Le sort de Lutèce était en effet précaire au sein de la dernière enclave restée romaine et dirigée par le patrice Ætius, chef de la milice romaine. Et voilà qu’on apprit en 451 que le terrible Attila, roi des Huns, dit le « fléau de Dieu », apparaissait en Gaule à la tête de 500 000 féroces guerriers. Le 7 avril, il avait passé la population de Metz au fil de l’épée. À Lutèce les hommes parlaient de fuir ; seule Geneviève, vingt-huit ans, affirmait qu’il fallait résister. Elle parvint à convaincre quelques femmes qui acceptèrent de prier, de jeûner et de se refuser à leurs couards de maris s’ils ne résistaient pas. Ce que femme veut…
Toujours est-il qu’Attila, n’ayant pu prendre Troyes fermement défendue par son évêque saint Loup, fonça non sur Lutèce mais sur Orléans où il se heurta à la résistance de saint Aignan, autre prélat intrépide. Il faut dire qu’Ætius, ancien otage d’honneur chez les Huns, avait été élevé avec Attila et connaissait à fond les pratiques des enfants des steppes ; Attila, quant à lui, se croyant destiné à s’emparer de l’empire romain, n’ignorait rien de l’éducation gréco-latine.
L’affrontement revêtait dès lors une valeur symbolique. Il eut lieu quinze jours plus tard, près de Troyes aux champs Catalauniques ; Attila fut vaincu mais non écrasé. Geneviève avait contribué à la victoire des champs Catalauniques en forçant le peuple gaulois à déjouer la panique. La paix restait quand même bien aléatoire. Dès 476, le fantoche empereur Romulus Augustule allait être déposé par Odoacre, roi des Hérules, allié aux Huns, qui renverrait les insignes impériaux à Zénon, empereur romain d’Orient. Un barbare entrant dans Rome ! Tout un monde s’effondrait… Geneviève ne perdit pas pour autant l’espérance : Rome devait revivre sous le signe de la Croix !
Les évêques de Gaule, ne pouvant plus compter sur l’ordre romain pour sauver la civilisation, commençaient à fonder quelques espoirs sur les rois des Francs, descendants de Mérovée : certes encore païens et quelque peu cruels, au moins ne s’étaient-ils pas laissés gagner comme les autres envahisseurs, Wisigoths et Burgondes, par cette religion au rabais qu’était l’arianisme.
Si Childéric, grand admirateur de la civilisation romaine, ou son fils Clovis né en 466, parvenaient, comme ils en étaient de taille, à réunifier la Gaule en s’appuyant sur son principal élément d’unité depuis saint Martin, le christianisme, pourrait alors naître un royaume chrétien prenant le relais de l’empire romain d’Occident ! Geneviève allait participer à la réalisation de ce grand dessein.
Sainte Geneviève ravitaille les Parisiens
Elle jouissait de l’immense estime de Childéric. À la mort de celui-ci, en 481 elle reporta son affection sur le jeune Clovis âgé de quinze ans qui n’allait pas tarder à occire Syagrius, lointain successeur d’Ætius, devenu une ombre gênante. Il s’apprêtait alors à entrer dans Lutèce dont il rêvait de faire sa capitale, mais Geneviève lui interdit la ville : il devait d’abord recevoir le baptême ! On sait la suite jusqu’au jour où la reine Clotilde devenue son amie et Remi, évêque de Reims, eurent emporté la décision du jeune roi de se faire baptiser à Reims, à Noël 496. Malgré son grand âge – elle allait mourir à plus de quatre-vingt dix ans – Geneviève demeura la confidente du couple royal et la personnalité la plus vénérée de Lutèce, que l’on commençait à appeler Paris.
Clovis venait d’entreprendre la construction sur la Montagne de la basilique des Saints-Apôtres, où il fut lui-même inhumé en novembre 511. Geneviève le rejoignit le 3 janvier 512. La reine Clotilde devait les rejoindre beaucoup plus tard, en 544. Mais Geneviève, sainte patronne de Paris, continue, de sa « montagne », de protéger la capitale contre tous les modernes « fléaux de Dieu » ; on ne saurait trop l’invoquer. »