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jeudi 28 mars 2024

Saint Gontran

"Restez fermes dans la foi! Ne soyez pas confus! " - testament spirituel du pape émérite Benoit XVI.

Benoit XVI (1927-2022)

Le pape émérite, âgé de 95 ans, est décédé  samedi 31 décembre 2022 à 9h34 à l’intérieur du Vatican, au monastère Mater Ecclesiae que Benoit XVI avait choisi comme résidence après avoir renoncé au ministère pétrinien en 2013.

«J’ai la douleur de vous annoncer que le pape émérite, Benoît XVI, est décédé aujourd’hui à 9:34 heures, au Monastère Mater Ecclesiae, au Vatican. (Matteo Bruni, directeur de la Salle de Presse du Vatican).

Les obsèques, présidées par le Saint-Père, seront célébrées sur la place Saint-Pierre le jeudi 5 janvier à 9h30. A la fin de la célébration eucharistique, le cercueil du Souverain Pontife émérite sera transporté dans la basilique Saint-Pierre puis dans les grottes du Vatican pour y être enterré.

"Dès ses origines, la France a reçu le message de l’Évangile"

Le cardinal allemand Joseph Ratzinger avait été élu Pape par les 115 cardinaux, le 19 avril 2005. Il se présente alors comme «un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur».

Il fût le premier pape démissionnaire de l’Église depuis 1415.

Plutôt réservé, le pape Benoît XVI ne renonce toutefois pas  à voyager pendant son pontificat avec 23 voyages apostoliques en dehors de l’Italie.

il parle constamment de «la joie d’être chrétien» et consacre sa première encyclique «Deus caritas est», à l’amour de Dieu. «Au début de la vie chrétienne», écrit-il, «il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne».

Parmi les décisions à retenir, citons le Motu proprio libéralisant le missel romain préconciliaire et l’institution d’un Ordinariat pour permettre aux communautés anglicanes de revenir à la communion avec Rome.

En janvier 2009, Benoît XVI décide de révoquer l’excommunication des quatre évêques ordonnés illicitement par Mgr Marcel Lefebvre, parmi lesquels Richard Williamson, un négationniste des chambres à gaz. La polémique éclate dans le monde juif. Le Pape écrit alors aux évêques du monde entier et en assume l’entière responsabilité.

Obsèques du Pape Émérite Benoît XVI : - "Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix, définitivement et pour toujours."

OBSÈQUES
DU PAPE ÉMÉRITE BENOÎT XVI

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Place Saint-Pierre
Jeudi 5 janvier 2023

« Père, entre tes mains je remets mon esprit » ( Lc 23, 46). Ce sont les dernières paroles que le Seigneur a prononcées sur la croix ; son dernier soupir – pourrait-on dire -, qui confirme ce qui a caractérisé toute sa vie : une permanente remise de soi entre les mains de son Père. Des mains de pardon et de compassion, de guérison et de miséricorde, des mains d’onction et de bénédiction qui le poussèrent à se livrer aussi aux mains de ses frères. Le Seigneur, ouvert aux histoires qu’il rencontrait sur son chemin, s’est laissé ciseler par la volonté de Dieu en prenant sur ses épaules toutes les conséquences et les difficultés de l’Évangile, jusqu’à voir ses mains meurtries par amour : « Vois mes mains », dit-il à Thomas ( Jn 20, 27), et il le dit à chacun de nous, « Vois mes mains ». Des mains meurtries qui vont à la rencontre et ne cessent de s’offrir, afin que nous connaissions l’amour que Dieu a pour nous et que nous croyions en lui (cf. 1 Jn 4, 16) [1].

« Père, entre tes mains je remets mon esprit » est l’invitation et le programme de vie qui inspire et veut modeler comme un potier (cf. Is 29, 16) le cœur du pasteur, jusqu’à ce que palpitent en lui les mêmes sentiments que ceux du Christ Jésus (cf. Ph 2, 5). Dévouement reconnaissant de service au Seigneur et à son Peuple qui naît du fait d’avoir accueilli un don totalement gratuit : : “Tu m’appartiens… Tu leur appartiens”, susurre le Seigneur ; “Tu es sous la protection de mes mains, sous la protection de mon coeur. Reste dans le creux de mes mains et donne-moi les tiennes” [2]. C’est la condescendance de Dieu et sa proximité capable de se placer dans les mains fragiles de ses disciples pour nourrir son peuple et dire avec lui : prenez et mangez, prenez et buvez, ceci est mon corps, mon corps qui s’offre pour vous (cf. Lc 22, 19). La synkatabasis totale de Dieu .

Un dévouement priant, qui se façonne et s’affine silencieusement entre les carrefours et les contradictions que le pasteur doit affronter (cf. 1 P 1, 6-7) et l’invitation confiante à paître le troupeau (cf. Jn 21, 17). Comme le Maître, il porte sur ses épaules la fatigue de l’intercession et l’usure de l’onction pour son peuple, surtout là où la bonté doit lutter et où les frères voient leur dignité menacée (cf. He 5, 7-9). Dans cette rencontre d’intercession, le Seigneur continue à générer la douceur capable de comprendre, d’accueillir, d’espérer et de parier au-delà des incompréhensions que cela peut susciter. Une fécondité invisible et insaisissable, qui naît du fait de savoir dans quelles la confiance a été placée (cf. 2 Tm 1, 12). Une confiance priante et adoratrice, capable d’interpréter les actions du pasteur et d’adapter son cœur et ses décisions aux temps de Dieu (cf. Jn 21, 18) : « Être le pasteur veut dire aimer, et aimer veut dire aussi être prêt à souffrir. Aimer signifie: donner aux brebis le vrai bien, la nourriture de la vérité de Dieu, de la parole de Dieu, la nourriture de sa présence » [3].

Et aussi un dévouement soutenu par la consolation de l’Esprit, qui le précède toujours dans la mission : dans la quête passionnée de communiquer la beauté et la joie de l’Évangile (cf. Exhort. Ap. Gaudete et exsultate, n. 57), dans le témoignage fécond de ceux qui, comme Marie, restent de bien des manières au pied de la croix, dans cette paix douloureuse mais solide qui n’agresse ni ne soumet ; et dans l’espérance obstinée mais patiente que le Seigneur accomplira sa promesse, comme il l’avait promis à nos pères et à sa descendance à jamais (cf. Lc 1, 54-55).

Nous aussi, fermement attachés aux dernières paroles du Seigneur et au témoignage qui a marqué sa vie, nous voulons, en tant que communauté ecclésiale, suivre ses traces et confier notre frère aux mains du Père : que ces mains de miséricorde trouvent sa lampe allumée avec l’huile de l’Évangile qu’il a répandue et dont il a témoigné durant sa vie (cf. Mt 25, 6-7).

Saint Grégoire le Grand, à la fin de la Règle pastorale, invite et exhorte un ami à lui offrir cette compagnie spirituelle : « Au milieu des tempêtes de ma vie, je me console par la confiance que tu me tiendras à flot sur la table de tes prières, et que, si le poids de mes fautes m’abat et m’humilie, tu me prêteras le secours de tes mérites pour me relever ». C’est la conscience du pasteur qu’il ne peut pas porter tout seul ce que, en réalité, il ne pourrait jamais supporter tout seul et, par conséquent, il sait s’abandonner à la prière et au soin du peuple qui lui est confié [4]. C’est le peuple fidèle de Dieu qui, rassemblé, accompagne et confie la vie de celui qui a été son pasteur. Comme les femmes de l’Évangile au sépulcre, nous sommes ici avec le parfum de la gratitude et l’onguent de l’espérance pour lui démontrer, encore une fois, l’amour qui ne se perd pas. Nous voulons le faire avec la même onction, sagesse, délicatesse et dévouement qu’il a su prodiguer au cours des années. Nous voulons dire ensemble: “Père, entre tes mains nous remettons son esprit”.

Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix, définitivement et pour toujours !

31 décembre 2022 – EN RÉACTION AU DÉCÈS DU PAPE ÉMÉRITE BENOIT XVI
COMMUNIQUE DE LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE


Nous venons d’apprendre avec une grande tristesse le décès du pape émérite Benoît XVI.
Au nom de la Conférence des évêques de France, nous appelons les catholiques à prier pour lui le Dieu vivant, « qui n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Lc 20, 38), en le confiant à sa miséricorde et à la puissance de Résurrection du Christ.
Des messes et des célébrations seront organisées dans les diocèses et les paroisses pour rendre grâce pour ce qu’il a apporté à l’Église et au monde, et pour intercéder pour lui comme il le souhaitait.

