Interview de Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle et Saintes, et directeur des Œuvres Pontificales missionnaires (OPM).
Avant d’être nommé évêque, Mgr Colomb était le supérieur général de la Société des Missions Étrangères de Paris entre 2010 et 2016. Il a vécu deux ans à Taiwan et huit ans en Chine. Mgr Colomb a bien voulu éclairer Chrétiens Magazine sur la situation actuelle des Chrétiens en Chine.
Le Bureau des Affaires religieuses et l’association patriotique des Catholiques de Chine ont pour objectif de contrôler l’Église.
CM – Monseigneur, comment expliquez-vous l’absence de relations diplomatiques entre l’État le plus peuplé de la planète, la Chine; et l’État le plus petit du monde, le Vatican ?
Mgr Colomb – La République populaire de Chine a été proclamée le premier octobre 1949 et les relations diplomatiques ont été rompues en 1951. Le nonce apostolique, Monseigneur Riberi (1897-1967), et tous les missionnaires étrangers ont été renvoyés à ce moment-là.
Ce n’est pas le Vatican qui a pris cette décision de rupture, c’est la Chine. Le fait qu’il y ait eu un changement de régime en 1949 et que le parti communiste ait pris le pouvoir n’a pas entraîné de la part du Vatican une rupture, c’est la Chine de Mao qui a pris l’initiative de rompre les relations. Depuis ce temps-là les relations sont rompues. Des contacts existent entre le Vatican et la Chine mais il n’y a pas de relations diplomatiques aujourd’hui.
Pendant la révolution culturelle (1966-1976), tout le monde a été persécuté, les chrétiens clandestins comme les officiels. Les églises étaient fermées. C’était la même chose pour toutes les autres religions. Le Bureau des Affaires religieuses et l’association patriotique des Catholiques de Chine ont pour objectif de contrôler l’Église.
CM – En réalité n’y a t-il pas deux problèmes pour rétablir des relations diplomatiques : la reconnaissance du Vatican en tant qu’État, et la liberté religieuse pour les catholiques de Chine ?
Mgr G. Colomb – La condition posée par la Chine est la rupture des relations entre Taïwan et le Vatican. S’il fallait avoir des relations diplomatiques avec des anges, il n’y en aurait pas beaucoup dans le monde. Je n’ai pas fait l’inventaire mais je pense que le Vatican a également des relations avec des pays où l’Église est malheureusement persécutée. Il faut bien sûr continuer le dialogue avec la Chine, tout en restant vigilant. Cette volonté de dialogue, de négociation a commencé avec le pape Jean-Paul II dont le début du pontificat correspond à la fin de la révolution culturelle, elle s’est poursuivie avec les papes Benoît XVI et François.
CM – Mais il y a eu l’accord de 2018 entre le Vatican est la Chine ?
Mgr G. Colomb – Oui, c’est un accord temporaire pour une durée de deux ans. Il a été renouvelé en 2020 jusqu’à cette année (2022). Je crois que l’accord porte sur un domaine très particulier : la question de la nomination des évêques, il s’inscrit dans la durée. Il est en cours de renégociation en ce moment même. Le Pape nomme les évêques, la Chine (le bureau des affaires religieuses) présente la « Terna » c’est à dire les 3 noms de prêtres susceptibles d’être nommés évêques.
Tout n’est pas parfait aujourd’hui, mais c’est un pas en avant. Le Saint-Père l’a dit lui-même : l’Église va souffrir. C’est très compliqué car le gouvernement chinois interprète cet accord à sa manière. Et c’est dans ce contexte qu’intervient le procès actuel de Mgr Zen qui a été repoussé au 26 octobre 2022.
Depuis 2018 c'est le pape qui nomme les évêques en Chine
CM – Monseigneur, est-ce que ça veut dire que depuis 2018 Le Vatican peut nommer des évêques en Chine ?
Mgr G. Colomb – Oui, depuis 2018 c’est le pape qui nomme les évêques, c’est le grand changement par rapport aux années qui ont suivi la rupture. Le pape a reconnu les sept évêques officiels qui ne l’étaient pas, mais les évêques nommés par les papes (Jean-Paul II, Benoît XVI et François) qui sont au nombre de 30-40 ne sont pas reconnus par le gouvernement Chinois.
Le gouvernement Chinois fait encore une pression terrible sur le clergé.
CM – Est-ce que les autorités Chinoises demandent encore aux prêtres de signer allégeance à l’association patriotiques ?
