L’homélie ci-dessous a été prononcée le 14 Novembre 2010 à l’occasion du Pèlerinage national du monde Paysan, au cours de la Messe à la basilique Ste-Anne-d’Auray :
Frères et sœurs,
Les lectures bibliques de ce jour sont claires. Il n’y a pas d’ambiguïté possible :
« Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom. »
Qui voudrait faire de la foi catholique et de l’appartenance à l’Eglise une histoire de sensibilité, d’opinion philosophique, de simple croyance pour un « mieux vivre ensemble aux carrefours de nos chemins d’humanité »,
Qui voudrait faire du Christ un « bobo » pacifiste proclamant « peace and love », la guitare à la main, dans une communauté hippie du premier siècle,
Qui voudrait faire du chrétien un doux rêveur acceptant, passif et résigné, la monstrueuse tentative d’assassinat de la création divine sous couvert d’une tolérance, nouveau nom donné à la lâcheté et à l’indifférence,
Que celui-ci se le tienne pour dit :
« Jésus-Christ est Dieu tout-puissant, créateur de tout ce qui est, fait homme, mort et ressuscité pour le salut des âmes et il n’y a pas, et il n’y a pas eu, et il n’y aura pas d’autre nom dans tout l’univers par lequel nous devions être sauvés ».
La mort de Notre Seigneur sur la croix et le martyr chrétien ont fait dire au penseur Freidrich Nietszche que la religion, et particulièrement le christianisme, est un alibi devant la faiblesse humaine. Quel aveuglement ! Quelle cécité !
La seule raison pour laquelle le chrétien accepte la persécution, c’est parce qu’il considère que la Vérité, cette vérité qui nous rend libre comme l’écrit saint Jean, est supérieure à la vie terrestre car elle est le chemin vers la vie éternelle à laquelle tout homme qui l’accueille est destiné.
Et l’on voudrait nous faire croire qu’il nous faudrait taire la merveilleuse nouvelle du salut, qu’il nous faudrait épouser les idées du monde sous prétexte d’une humilité chrétienne cachant en réalité un amour propre mondain et la mesquine sauvegarde d’une réputation sociale ?
J’entends déjà la voix doucereuse du démon susurrant à l’oreille de notre conscience bien-pensante :
« Comment peux-tu te dire détenteur de la vérité ? Tu es bien orgueilleux ! Allons, un peu d’humilité si tu veux être un bon chrétien, tais-toi donc, tu y gagneras en sainteté. »
Mais qui a dit que prêcher la vérité avec certitude, c’était la posséder ?
Bien sûr que nous ne possédons pas la vérité, qui possède le Christ ?
Nous l’avons reçue par pure grâce, sans aucun mérite de notre part et précisément la plus grande des charités est de partager avec tous le trésor qui nous a été confié et que nous portons en nous, pauvres vases d’argile, quitte à en payer le prix fort.
C’est là le sens profond de la devise de notre Très Saint Père le Pape Benoît XVI : « Coopérateurs de la vérité ».
Il ne se dérobe pas devant les loups mais enseigne sans relâche, avec douceur et véritable humilité, l’amour total de Dieu pour les hommes.
Cette vocation à l’amour de Dieu et du prochain, cet enjeu fondamental du salut éternel se joue dès ici-bas. Le jugement, à l’heure de notre mort, se fera sur la façon dont nous aurons aimé.
Au scribe qui lui demande quel est le premier des commandements, Jésus répond :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ; Il ajoute qu’il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là.
En réalité, ces deux commandements ne font qu’un.
Comme l’affirme saint Jean dans sa première lettre :
« Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu » alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit est incapable d’aimer Dieu qu’il ne voit pas. »
Il s’agit donc d’aimer Dieu et d’aimer son prochain « comme soi-même».
Le Christ reprend ici un commandement du livre du Lévitique.
En effet, comment aimer son prochain si l’on n’est pas capable de s’aimer soi-même en premier lieu ?
Comment vouloir le bonheur de l’autre si l’on ne veut pas son propre bonheur ?
Il faut s’aimer soi-même, non pour faire de soi une idole, tel Narcisse, mais parce que l’amour que Dieu porte à chacun rend chacun digne d’amour ! Soi-même y compris !
Comment pourrions-nous ne pas aimer ce que Dieu juge digne d’amour, non par mérite, mais par grâce ?
Mais pour s’aimer encore faut-il se connaître, car l’amour implique lucidité de jugement, vérité sur soi-même.
Dans l’introduction de l’encyclique Fides et Ratio, le pape Jean-Paul II écrit :
« Le conseil Connais-toi toi-même était sculpté sur l’architrave du temple de Delphes, pour témoigner d’une vérité fondamentale qui doit être prise comme règle minimum par tout homme désireux de se distinguer, au sein de la création, en se qualifiant comme « homme » précisément parce qu’il « se connaît lui-même ».