Joseph Ratzinger a été un grand théologien. Sa participation au Concile l’avait mis face aux grands défis de l’Église dans le monde de la fin du XXème siècle. Il en a été un grand interprète, lucide et courageux, exigeant quant à la vérité, fidèle à la Tradition mais libre de toute nostalgie.
Archevêque de Munich, puis préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il a servi le saint pape Jean-Paul II en admirant le pasteur et le saint, cherchant avec sa vive acuité théologique à expliciter les fondements de l’action du Pape. Le rencontrer était toujours vivre un moment de lumière, de clarté,d’espérance aussi. Les évêques en ont fait l’expérience à chaque visite ad limina. Ils en gardent de grands souvenirs.

Devenu pape à son tour, il a voulu servir l’unité de l’Église en la fondant sur la vérité la plus précise, tant dans les relations œcuméniques que dans son approche des groupes dits traditionalistes dans l’Église catholique. Il a voulu continuer l’œuvre de ses prédécesseurs en œuvrant pour la rencontre des religions et la paix dans le monde. Il a cherché à affermir ses frères et ses sœurs dans la foi par ses encycliques sur l’espérance et la charité et sur le développement humain intégral dans la justice et la charité.
Dans un monde sécularisé, dans un climat culturel marqué par le relativisme, il a incarné la recherche exigeante mais aussi joyeuse de la foi qui aspire à adhérer à Dieu par le lien vivant que celui-ci propose aux humains.
Il a affronté avec courage le fait des agressions sexuelles commises par des prêtres ou des religieux et n’a voulu préserver personne de la vérité qu’il y avait à faire en ce domaine. Sa lettre aux catholiques d’Irlande, en mars 2010, a ouvert une ère nouvelle, en deçà de laquelle il ne sera plus possible de retomber.

Les Français se souviennent avec émotion du magnifique voyage de Benoît XVI en France en 2008, à Paris et à Lourdes, à l’occasion du 150ème anniversaire des apparitions de la Vierge à Lourdes. Au cours de la messe sur l’esplanade des Invalides, juste quelques semaines avant qu’éclate la crise financière

de 2008, il avait appelé à « fuir les idoles » et rappelé, après saint Paul, « que la cupidité insatiable est une idolâtrie (Cf. 3,5) et que « l’amour de l’argent est la racine de tous les maux », tandis que dans son discours au monde de la culture au collège des Bernardins il avait montré, à l’école de l’expérience monastique, que « la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable », comme une quête de la vérité dont ne peut se dispenser sans grave dommage l’humanité contemporaine.

Benoît XVI restera aussi dans l’histoire en raison de sa démission qui prit tout le monde par surprise. Elle était dans la ligne de sa profonde humilité et de son sens exigeant du service de l’Église. Il était épuisé et paraissait près de mourir. Il a finalement accompagné de longues années son successeur, assurant un ministère de recueillement et d’intercession, interrompu par peu d’interventions, toutes visant à éclairer l’intention profonde du pape François contre de mauvaises interprétations.

En confiant à Dieu le pape émérite Benoît XVI, les catholiques rendent grâce à Dieu pour ce qu’il a donné à l’Église, visiblement et invisiblement. En leur nom, nous remercions celles et ceux qui ont voulu ou voudront lui rendre hommage. Nous invitons également tous ceux qui le voudront bien à prier avec instance pour le pape François. Qu’il poursuive sa mission avec courage et persévérance, dans la force du Christ et de l’Esprit-Saint, pour que soit loué le Nom de Dieu,

La Présidence de la CEF
+Eric de Moulins-Beaufort
+Dominique Blanchet
+ Vincent Jordy

Chers frères et sœurs,

Le pape émérite Benoît XVI s’est donc éteint le 31 décembre 2022, dans le couvent Mater Ecclesiae, au cœur du Vatican, où il s’était retiré depuis sa renonciation annoncée urbi et orbi le 11 février 2013. C’est un grand serviteur de l’Église qui nous a quittés, après 24 ans passés à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, comme premier collaborateur du pape saint Jean-Paul II, 8 ans de pontificat où il a tenu ferme la barre de l’Église contre vents et marées, et 10 ans de pontificat émérite, où il a continué à servir l’Église dans la prière, à l’école de saint Benoît.

Lorsque j’ai entendu l’annonce de sa mort, c’est ce verset du livre des Nombres qui m’est venu aussitôt à l’esprit : « Moïse était très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3). C’est ainsi qu’il s’était présenté lui-même à la loggia de Saint-Pierre, le jour de son élection, le 19 avril 2005 : « Après le grand Pape Jean-Paul II, messieurs les cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur ».  Qui a pu le rencontrer, seul à seul, comme cela m’est arrivé à plusieurs reprises, s’accordera sur son humilité. Ce que le geste inédit de sa renonciation à son ministère pétrinien a confirmé : devant le déclin de ses forces physiques, il ne s’est pas accroché à sa charge, voire à son pouvoir, mais il s’est effacé tout entier devant l’unique et vrai bon pasteur de l’Église, le Christ, et devant son successeur auquel il a voué une obéissance inconditionnelle.

Sa renonciation n’a certes pas été une désertion. D’ailleurs, n’avait-il pas demandé aux fidèles rassemblés sur la place Saint-Pierre au jour où il inaugurait officiellement son pontificat : « Priez pour moi, pour que je ne m’enfuie pas par peur devant les loups » ?  À travers les crises qu’il a dû affronter durant son ministère pétrinien, il est demeuré ferme et lucide, quelles que soient les tempêtes médiatiques qu’il a dû essuyer.

Benoît XVI restera à la postérité un grand docteur de l’Église, qui n’a eu de cesse de garder et de transmettre la foi catholique reçue des apôtres, dans une fidélité inflexible à la tradition bimillénaire de l’Église dont il ne s’est jamais considéré que comme l’humble serviteur. Ce que l’on retrouve dans son testament spirituel publié dans la soirée du 31 décembre 2022 par le Vatican : « Tenez bon dans la Foi ! Ne vous laissez pas troubler ! (…) J’ai vu et je vois comment, dans l’enchevêtrement des hypothèses, la raison de la Foi a émergé et émerge à nouveau ; Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, dans toutes ses imperfections, est vraiment son corps ».

Catéchète à la manière des pères de l’Église, il excellait dans l’art de commenter la sainte Écriture, d’abondance du cœur, mais avec beaucoup de rigueur exégétique et théologique, en faisant résonner la Parole de Dieu dans le cœur de tous, des plus simples aux plus savants. Théologien hors pair, il savait trouver des images fortes concrètes et suggestives qu’il tirait manifestement de son fond personnel et qui avaient l’art de toucher les intelligences et les cœurs. Je me souviens que son voyage apostolique à Lourdes, les 14 et 15 septembre 2008, au cœur de la piété populaire, a été en ce sens exemplaire. Il a été par excellence le gardien de la tradition, mais sans conservatisme : il savait que l’Église est vivante, qu’elle est un corps organique et donc qu’elle est appelée à croître à travers l’histoire, mais sans rupture !

Son « herméneutique de la réforme et du renouveau dans la continuité de l’unique sujet Église que le Seigneur nous a donné », appliquée au Concile Vatican II, est en ce sens très significative. Une marque encore de son humilité qui s’incline devant le mystère de l’Église qui n’est pas un matériau disponible entre nos mains.

Son humilité s’exprime encore dans le primat de Dieu et de l’adoration qu’il a toujours professé, nous invitant à renoncer à un christianisme séculier et mondain au profit d’un christianisme théologal dont il a été l’excellent témoin parmi nous, en particulier à travers le soin qu’il portait à la sainte Liturgie.

Je partage, bien sûr, la tristesse du peuple des fidèles, mais je suis habité par un sentiment de gratitude et d’action de grâce pour l’héritage lumineux qu’il nous laisse. J’ai la conviction que sa mémoire dépassera largement notre siècle et qu’on lira Benoît XVI comme on lit aujourd’hui, à des siècles de distance, saint Augustin, saint Léon Le Grand ou saint Jean Chrysostome.

