Kateri Tekakwitha, « la plus belle fleur épanouie au bord du Saint-Laurent », telle est l’ inscription en iroquois qu’on peut lire sur la tombe de cette jeune Indienne, morte à 24 ans. Preuve que Dieu aime « ce qui est petit » et qu’il choisit souvent des enfants ou des gens très simples. La vie de Kateri Tekakwitha est tout entière un message de simplicité évangélique, de générosité, de confiance et d’amour ardent pour le Christ. C’est au cœur de la Nouvelle-France, futur Québec, qu’est née en 1656 Tekakwitha, d’une mère algonquine chrétienne et d’un père iroquois. A quatre ans, elle se retrouve orpheline, seule survivante de sa famille, emportée par une terrible épidémie de petite vérole. Son visage est marqué et sa vue en ressort affaiblie, d’où le nom de Tekakwitha, « celle-qui-avance-en-hésitant ». Miracle vivant que cette enfant, désormais revêtue d’un grand châle qui protège ses yeux du soleil, et qui n’aura pourtant de cesse de réaliser sans hésiter sa vocation : être pleinement unie à Dieu, alors qu’elle ne connaît pas encore le baptême. Mystère que cette humble présence de Dieu dans le cœur d’une fillette, isolée au milieu d’un peuple encore sauvage qui vit dans la forêt. Car, de sa petite enfance, Tekakwitha a gardé en mémoire les chants et les prières que lui a appris sa mère « Fleur-de-la-prairie ». Dans le silence de la forêt, elle aime la retrouver, grâce au « Grand-Esprit », et prier sans cesse. Les Iroquois eux-mêmes sont bien en peine de la comprendre. Certes, elle participe aux travaux de la tribu, elle charme tout le village par sa gentillesse et sa docilité, mais ses refus successifs de toute proposition de mariage choquent les mœurs des Indiens et provoquent mépris et jalousie. A plusieurs reprises, elle est même obligée de s’enfuir, ce qui ne l’empêche pas, au retour, de pardonner à tous ceux qui la font souffrir. Un jour, des missionnaires jésuites décident de s’installer pour quelques années au village. A leur contact, Tekakwitha prend conscience du désir qui l’anime : elle aspire, par le baptême, à devenir véritablement chrétienne. De sorte qu’en 1673, après que trente Iroquois adultes ont reçu le baptême, un des pères jésuites, Jacques de Lamberville, la remarque. Très vite, il est touché par la pureté et le courage de cette jeune fille. Tekakwitha a dix-sept ans ; grâce à lui, elle devient catéchumène et se passionne pour l’histoire sainte. Trois ans plus tard, enfin, elle réalise son vœu le plus cher : elle est baptisée le dimanche de Pâques 1676 en adoptant le nom de Kateri (Catherine, en iroquois ). Sa simplicité, sa joie modeste, sa douceur foncière font l’émerveillement de tous les assistants et lui gagnent l’affection d’une partie de la population. Kateri réalise des progrès étonnants et rapides : ainsi elle manifeste une ferveur particulière devant le Saint-Sacrement qu’elle vient adorer une grande partie de la journée. Elle aime aussi retrouver sa chère forêt et prier devant une croix qu’elle a elle-même tracée sur l’écorce d’un arbre. Elle prie régulièrement pour le salut de ses frères, les Indiens, malgré la méchanceté, les calomnies et les persécutions de bon nombre d’entre eux qui n’acceptent pas la singularité et l’originalité de sa foi. Pour la protéger, le P. de Lamberville l’aide à se réfugier à la Mission Saint François-Xavier, sur le Saint-Laurent. « Vous connaîtrez bientôt le trésor que nous vous donnons, écrit-il au P. Frémin. Gardez-le donc bien ! Qu’entre vos mains il profite à la gloire de Dieu… » Kateri, à la Mission, semble avoir trouvé sa vraie famille. Des Indiens de tous les clans, en général ennemis (Algonquins, Hurons, Iroquois ), y vivent en frères et s’aiment profondément. C’est dans ce milieu si favorable qu’elle s’épanouit, et qu’elle se prépare à la première communion pour Noël 1677 en se confiant à Marie, « la Mère du Grand-Esprit » comme l’appellent les Indiens. Le P. Cholenec écrit : « Cette jeune fille, toute sauvage qu’elle était, se trouvait si pleine de Dieu, et elle goûtait tant de douceurs, dans cette possession, que tout son extérieur s’en ressentait… Il ne fallait pas être longtemps avec elle pour en être ému et pour être réchauffé de ce feu divin. » La jeune Amérindienne, illettrée, parvient même à ce que les théologiens appellent « l’union divine ». Avec quelques amies, elle songe alors à fonder une communauté de religieuses indigènes, mais son directeur spirituel, l’estimant encore trop jeune dans la foi, l’en dissuade. Son désir d’être consacrée à Dieu seul, de ne vivre plus que pour Lui ne cesse de grandir ; elle soupire après la vie consacrée des « femmes blanches », les religieuses au service du Seigneur. Or, chez les Indiens, cela n’existe pas ; même les chrétiens du village ne peuvent admettre une telle démarche. Mais, le 25 mars 1679, le P. Frémin permet enfin à Kateri de prononcer officiellement le vœu de virginité. A partir de là, sa vie n’est plus qu’action de grâce ; elle s’impose des mortifications de plus en plus pénibles, pour s’unir plus intimement, par amour, aux souffrances du Christ. L’église devient presque son unique demeure. Été comme hiver, avant le soleil, elle se lève à quatre heures du matin et vient s’agenouiller sur le seuil, immobile, en adoration ; elle assiste à toutes les messes et reste longtemps en prière devant le tabernacle ; elle visite les malades, rassemble autour d’elle les enfants, aide les missionnaires… Mais à un tel rythme, sa santé décline au point qu’elle est bientôt contrainte de s’aliter. Les enfants et les jeunes du village viennent la voir. Tous veulent l’écouter parler de Marie, de Jésus, du « Père qui est dans le ciel », des saints. Son visage est lumineux , les missionnaires le verront même transfiguré, au soir de sa mort, le mercredi saint de l’année 1680. En cette fin de XVIIème siècle, où s’épanouissent le règne de Louis XIV et la grande spiritualité française, une petite âme infiniment discrète, à l’autre bout du monde, s’en va rejoindre le ciel à la rencontre du Seigneur. Une petite âme, dont la vie effacée, empreinte de réserve et de modestie, était toute tournée vers Dieu et vers son peuple pour lequel elle priait sans cesse, suppliant qu’il daigne accueillir pleinement la Bonne Nouvelle. « Qui est-ce qui m’apprendra ce qu’il y a de plus agréable à Dieu, afin que je le fasse ? », avait-elle coutume de dire. Trois siècles plus tard, en 1980, le Pape Jean-Paul II élève Kateri au rang des Bienheureux, puis la nomme seconde patronne de l’Église des Missions en 1983. Dieu, vraiment, aime « ce qui est petit »… Elle est canonisée par le Pape Benoît XVI le 21 octobre 2012 et devient la première sainte amérindienne