La connaissance de soi suppose une identité personnelle qui s’enracine dans une famille, une patrie, une terre, une culture, une éducation, une époque, en un mot une histoire.
Et que voyons-nous aujourd’hui ?
Tout ce qui constitue l’identité des hommes, tout ce qui leur permet de se connaître, donc de s’aimer et ainsi d’aimer Dieu et leur prochain, est mis à mal par l’avancée d’une culture de mort, une anti-culture échafaudant une véritable structure de péché qui annihile les consciences par la banalisation de comportements d’autodestruction humaine :
Avortement, euthanasie, anéantissement de la famille, cellule de base de toute société saine, lecture partiale de l’histoire et des sciences humaines dans l’enseignement, effondrement du niveau d’exigence des savoirs, haine de la patrie d’un monde hanté par le complexe d’Œdipe, autoculpabilisation permanente de notre histoire.
Ce déracinement, accentué par l’extrême mobilité actuelle et une idéologie mondialiste qui tend à vouloir faire disparaître toute culture particulière, ne peut qu’engendrer la crise d’identité sans précédent que l’on connaît et donc la crise sociale.
Ne nous y trompons pas, cette entreprise de démolition de la vie et de la famille est une entreprise de démolition du principe de transmission en général, du principe de filiation en particulier et la paysannerie, état de vie stable dans un attachement profond à la terre, don de Dieu fait aux hommes pour en être les intendants fidèles et non les tyrans cupides et jaloux, est particulièrement visée.
Ainsi que l’enseigne le Pape Benoît XVI :
« Nous avons besoin du don de la terre, du don de l’eau, nous avons besoin du Créateur. Le Créateur réapparaît dans la Création. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie. »
La création et la vie vont de pair, sont indissociablement liées.
Dans ce combat pour la vie et donc pour l’identité – non pas une identité repliée sur elle-même mais qui permet, en se connaissant soi-même, de s’ouvrir véritablement aux autres – la sémantique joue un rôle particulièrement important.
Je remarque que les « journées paysannes » ne s’appellent pas « journées agricoles ».
Si les paysans sont en effet des agriculteurs, ils cultivent leur champ, ils sont bien plus que cela.
Comme l’écrivait Soljénitsyne :
« C’est dans la communion du paysan avec la terre – les sources, les ruisseaux, les rivières, les taillis et les bois – que s’enracine la spiritualité populaire. C’est de la terre que jaillit la source inépuisable et pure de l’amour de la patrie. C’est sur elle que repose la stabilité de l’Etat : Ce lien profond qui lie l’âme d’un peuple à sa terre, ce ne peut être une “marchandise” cotée en bourse, il nous est aussi cher que notre patrie, notre âme. »
Soyez bien conscients, frères et sœurs, que vous êtes aujourd’hui une partie de l’âme de l’humanité et que c’est précisément pour cette raison que l’on veut la mort non pas de l’agriculture – il faut bien se nourrir – mais de la paysannerie qui, vivant quotidiennement au rythme de la création, y voit l’œuvre du Créateur.
Fatima, La Salette, Lourdes, Pontmain, Notre-Dame de Guadalupe, Notre-Dame du Laus : nous pouvons remarquer que c’est presque toujours à des paysans que la Vierge Marie apparaît.
Ici même, le paysan Yves Nicolazic trouva la statue de Madame sainte Anne au bout de sa pioche, en creusant sa terre, cette terre qui ne ment pas, cette terre d’où jaillit l’esprit, cette terre d’où l’on tire le granit grâce auquel nos chapelles et nos cathédrales s’élèvent vers le ciel.
La paysannerie allie le « Bon sens paysan », droit dans ses bottes et les pieds sur terre, à qui on ne peut pas faire prendre des vessies pour des lanternes, ni gober n’importe quelle idéologie de salon de l’intelligentsia à la mode, et la spiritualité profonde de celui qui, en communion profonde avec la nature, y voit l’invisible.
C’est là précisément que le surnaturel devient tout naturel.
C’est ici que nature et grâce s’embrassent.
Les grands philosophes et écrivains chrétiens ne s’y sont pas trompés en exprimant le lien profond entre la philosophie et la sagesse tirée de la terre.
Gustave Thibon est appelé le « philosophe paysan », Jacques Maritain se nomme lui-même dans le titre de son ouvrage « le Paysan de la Garonne ».
(…) Soyons donc bien convaincus que si le monde estime que nous ne sommes pas des hommes d’avenir, c’est précisément parce que nous sommes des hommes de l’éternité.
A la fin de l’évangile de ce jour, après l’annonce des persécutions à venir, le Christ conclue par ces paroles d’espérance :
« C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ».
Que sainte Anne et la Vierge Marie nous accompagnent dans les joies et les épreuves de ce monde, qu’elles nous soutiennent et nous aident à rester fidèles, et nous conduisent auprès du Christ vers la terre promise, la terre céleste. Amen !
Mgr Raymond CENTENE
Evêque de Vannes