Nous vivrons ces jours de deuil, dans la prière de recommandation de son âme à Dieu et d’action de grâce pour tout ce que nous lui devons, en grande communion avec notre pape François et l’Église universelle.

Puisse le Seigneur le faire entrer dans la joie de son Maître, comme un bon et fidèle Serviteur, lui qui a prononcé ces dernières paroles avant de s’endormir dans le sommeil de la mort : « Seigneur, je t’aime ».

En signe de reconnaissance pour la confiance que Benoît XVI m’a faite en me nommant évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, il y a quatorze ans, et pour représenter l’ensemble du clergé et des fidèles du diocèse, je participerai à ses funérailles, présidées par notre pape François à Rome sur la place Saint-Pierre, jeudi 5 janvier à 9h30.

J’invite d’ores et déjà tous les fidèles qui le pourront, à la messe solennelle de l’Épiphanie que je présiderai le dimanche 8 janvier à 18h30 en la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, en hommage au pape émérite Benoît XVI.

Seigneur, donne lui le repos éternel,

Et que la lumière perpétuelle l’illumine

Qu’il repose en paix ! Amen !

+Marc Aillet

 

Décès de Sa Sainteté Benoît XVI.

Publié le 31 décembre 2022

Le pape émérite Benoît XVI nous a quittés, après avoir marqué l’Église du sceau de son érudition théologique et œuvré inlassablement pour un monde plus fraternel.

Né Joseph Ratzinger en 1927, il grandit au sein d’une famille bavaroise modeste qui lui apprit l’amour du piano, des lettres, de l’histoire, et le rejet farouche de toute forme de fascisme. Ses parents lui transmirent aussi leur piété profonde, si bien qu’à 7 ans, le petit Joseph demandait comme cadeau de Noël un missel et une chasuble de prêtre. Mais alors que son esprit se tournait vers le sacerdoce, celui de ses contemporains se laissait gangrener par le nazisme. Comme toute sa génération, il dut se plier à quatorze ans aux Jeunesses hitlériennes, puis à seize au service militaire. Ulcéré par le fanatisme ambiant, le jeune homme refusa d’intégrer la Waffen-SS, déserta son régiment à la faveur de la débâcle, mais fut repris, et passa six semaines en prison avant que la capitulation allemande ne le délivre. 

L’effervescence intellectuelle de ses années de séminaire lui fit comprendre que sa vocation de prêtre était inséparable d’une destinée de théologien et d’universitaire. Car il ne dissocia jamais la religion de la raison. Il avait foi en Dieu, et foi en l’esprit humain, en sa capacité à défricher, inlassablement, les chemins de la transcendance. 

La puissance de ses écrits lui valut d’être choisi pour participer au concile de Vatican II. Il y était alors considéré comme un réformiste, réputation paradoxale pour un pape si souvent qualifié plus tard de conservateur. Sans doute méritait-il les deux étiquettes à la fois : son réformisme avait une visée conservatrice, retourner aux sources passées pour revitaliser le présent. Peu lui importait de ne pas suivre le vent de libéralisation de mai 68, car l’Église avait à ses yeux une mission de contradiction prophétique qu’elle devait assumer avec courage. Créé archevêque puis cardinal par Paul VI, il fut choisi cinq ans plus tard par Jean-Paul II pour diriger la Congrégation pour la doctrine de la foi, fer de lance de la réflexion doctrinale de l’Église. Durant les 24 ans qu’il passa à sa tête, puis pendant ses huit années de pontificat, il ne cessa d’approfondir le mystère de la foi chrétienne, bâtit des digues face aux courants progressistes et consolida la tradition de l’Église en matière de liturgie, de célibat des prêtres ou de bioéthique. Il œuvra aussi au rapprochement interreligieux et œcuménique en jetant des ponts fraternels entre les croyants, en particulier entre catholiques et orthodoxes.

Loin de rechercher la fusion de l’État et de l’Église, il rappela l’importance d’une distinction du religieux et du politique, dont l’indépendance mutuelle n’implique pas indifférence, mais dialogue. Aussi invitait-il les chrétiens à s’investir comme citoyens. Ses encycliques appellent à une mondialisation respectueuse qui redistribue les ressources entre riches et pauvres, à une économie humaine qui garde le sens du don et du partage, à une écologie intégrale qui respecte la planète comme la dignité de l’Homme.

Son affection pour la France lui valut d’être nommé membre étranger de notre Académie des Sciences morales et politiques. Les années de séminaire lui avaient permis d’imprégner sa pensée des écrits de Bergson, Sartre ou Camus, de se prendre de passion pour Claudel, Bernanos, Mauriac ou Maritain. Ces affinités intellectuelles s’étaient enrichies d’amitiés humaines, tissées au fil de ses échanges de ses voyages à Paris et de ses échanges avec les prélats et théologiens français qui exercèrent une forte influence sur le concile de Vatican II, notamment les futurs cardinaux Daniélou, de Lubac et Congar. Alors qu’il n’était encore que le cardinal Ratzinger, il fut le délégué du pape Jean-Paul II pour le soixantième anniversaire du débarquement de Normandie, et, devenu Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, il parcourut la France en septembre 2008, impressionnant ses auditeurs par la finesse de sa culture et l’élégance de son français.

Son exigence envers lui-même était aussi haute que son acception de sa mission. C’est pourquoi, face au déclin de ses forces physiques, il prit une décision inédite depuis des siècles, celle de renoncer à la chaire de Pierre. Devenu dès lors pape émérite, il mena dans l’ombre d’un monastère une vie de silence et de prière.

Le Président de la République salue un interlocuteur éclairé de la France dans sa construction d’une « laïcité positive », qui sut faire entrer l’Église meurtrie par les tempêtes du XXe siècle dans son troisième millénaire. Il adresse aux catholiques de France et du monde ses condoléances sincères.

Le testament spirituel du pape émérite Benoit XVI

La salle de presse du Saint-Siège a rendu public, dans la soirée du samedi 31 décembre 2022, au jour de sa disparition, le testament rédigé le 29 août 2006 par le pape émérite.
 

Si, à cette heure tardive de ma vie, je jette un regard sur les décennies que j’ai parcourues, je vois d’abord combien de raisons j’ai de rendre grâce. Tout d’abord, je remercie Dieu lui-même, le donateur de tout bon cadeau, qui m’a donné la vie et m’a guidé à travers divers moments de confusion, me relevant toujours quand je commençais à glisser et me redonnant toujours la lumière de son visage. Avec le recul, je vois et je comprends que même les parties sombres et fatigantes de ce voyage étaient pour mon salut et que c’est en elles qu’Il m’a bien guidé.

Je remercie mes parents, qui m’ont donné la vie dans une période difficile et qui, au prix de grands sacrifices, m’ont préparé avec leur amour un magnifique foyer qui, comme une lumière vive, illumine tous mes jours jusqu’à aujourd’hui. La foi lucide de mon père nous a appris à croire, nous ses enfants, et elle a toujours tenu bon au milieu de toutes mes réalisations scientifiques; la profonde dévotion et la grande bonté de ma mère sont un héritage pour lequel je ne saurais la remercier suffisamment. Ma sœur m’a assisté pendant des décennies de manière désintéressée et avec une attention affectueuse; mon frère, avec la lucidité de ses jugements, sa résolution vigoureuse et la sérénité de son cœur, m’a toujours ouvert la voie; sans sa constance qui me précède et m’accompagne, je n’aurais pas pu trouver le bon chemin.

Du fond du cœur, je remercie Dieu pour les nombreux amis, hommes et femmes, qu’il a toujours placés à mes côtés; pour les collaborateurs à toutes les étapes de mon parcours; pour les enseignants et les étudiants qu’il m’a donnés. Je les confie avec gratitude à sa bonté. Et je veux remercier le Seigneur pour ma belle patrie dans les Préalpes bavaroises, dans laquelle j’ai toujours vu briller la splendeur du Créateur lui-même. Je remercie les gens de ma patrie, car c’est en eux que j’ai expérimenté, encore et encore, la beauté de la foi. Je prie pour que notre terre reste une terre de foi et je vous en prie, chers compatriotes: ne vous laissez pas détourner de la foi. Et enfin, je remercie Dieu pour toute la beauté que j’ai pu expérimenter à chaque étape de mon chemin, mais surtout à Rome et en Italie, qui est devenue ma deuxième maison.