Mgr G. Colomb – Oui, le gouvernement Chinois fait encore une pression terrible sur le clergé. On convoque les prêtres, on leur demande de rejoindre l’association patriotique, on leur dit : « le pape a signé, tout est arrangé, pourquoi ne voulez-vous pas signer ? ». Un évêque a été arrêté, Il n’y a pas si longtemps que ça, une vingtaine de prêtres et de séminaristes l’ont été. Certains ont été libérés. La situation de l’église en Chine, malgré l’accord avec le Vatican, n’est pas une situation qui offre la liberté religieuse à tous les prêtres. Certains prêtres rejoignent l’association patriotique, mais ils ne la reconnaissent pas dans leur cœur. Ils signent un papier. Quand vous signez sous la contrainte, la signature n’a aucune valeur !
Selon la situation, selon la province où ils habitent la situation des chrétiens varie. Les évêques, les prêtres ont plus ou moins de liberté en fonction de cette situation locale. Il ne faut pas oublier que les Chinois sont des gens pragmatiques qui attachent beaucoup d’importance aux relations 關係 (guan Xi) entre les personnes.
CM – En l’an 2000, Jean-Paul II a canonisé le 1er octobre 120 martyrs de l’église de Chine. Qu’est-ce que c’est que ces 120 martyrs ?
Mgr G. Colomb – Parmi ces 120 martyrs il y a des missionnaires étrangers, et de nombreux chinois qui sont majoritaires. Le martyre fait partie de la vocation missionnaire.
Quand on rejoint les Missions Étrangères, la persécution est une perspective à ne pas ignorer : Chaque année on peut compter un nombre important de chrétiens assassinés, (prêtres, religieuses, Fidèles..). Il y a eu beaucoup de martyrs au 20e siècle.
La parole de Mgr Zen est connue en occident pour ces prises de position en faveur de la liberté religieuse.
CM – Venons-en à Mgr Zen, car quatre ans avant la canonisation des 120 martyrs, en 1996, le Pape Jean-Paul II a nommé Mgr Zen, comme évêque auxiliaire du diocèse de Hong Kong. Il l’a nommé pour jouer un rôle de « pont » entre l’Église catholique chinoise et l’Église universelle. Cet homme-là a donc pris des risques ?
Mgr G. Colomb – Oui, il a fait sa mission, il est habitué, il est allé en Chine, a donné des cours de théologie au séminaire de Shanghai, un séminaire officiel. Il avait une mission effectivement d’établir des ponts. Il fait ce que certains font en Chine, le problème en Chine, c’est que lorsque les gens font ça on les envoie en prison ou en camp de travail. Le cardinal Zen est à Hong Kong, et bien sûr sa parole est beaucoup plus libre. Sa parole est connue en occident pour ces prises de position en faveur de la liberté religieuse. Il y a des lieux en Chine où les chrétiens peuvent rejoindre la partie immergée parce que les pasteurs les accueillent et parce qu’il y a une fidélité à Rome et il y a des lieux où c’est difficile parce que les chrétiens n’ont pas confiance. Il faut du temps.
CM – On reproche à Mgr Zen d’avoir soutenu à Hong Kong des manifestations en 2014 et en 2019 contre le pouvoir chinois, et il participerait à un fonds d’aide aux personnes persécutées. Il risque une amende de 1 500 euros. Mgr Zen n’a pas sa langue dans la poche « ceux qui me disent que mon rôle et plus largement le rôle des prêtres doit se cantonner à la prière n’ont pas compris grand-chose à l’Église ». Il avait l’intention de défendre vraiment les chrétiens et les catholiques en Chine et il se bat contre l’oppression du pouvoir.
Mgr G. Colomb – Pendant la Révolution française, il fallait prêter le serment de fidélité à la constitution civile du clergé. Les prêtres qui refusaient, étaient persécutés, les autres pouvaient continuer. Cela a entraîné la naissance d’un clergé clandestin que l’on a appelé les prêtres réfractaires, réfractaires à cette loi, ils refusaient de signer la constitution civile du clergé. Ainsi, il y a eu des milliers de prêtres et de fidèles chrétiens martyrs.
Dans mon diocèse à La Rochelle, il y a eu les martyrs des pontons de Rochefort. Un peu moins de 600 prêtres ont été assassinés, morts de faim, de mauvais traitements en 6 mois. Il y a eu en France les martyrs de Nantes, de Vendée et d’ailleurs.