À tous ceux que j’ai lésés d’une manière ou d’une autre, je demande pardon de tout mon cœur.

Ce que j’ai dit auparavant à mes compatriotes, je le dis maintenant à tous ceux qui, dans l’Église, ont été affectés à mon service: restez fermes dans la foi! Ne soyez pas confus! Il semble souvent que la science – les sciences naturelles d’une part et la recherche historique (en particulier l’exégèse des Saintes Écritures) d’autre part – soient capables d’offrir des résultats irréfutables en contraste avec la foi catholique. J’ai vécu les transformations des sciences naturelles depuis longtemps et j’ai pu voir comment, au contraire, des certitudes apparentes contre la foi se sont évanouies, se révélant être non pas des sciences, mais des interprétations philosophiques ne relevant qu’en apparence de la science; tout comme, d’autre part, c’est dans le dialogue avec les sciences naturelles que la foi aussi a appris à mieux comprendre la limite de la portée de ses revendications, et donc sa spécificité. Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses: la génération libérale (Harnack, Jülicher etc.), la génération existentialiste (Bultmann etc.), la génération marxiste. J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps.

Enfin, je demande humblement: priez pour moi, afin que le Seigneur, malgré tous mes péchés et mes insuffisances, me reçoive dans les demeures éternelles. De tout cœur, ma prière va à tous ceux qui, jour après jour, m’ont été confiés.

Benedictus PP XVI

Joseph Ratzinger – Cardinal depuis 1977, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi depuis 1981, Doyen du Collège cardinalice depuis 2002 – est né à Marktl am Inn, dans le territoire du diocèse de Passau (Allemagne), le 16 avril 1927.

Son père était commissaire de gendarmerie et provenait d’une famille d’agriculteurs de la Basse Bavière, dont les conditions économiques étaient plutôt modestes. Sa mère était la fille d’un artisan de Rimsting sur le Lac de Chiem, et avant de se marier, et avait été cuisinière dans divers hôtels.

Il passa son enfance et son adolescence à Traunstein, une petite ville proche de la frontière autrichienne, à une trentaine de kilomètres de Salzbourg. C’est dans ce cadre – qu’il a lui-même qualifié de « mozartien » – qu’il reçut sa formation chrétienne, humaine et culturelle.

Le temps de sa jeunesse ne fut pas facile. La foi et l’éducation de sa famille le préparèrent à la difficile expérience des problèmes liés au régime nazi: il a rappelé qu’il avait vu son curé roué de coups par les nazis avant la célébration de la Messe, et qu’il avait fait l’expérience du climat de forte hostilité vis-à-vis de l’Eglise catholique en Allemagne.

Mais c’est précisément dans cette situation complexe qu’il découvrit la beauté et la vérité de la foi dans le Christ, et le rôle de sa famille a été fondamental, car elle a toujours continué de vivre un témoignage transparent de bonté et d’espérance enraciné dans l’appartenance consciente à l’Eglise.
Alors que la tragédie de la Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin, il fut enrôlé dans les services auxiliaires anti-aériens.

De 1946 à 1951, il étudia la philosophie et la théologie à l’Ecole supérieure de philosophie et de théologie de Freising et à l’Université de Munich.

Le 29 juin de l’année 1951 il fut ordonné prêtre.

A peine un an plus tard, dom Joseph commença son activité didactique dans cette même Ecole de Freising où il avait été étudiant.

En 1953, il devint titulaire d’une Maîtrise en théologie avec un mémoire sur le thème « Peuple et Maison de Dieu dans la doctrine de l’Eglise de saint Augustin ».

En 1957, il obtint l’habilitation au professorat sous la direction du célèbre professeur de théologie fondamentale de Munich, Gottlieb Söhngen, avec un mémoire sur: « La théologie de l’histoire de saint Bonaventure ».

Après avoir été enseignant de dogmatique et de théologie fondamentale à l’Ecole supérieure de Freising, il poursuivit sa carrière d’enseignant à Bonn (1959-1969), à Münster (1963-1966) et à Tübingen (1966-1969). A partir de 1969, il fut professeur de dogmatique et d’histoire des dogmes à l’Université de Ratisbonne où il assuma également la charge de Vice-Président de l’Université.

Son intense activité scientifique le conduisit à assumer des fonctions importantes au sein de la Conférence épiscopale allemande et de la Commission théologique internationale.

Parmi ses nombreuses et prestigieuses publications, certaines ont reçu un grand écho, comme « Introduction au christianisme » (1968), un recueil de leçons universitaires sur la « profession de foi apostolique ».

Plus tard, en 1973, a été publié le volume: « Dogme et Révélation » qui réunit les essais, les méditations et les homélies consacrées à la pastorale.

Son discours prononcé devant l’Académie catholique bavaroise sur le thème: « Pourquoi je suis encore dans l’Eglise? » a également eu un très large retentissement. Il y déclara avec sa clarté habituelle: « Il n’y a que dans l’Eglise qu’il est possible d’être chrétien, et pas à côté de l’Eglise ».

La série de ses éminentes publications s’est poursuivie, toujours abondante et régulière au cours des ans, constituant un point de référence pour un très grand nombre de personnes et assurément pour tous ceux qui se consacrent à l’étude approfondie de la théologie. Que l’on pense, par exemple, au volume « Entretien sur la foi » de 1985 et au « Sel de la terre » en 1996. Rappelons également le livre « A l’école de la Vérité », imprimé à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire.

Il faut ensuite souligner la grande valeur, centrale dans la vie du Pasteur Ratzinger, de la profonde et fructueuse expérience de sa participation au Concile Vatican II en qualité d' »expert », qu’il a également vécue comme une confirmation de sa vocation qu’il a lui-même définie de « théologique ».
La 25 mars 1977, le Pape Paul VI le nomma Archevêque de Munich et Freising.

Il reçut l’ordination épiscopale le 28 mai de la même année: premier prêtre diocésain à assumer, depuis quatre-vingts ans, la charge pastorale du grand diocèse de Bavière. Il choisit comme devise épiscopale: « Collaborateur de la Vérité ».

C’est également le Pape Montini qui l’a créé et publié Cardinal, avec le titre de « Santa Maria Consolatrice al Tiburtino », lors du Consistoire du 27 juin 1977.

Il fut Rapporteur à la cinquième Assemblée générale du Synode des Evêques (1980) sur le thème de la famille chrétienne dans le monde contemporain. A cette occasion, dans son premier Rapport, il avait proposé une analyse précise et approfondie sur la situation de la famille dans le monde, en soulignant à ce propos la crise de la culture traditionnelle face à la mentalité techniciste et purement rationnelle. A côté des aspects négatifs, il n’avait pas manqué de mettre en évidence la redécouverte du véritable personnalisme chrétien comme un levain qui féconde l’expérience conjugale de très nombreux couples d’époux, et il avait également invité à présenter une juste évaluation du rôle de la femme, qu’il faut compter parmi les questions fondamentales dans la réflexion sur le mariage et sur la famille. Dans la deuxième partie de son Rapport, consacrée au dessein de Dieu pour les familles d’aujourd’hui, il avait rappelé avant tout que la condition d’homme et de femme sont des expressions de la communion des personnes comme signe original du don d’amour du Créateur. Il s’ensuit – avait-il souligné – que l’amour de l’homme et de la femme n’est pas une chose privée, ni profane, ni purement biologique, mais quelque chose de sacré qui introduit à un « état », à une nouvelle forme de vie, permanente et responsable. Le mariage et la famille – avait-il rappelé avec force – précèdent, en quelque sorte, la chose publique, et celle-ci doit respecter le droit propre au mariage et à la famille et son mystère intime. Dans la troisième partie, le Cardinal avait affronté les questions pastorales liées à la famille: de celles de la construction d’une communauté de personnes à la question de la procréation de la vie, du devoir éducatif à la nécessité de la préparation des jeunes au mariage et à la vie familiale, des devoirs sociaux aux devoirs culturels et moraux. La famille, avait-il conclu, peut témoigner devant le monde d’une nouvelle humanité face à la domination du matérialisme, de l’hédonisme et de la permissivité.

Il fut également Président Délégué de la Sixième Assemblée (1983) qui a eu pour thème la réconciliation et la pénitence dans la mission de l’Eglise. Dans son intervention aux travaux, il avait réitéré les dispositions pastorales promulguées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi concernant le Sacrement de la réconciliation et il avait approfondi, en particulier, les thèmes liés à deux questions qui étaient apparues plusieurs fois au cours des travaux de l’assemblée; celle concernant l’obligation de confesser les péchés graves déjà absous lors de l’absolution générale et celle concernant la confession personnelle comme élément essentiel du Sacrement.

Sa parole a offert une contribution fondamentale au niveau de la réflexion et de la comparaison dans le déroulement de tous les Synodes des Evêques.

Le 25 novembre 1981, Jean-Paul II le nomma Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il devint également Président de la Commission pontificale biblique et de la Commission théologique internationale. Le 15 février 1982, il renonçait à la charge pastorale de l’archidiocèse de Munich et Freising.

Son service comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi fut inlassable et il serait impossible de détailler l’ensemble de son travail dans le cadre d’une biographie. Son oeuvre, comme collaborateur de Jean-Paul II fut ininterrompue et précieuse.

Parmi les très nombreux points de référence de son oeuvre, il faut signaler son rôle comme Président de la Commission pour la Préparation du Catéchisme de l’Eglise catholique.

Le 5 avril 1993, il fut appelé au sein du Collège cardinalice à faire partie de l’ordre des Evêques, et il prit possession du Titre de l’église suburbicaire de Velletri-Segni.

Le 6 novembre 1998 il fut nommé Vice-Doyen du Collège cardinalice et le 30 novembre 2002 il en devint le Doyen: à ce titre, il prit possession de l’Eglise suburbicaire d’Ostie.

Avant son élection sur la Chaire de Pierre, il fut Membre du Conseil de la II Section de la Secrétairerie d’Etat; des Congrégations pour les Eglises orientales; pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements; pour les Evêques; pour l’Evangélisation des Peuples; pour l’Education catholique; du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens; de la Commission pontificale pour l’Amérique latine et de la Commission pontificale « Ecclesia Dei ».

A l’occasion du cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale, Jean-Paul II lui envoya un message dans lequel, soulignant que son jubilé coïncidait avec la solennité liturgique des saints Pierre et Paul, il lui rappela à travers des paroles en quelque sorte « prophétiques », que « en Pierre se trouve le principe d’unité, fondé sur la foi solide comme le roc du Prince des Apôtres, en Paul l’exigence intrinsèque de l’Evangile d’appeler chaque homme et chaque peuple à l’obéissance de la foi. Ces deux dimensions se mêlent au témoignage commun de sainteté, qui a cimenté le généreux dévouement des deux apôtres au service de l’Epouse immaculée de Dieu. Comment ne pas découvrir dans ces deux composantes – se demandait Jean-Paul II – également les points de repère fondamentaux du chemin que la Providence a préparé pour vous, Monsieur le Cardinal, en vous appelant au sacerdoce? ».

C’est au Cardinal Ratzinger que furent confiées les méditations de la Via Crucis 2005 célébrée au Colisée. Lors de cet inoubliable Vendredi Saint, Jean-Paul II, serrant le crucifix entre ses mains, comme agripé à lui, devenant une émouvante icône de la souffrance, écouta dans un recueillement silencieux les paroles de celui qui allait devenir son Successeur sur la Chaire de Pierre. De manière significative, le leitmotiv de la Via Crucis fut la parole prononcée par Jésus le Dimanche des Rameaux, par laquelle – immédiatement après son entrée dans Jérusalem – il répond à la demande d’un groupe de grecs qui désiraient le voir: « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). A travers ces paroles, le Seigneur a offert une interprétation « eucharistique » et « sacramentelle » de sa Passion. Il nous montre – telle a été la réflexion du Cardinal – que la Via Crucis n’est pas simplement une chaîne de douleur, de choses néfastes, mais un mystère: c’est justement ce processus par lequel le grain de blé tombe en terre et porte du fruit. En d’autres termes, il nous montre que la Passion est une offrande de soi-même et que ce sacrifice porte du fruit et devient alors un don pour tous.

Ses réflexions, qui résonnèrent le soir du Vendredi Saint dans le cadre suggestif du Colisée, sont restées imprimées dans la conscience des hommes. « Mais ne devons-nous pas penser également – telle a été son invitation vibrante lors de la méditation de la neuvième Station – à ce que le Christ doit souffrir dans son Eglise elle-même? Combien de fois abusons-nous du Saint-Sacrement de sa présence, dans quel coeur vide et mauvais entre-t-il souvent! Combien de fois ne célébrons-nous que nous-mêmes, et ne prenons-nous même pas conscience de sa présence! Combien de fois sa Parole est-elle déformée et galvaudée! Quel manque de foi dans de très nombreuses théories, combien de paroles creuses! Que de souillures dans l’Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement! Combien d’orgueil et d’autosuffisance! ». « Souvent, Seigneur – telle a été la prière qui a jailli de son coeur -, ton Eglise nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Eglise nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons! C’est nous-mêmes qui te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes. Prends pitié de ton Eglise… Tu t’es relevé, tu es ressuscité et tu peux aussi nous relever. Sauve ton Eglise et sanctifie-la. Sauve-nous tous et sanctifie-nous » .

Vingt-quatre heures à peine avant la mort de Jean-Paul II, alors qu’il recevait à Subiaco le « Prix Saint-Benoît » décerné par le Fondation « Vie et Famille », il avait répété avec des paroles aujourd’hui particulièrement éloquente: « Nous avons besoin d’hommes comme Benoît de Norcia, qui en un temps de dissipation et de décadence, s’abîma dans la solitude la plus extrême, réussissant, après toutes les purifications qu’il dut subir, à remonter à la lumière. Il rentra et fonda le Mont-Cassin, la ville sur les hauteurs qui, au milieu de toutes ces ruines, réunit les forces à partir desquelles fut créé un monde nouveau. Ainsi Benoît, comme Abraham, devint le père d’un grand nombre de peuples ».
Le vendredi 8 avril – en tant que Doyen du Collège Cardinalice – il présida la Messe d’obsèques de Jean-Paul II sur la Place Saint-Pierre. Son homélie, peut-on dire, a exprimé sa grande fidélité au Pape et sa propre mission: «  »Suis-moi », dit le Seigneur ressuscité à Pierre; telle est sa dernière parole à ce disciple, choisi pour paître ses brebis. « Suis-moi » – cette parole lapidaire du Christ peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la vie de notre regretté et bien-aimé Pape Jean-Paul II, dont nous déposons aujourd’hui le corps dans la terre comme semence d’immortalité – avec le coeur rempli de tristesse, mais aussi de joyeuse espérance et de profonde gratitude ».

« Suis-moi! » a été la parole-clé, le fil conducteur de l’homélie que le Cardinal Ratzinger a adressée au monde entier durant les obsèques du Saint-Père. Une parole qui raconte la mission de Jean-Paul II et qui constitue dans le même temps une exhortation qui vise chacun.

«  »Suis-moi! » En même temps qu’il lui confiait de paître son troupeau – telles furent les paroles bouleversantes du Cardinal Ratzinger dans son homélie vibrante et émue lors de la Messe de funérailles -, le Christ annonça à Pierre son martyre. Par cette parole qui conclut et qui résume le dialogue sur l’amour et sur la charge de pasteur universel, le Seigneur rappelle un autre dialogue, qui s’est passé pendant la dernière Cène. Jésus avait dit alors: « Là où je m’en vais, vous ne pouvez pas y aller ». Pierre lui dit: « Seigneur, où vas-tu? ». Jésus lui répondit: « Là où je m’en vais, tu ne peux pas me suivre pour l’instant; tu me suivras plus tard » (Jn 13, 33.36). Jésus va de la Cène à la Croix, et à la Résurrection – il entre dans le mystère pascal; Pierre ne peut pas encore le suivre. Maintenant – après la Résurrection – ce moment est venu, ce « plus tard ». En étant le Pasteur du troupeau du Christ, Pierre entre dans le mystère pascal, il va vers la Croix et la Résurrection. Le Seigneur le dit par ces mots, « Quand tu étais jeune… tu allais où tu voulais, mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). Dans la première période de son pontificat, le Saint-Père, encore jeune et plein de force, allait, sous la conduite du Christ, jusqu’aux confins du monde. Mais ensuite il est entré de plus en plus dans la communion aux souffrances du Christ, il a compris toujours mieux la vérité de ces paroles: « C’est un autre qui te mettra ta ceinture… ». Et vraiment, dans cette communion avec le Seigneur souffrant, il a annoncé infatigablement et avec une intensité renouvelée l’Evangile, le mystère de l’amour qui va jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1) ».

« Il a interprété pour nous – a affirmé le Cardinal Ratzinger – le mystère pascal comme mystère de la Divine miséricorde… Le Pape a souffert et aimé en communion avec le Christ et c’est pourquoi le message de sa souffrance et de son silence a été si éloquent et si fécond » (ibid.). Il a ensuite conclu par des paroles qui constituent en quelque sorte une « synthèse », pourrait-on dire, du Pontificat de Jean-Paul II, mais également de sa propre mission de fidèle, de collaborateur direct et très proche du Pape depuis 1981, comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi: « Divine Miséricorde: le Saint-Père a trouvé le reflet le plus pur de la miséricorde de Dieu dans la Mère de Dieu. Lui, qui tout jeune avait perdu sa mère, en a d’autant plus aimé la Mère de Dieu. Il a entendu les paroles du Seigneur crucifié comme si elles lui étaient personnellement adressées: « Voici ta Mère ». Et il a fait comme le disciple bien-aimé: il l’a accueillie au plus profond de son être (eis ta idia: Jn 19, 27) – Totus Tuus. Et de cette Mère il a appris à se conformer au Christ. Pour nous tous demeure inoubliable la manière dont en ce dernier Dimanche de Pâques de son existence, le Saint-Père, marqué par la souffrance, s’est montré encore une fois à la fenêtre du Palais apostolique et a donné une dernière fois la Bénédiction « Urbi et Orbi ». Nous pouvons être sûrs que notre Pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la Maison du Père, qu’il nous voit et qu’il nous bénit. Oui, puisses-tu nous bénir, Très Saint-Père; nous confions ta chère âme à la Mère de Dieu, ta Mère, qui t’a conduit chaque jour et te conduira maintenant à la gloire éternelle de son Fils, Jésus Christ, notre Seigneur » (ibid.).

A la veille de son élection sur le Trône pontifical, dans la matinée du lundi 18 avril, dans la Basilique Vaticane, il a célébré la Messe « pro eligendo Romano Pontifice » avec les 115 Cardinaux, à quelques heures du début du Conclave qui allait l’élire. « En cette heure de grande responsabilité – a exhorté le Cardinal -, nous écoutons avec une attention particulière ce que le Seigneur nous dit ». En se référant aux lectures de la Liturgie, il a rappelé: « La miséricorde divine pose une limite au mal – nous a dit le Saint-Père. Jésus Christ est la miséricorde divine en personne: rencontrer le Christ signifie rencontrer la miséricorde de Dieu. Le mandat du Christ est devenu notre mandat à travers l’onction sacerdotale; nous sommes appelés à promulguer – non seulement à travers nos paroles mais également notre vie, avec les signes efficaces des sacrements, « l’année de grâce du Seigneur » ». « La miséricorde du Christ – a-t-il souligné – n’est pas une grâce à bon marché, elle ne suppose pas la banalisation du mal. Le Christ porte dans son corps et sur son âme tout le poids du mal, toute sa force destructrice. Il brûle et transforme le mal dans la souffrance, dans le feu de son amour qui souffre ». « Plus nous sommes touchés par la miséricorde du Seigneur – a-t-il ajouté -, plus nous devenons solidaires de sa souffrance – et plus nous sommes prêts à compléter dans notre chair « ce qu’il manque aux épreuves du Christ » (Col 1, 24) ».

« Nous ne devrions pas – a-t-il ensuite exhorté – rester des enfants dans la foi, dans un état de minorité… Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée… La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues – jetée d’un extrême à l’autre: du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme; du collectivisme à l’individualisme radical; de l’athéïsme à un vague mysticisme religieux; de l’agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l’imposture des hommes, de l’astuce qui tend à les induire en erreur (cf. Ep 4, 14). Posséder une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner « à tout vent de la doctrine », apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle. L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure: le Fils de Dieu, l’homme véritable. C’est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi « adulte » ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l’amitié avec le Christ. C’est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité. Cette foi adulte doit mûrir en nous, c’est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ ». « Notre ministère – a-t-il rappelé en conclusion – est un don du Christ aux hommes, pour édifier son Corps – le monde nouveau. Nous vivons notre ministère ainsi, comme un don du Christ aux hommes! Mais en cette heure, en particulier, nous prions avec insistance le Seigneur afin qu’après le grand don du Pape Jean-Paul II, il nous donne à nouveau un pasteur selon son coeur, un pasteur qui nous guide à la connaissance du Christ, à son amour, à la joie véritable » (Ibid.)

Dans sa dernière audience, le mercredi 27 février, Benoît XVI remercie l’ensemble de l’Eglise pour sa proximité dans son ministère et rappelle que sa mission est de continuer à se consacrer à elle dans la prière. Le Saint-Père a consacré sa dernière audience générale hebdomadaire, tenue Place Saint-Pierre devant 200.000 personnes, à tracer un panorama de son service apostolique. Voici une traduction de son intervention, prononcée en italien :  « Merci d’être venus si nombreux à ce dernier rendez-vous. Merci de tout coeur. Je suis profondément ému ! En vous je reconnais l’Eglise vivante. Et puis remercions le Créateur pour ce beau soleil d’hiver ».

 

« Comme l’apôtre Paul dans le texte biblique que nous avons entendu, je veux remercier tout particulièrement Dieu qui guide et édifie l’Eglise, qui sème sa Parole et nourrit ainsi la foi de son peuple. En ce moment, mon cœur s’élargit et embrasse toute l’Eglise à travers le monde, et je remercie Dieu pour les signes que j’ai reçu durant mes années de ministère pétrinien quant à la foi dans le Seigneur, sur l’amour qui circule vraiment dans le corps de l’Eglise et la fait vivre dans l’amour, sur l’espérance qui nous tend vers la plénitude de la vie, vers la patrie céleste. Je vous porte tous dans la prière, dans une présence de Dieu que je trouve à chaque réunion, à chaque voyage, à chaque visite pastorale. Je rassemble tout et tous dans ma prière et vous confie au Seigneur, parce que nous savons sa volonté en toute sagesse et intelligence spirituelle, et parce que nous nous comportons d’une manière digne de lui et de son amour, en apportant du fruit en toute bonne œuvre. Il y a en moi une grande confiance parce que je sais que la parole de vérité de l’Evangile est la force de l’Eglise, sa vie même. L’Evangile purifie et renouvelle, porte des fruits partout où la communauté des croyants l’écoute et reçoit la grâce de Dieu dans la vérité et vit dans la charité. C’est ma conviction, c’est là ma joie ».

« Lorsque, il y a presque huit ans, j’ai accepté d’assumer le ministère pétrinien, cette certitude m’a toujours accompagné, la certitude de ce que la vie de l’Eglise découle de la Parole de Dieu. Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, les mots qui, ce 19 avril, ont été prononcés dans mon cœur étaient : « Seigneur, pourquoi me demande-tu cela, quelle est ta volonté ? » C’est un grand poids que tu déposes sur mes épaules. Mais si tu me le demandes, sur ton ordre et malgré toutes mes faiblesses je jetterais en confiance les filets. Huit ans après, je peux assurer que le Seigneur m’a guidé. Il m’a été proche et j’ai pu sentir sa présence chaque jour. Ce fut une étape du voyage de l’Eglise qui a connu des moments de joie et de lumière, mais aussi des moments difficiles. Je me suis senti comme Pierre et les apôtres dans la barque du lac de Galilée. Le Seigneur nous a donné de nombreux jours de soleil ou une brise légère, des jours de pêche abondante, mais aussi des moments de tempête et de grand vent, comme dans toute l’histoire de l’Eglise. Et le Seigneur semblait dormir. Mais j’ai toujours su que le Seigneur est présent dans la barque et j’ai toujours su que la barque de l’Eglise ne m’appartient pas. Elle n’est propriété de personne, mais sienne. Et il ne la laisse pas chavirer. C’est lui qui la conduit, y compris à travers les hommes qu’il a choisi. C’est là une certitude que rien ne peut ternir. Et c’est pourquoi, aujourd’hui, mon cœur est rempli de gratitude envers Dieu parce qu’il n’a jamais abandonné ni son Eglise ni ma personne. Il m’a accordé sa consolation, sa lumière, son amour ».

« Nous sommes dans l’Année de la foi, par laquelle j’ai voulu renforcer notre foi en Dieu dans un contexte qui semble de plus en plus le reléguer au second plan. Je voudrais inviter chacun de vous à renouveler sa confiance dans le Seigneur, comme des enfants dans les bras de Dieu. Elle nous soutient et nous permet de marcher jours après jours, même dans les difficultés. Je voudrais que chacun se sente aimé par le Dieu qui a offert son Fils pour nous et qui nous a montré son amour sans limite. Je voudrais que chacun ressente la joie d’être chrétien. Une belle prière matinale dit : « Je vous adore, ô mon Dieu, Je vous aime de tout mon cœur. Je vous remercie de m’avoir créé et fait chrétien. » Oui, nous sommes heureux d’avoir reçu le don de la foi qui est la chose la plus précieuse, que personne ne peut nous enlever ! Remercions Dieu tous les jours, par la prière et par une vie chrétienne cohérente. Dieu nous aime, mais attend aussi que nous l’aimions ».

« Mais ce n’est pas seulement Dieu que je tiens à remercier maintenant. Un Pape n’est pas seulement à la direction de la barque de Pierre, même si c’est sa première responsabilité. Je ne me suis jamais senti seul à porter la joie et le poids du ministère pétrinien. Le Seigneur a mis à mes côtés tant de personnes, qui avec générosité et amour pour Dieu et pour l’Eglise, m’ont aidé et m’ont été proches. Tout d’abord vous, chers frères Cardinaux : votre sagesse, vos conseils, votre amitié ont été précieux pour moi ; mes collaborateurs, à commencer par mon Secrétaire d’Etat qui m’a accompagné fidèlement au fil des ans, la Secrétairerie d’État et l’ensemble de la Curie romaine, ainsi que tous ceux qui, dans divers domaines, sont au service du Saint-Siège : tant de visages qui ne se font pas voir, restent dans l’ombre, mais dans le silence, dans leur travail quotidien, avec un esprit de foi et d’humilité ont été pour moi un soutien sûr et fiable. Une pensée spéciale à l’Eglise de Rome, mon diocèse ! Je ne peux pas oublier les frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce, les personnes consacrées et tout le peuple de Dieu : dans les visites pastorales, les rencontres, les audiences, les voyages, j’ai toujours perçu une grande attention et une affection profonde. J’ai moi aussi aimé tous et chacun, sans distinction, avec cette charité pastorale qui est le cœur de tout pasteur, surtout de l’évêque de Rome, du Successeur de l’Apôtre Pierre. Chaque jour, j’ai porté chacun de vous dans la prière, avec un cœur de père ».

« Je voudrais que mes salutations et mes remerciements vous atteignent tous. Le cœur d’un pape s’étend au monde entier. Et je voudrais exprimer ma gratitude au Corps diplomatique près du Saint-Siège, qui rend présente la grande famille des nations. Ici, je pense aussi à tous ceux qui travaillent pour une bonne communication et je les remercie de leur important service. Je voudrais maintenant remercier de tout cœur aussi les nombreuses personnes de par le monde qui, ces dernières semaines, m’ont envoyé des signes émouvant d’attention, d’amitié et de prière. Oui, le pape n’est jamais seul, je l’éprouve encore maintenant d’une telle façon que cela me touche le cœur. Le pape appartient à tous et de nombreuses personnes se sentent très proches de lui. Il est vrai que je reçois des lettres des plus grands de ce monde – des chefs d’Etat, des chefs religieux, des représentants du monde de la culture etc. Mais je reçois aussi beaucoup de lettres de gens ordinaires qui m’écrivent tout simplement avec leur cœur et me font sentir leur affection, qui naît de notre expérience avec Jésus-Christ, dans l’Eglise. Ces personnes ne m’écrivent pas comme l’on écrit à un prince ou à un grand que l’on ne connaît pas. Ils m’écrivent comme des frères et sœurs, ou comme des fils et filles, avec une familiarité très affectueuse. Ici vous pouvez toucher du doigt ce qu’est l’Eglise – non une organisation, une association à des fins religieuses ou humanitaires, mais un corps vivant, une communion de frères et sœurs dans le Corps de Jésus-Christ, qui nous unit tous. Faire l’expérience de l’Eglise de cette façon et pouvoir presque toucher avec les mains la force de sa vérité et de son amour est une source de joie, à une époque où beaucoup parlent de son déclin. Mais nous voyons combien l’Eglise est vivante aujourd’hui ! « .

« Ces derniers mois, j’ai senti que mes forces avaient diminué, et j’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste, non pour mon bien, mais pour le bien de l’Eglise. J’ai pris cette décision pleinement conscient de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité de l’esprit. Aimer l’Eglise, c’est aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, de souffrance, mettant toujours en priorité le bien de l’Eglise et non de soi-même. Permettez-moi de revenir encore une fois au 19 avril 2005. La gravité de la décision est aussi justement venue du fait qu’à partir de ce moment-là j’étais engagé toujours et pour toujours par le Seigneur. Celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus jamais de vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Eglise. Sa vie est, pour ainsi dire, totalement privée de sa dimension privée. J’ai pu expérimenter, et je l’éprouve précisément maintenant, que l’on reçoit la vie quand on la donne. J’ai déjà dit que beaucoup de gens qui aiment le Seigneur aiment aussi le Successeur de saint Pierre et ont pour lui beaucoup d’affection, que le pape a vraiment des frères et des sœurs, des fils et des filles du monde entier, et qu’il se sent en sécurité quand il est en communion avec vous, parce qu’il ne s’appartient plus lui-même, il appartient à tous et tous appartiennent à lui. Le toujours est aussi un pour toujours. Il n’y a plus de retour à la vie privée. Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère, ne change pas cela. Je ne reviens pas à la vie privée, à une vie de voyages, de rencontres, de réceptions, de conférences, etc. Je n’abandonne pas la croix, mais je reste d’une nouvelle façon près du Seigneur crucifié. Je ne porte plus la puissance de l’office pour le gouvernement de l’Eglise, mais dans le service de la prière, je reste, pour ainsi dire, dans la cour de saint Pierre. Saint Benoît, dont je porte le nom comme Pape, me sera d’un bon exemple en cela. Il nous a montré la voie pour une vie qui, active ou passive, appartient entièrement à l’œuvre de Dieu. Je remercie tous et chacun pour votre respect et la compréhension avec laquelle vous avez accueilli cette décision si importante. Je continuerai d’accompagner le chemin de l’Église par la prière et la réflexion, avec cette consécration au Seigneur et à son épouse, que j’ai cherché à vivre jusqu’à présent tous les jours et que je voudrais toujours vivre. Je vous demande de vous souvenir de moi devant Dieu, et surtout de prier pour les cardinaux, qui sont appelés à une tâche si importante, et pour le nouveau successeur de Pierre. Que le Seigneur l’accompagne avec la lumière et la force de son Esprit ».

AU MONDE DE LA CULTURE

DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI

Collège des Bernardins, Paris
Vendredi 12 septembre
2008

 

Monsieur le Cardinal,
Madame le Ministre de la Culture,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Chers amis
,

Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos aimables paroles. Nous nous trouvons dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint Bernard de Clairvaux et que votre grand prédécesseur, le regretté Cardinal Jean-Marie Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec les courants culturels, intellectuels et artistiques de votre société. Je salue particulièrement Madame le Ministre de la Culture qui représente le gouvernement, ainsi que Monsieur Giscard d’Estaing et Monsieur Chirac. J’adresse également mes salutations aux ministres présents, aux représentants de l’UNESCO, à Monsieur le Maire de Paris et à toutes les autres autorités. Je ne veux pas oublier mes collègues de l’Institut de France qui savent ma considération et je désire remercier le Prince de Broglie de ses paroles cordiales. Nous nous reverrons demain matin. Je remercie les délégués de la communauté musulmane française d’avoir accepté de participer à cette rencontre ; je leur adresse mes vœux les meilleurs en ce temps du ramadan. Mes salutations chaleureuses vont maintenant tout naturellement vers l’ensemble du monde multiforme de la culture que vous représentez si dignement, chers invités.

J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne. J’ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont ici vécu pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ? Pour pouvoir répondre, nous devons réfléchir un instant sur la nature même du monachisme occidental. De quoi s’agissait-il alors ? En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu’au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle. Comment cela s’est-il passé ? Quelle était la motivation des personnes qui se réunissaient en ces lieux ? Quels étaient leurs désirs ? Comment ont-elles vécu ?

Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu vers l’« eschatologie ». Mais cela ne doit pas être compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. Quaerere Deum : comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole, ou, comme le disait Dom Jean Leclercq : eschatologie et grammaire sont dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre (cf. L’amour des lettres et le désir de Dieu, p.14). Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici servitii schola, une école du service du Seigneur. L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole.

Pour avoir une vision d’ensemble de cette culture de la parole liée à la recherche de Dieu, nous devons faire un pas supplémentaire. La Parole qui ouvre le chemin de la recherche de Dieu et qui est elle-même ce chemin, est une Parole qui donne naissance à une communauté. Elle remue certes jusqu’au fond d’elle-même chaque personne en particulier (cf. Ac 2, 37). Grégoire le Grand décrit cela comme une douleur forte et inattendue qui secoue notre âme somnolente et nous réveille pour nous rendre attentifs à la réalité essentielle, à Dieu (cf. Leclercq, ibid., p. 35). Mais elle nous rend aussi attentifs les uns aux autres. La Parole ne conduit pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle, mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. C’est pourquoi il faut non seulement réfléchir sur la Parole, mais également la lire de façon juste. Tout comme à l’école rabbinique, chez les moines, la lecture accomplie par l’un d’eux est également un acte corporel. « Le plus souvent, quand legere et lectio sont employés sans spécification, ils désignent une activité qui, comme le chant et l’écriture, occupe tout le corps et tout l’esprit », dit à ce propos Dom Leclercq (ibid., p. 21).

Il y a encore un autre pas à faire. La Parole de Dieu elle-même nous introduit dans un dialogue avec Lui. Le Dieu qui parle dans la Bible nous enseigne comment nous pouvons Lui parler. En particulier, dans le Livre des Psaumes, il nous donne les mots avec lesquelles nous pouvons nous adresser à Lui. Dans ce dialogue, nous Lui présentons notre vie, avec ses hauts et ses bas, et nous la transformons en un mouvement vers Lui. Les Psaumes contiennent en plusieurs endroits des instructions sur la façon dont ils doivent être chantés et accompagnés par des instruments musicaux. Pour prier sur la base de la Parole de Dieu, la seule labialisation ne suffit pas, la musique est nécessaire. Deux chants de la liturgie chrétienne dérivent de textes bibliques qui les placent sur les lèvres des Anges : le Gloria qui est chanté une première fois par les Anges à la naissance de Jésus, et le Sanctus qui, selon Isaïe 6, est l’acclamation des Séraphins qui se tiennent dans la proximité immédiate de Dieu. Sous ce jour, la Liturgie chrétienne est une invitation à chanter avec les anges et à donner à la parole sa plus haute fonction. À ce sujet, écoutons encore une fois Jean Leclercq : « Les moines devaient trouver des accents qui traduisent le consentement de l’homme racheté aux mystères qu’il célèbre : les quelques chapiteaux de Cluny qui nous aient été conservés montrent les symboles christologiques des divers tons du chant » (cf. ibid.,  p. 229).

Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (cf. 138, 1). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. À partir de là, on peut comprendre la sévérité d’une méditation de saint Bernard de Clairvaux qui utilise une expression de la tradition platonicienne, transmise par saint Augustin, pour juger le mauvais chant des moines qui, à ses yeux, n’était en rien un incident secondaire. Il qualifie la cacophonie d’un chant mal exécuté comme une chute dans la regio dissimilitudinis, dans la ‘région de la dissimilitude’. Saint Augustin avait tiré cette expression de la philosophie platonicienne pour caractériser l’état de son âme avant sa conversion (cf. Confessions, VII, 10.16) : l’homme qui est créé à l’image de Dieu tombe, en conséquence de son abandon de Dieu, dans la ‘région de la dissimilitude’, dans un éloignement de Dieu où il ne Le reflète plus et où il devient ainsi non seulement dissemblable à Dieu, mais aussi à sa véritable nature d’homme. Saint Bernard se montre ici évidemment sévère en recourant à cette expression, qui indique la chute de l’homme loin de lui-même, pour qualifier les chants mal exécutés par les moines, mais il montre à quel point il prend la chose au sérieux. Il indique ici que la culture du chant est une culture de l’être et que les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés, est née la grande musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité » personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité.

Enfin, pour s’efforcer de saisir cette culture monastique occidentale de la parole, qui s’est développée à partir de la quête intérieure de Dieu, il faut au moins faire une brève allusion à la particularité du Livre ou des Livres par lesquels cette Parole est parvenue jusqu’aux moines. Vue sous un aspect purement historique ou littéraire, la Bible n’est pas simplement un livre, mais un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire et dont les différents livres ne sont pas facilement repérables comme constituant un corpus unifié. Au contraire, des tensions visibles existent entre eux. C’est déjà le cas dans la Bible d’Israël, que nous, chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Ça l’est plus encore quand nous, chrétiens, lions le Nouveau Testament et ses écrits à la Bible d’Israël en l’interprétant comme chemin vers le Christ. Avec raison, dans le Nouveau Testament, la Bible n’est pas de façon habituelle appelée « l’Écriture » mais « les Écritures » qui, cependant, seront ensuite considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée. Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines, c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, à travers leurs paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite, que l’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire de façon moderne : l’unité des livres bibliques et le caractère divin de leurs paroles ne sont pas saisissables d’un point de vue purement historique. L’élément historique se présente dans le multiple et l’humain. Ce qui explique la formulation d’un distique médiéval qui, à première vue, apparaît déconcertant : Littera gesta docet – quid credas allegoria…(cf. Augustin de Dacie, Rotulus pugillaris, I). La lettre enseigne les faits ; l’allégorie ce qu’il faut croire, c’est-à-dire l’interprétation christologique et pneumatique.

Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en elle, se révèle le sens qui unifie le tout. Dit sous une autre forme : il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire. À travers la perception croissante de la pluralité de ses sens, la Parole n’est pas dévalorisée, mais elle apparaît, au contraire, dans toute sa grandeur et sa dignité. C’est pourquoi le « Catéchisme de l’Église catholique » peut affirmer avec raison que le christianisme n’est pas au sens classique seulement une religion du livre (cf. n. 108). Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui déploie son mystère à travers cette multiplicité et la réalité d’une histoire humaine. Cette structure particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque génération. Selon sa nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui « fondamentalisme ». La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital. Ce n’est que dans l’unité dynamique de leur ensemble que les nombreux livres ne forment qu’un Livre. La Parole de Dieu et Son action dans le monde se révèlent seulement dans la parole et dans l’histoire humaines.

Le caractère crucial de ce thème est éclairé par les écrits de saint Paul. Il a exprimé de manière radicale ce que signifie le dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Et encore : « Là où est l’Esprit…, là est la liberté » (2 Co 3, 17). Toutefois, la grandeur et l’ampleur de cette perception de la Parole biblique ne peut se comprendre que si l’on écoute saint Paul jusqu’au bout, en apprenant que cet Esprit libérateur a un nom et que, de ce fait, la liberté a une mesure intérieure : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17). L’Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L’Esprit est Christ, et le Christ est le Seigneur qui nous montre le chemin. Avec cette parole sur l’Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’amour. Cette tension entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’œuvre du monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, et de l’autre, le fanatisme fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.

En considérant « l’école du service du Seigneur » – comme Benoît appelait le monachisme -, nous avons jusque là porté notre attention prioritairement sur son orientation vers la parole, vers l’« ora ». Et, de fait, c’est à partir de là que se détermine l’ensemble de la vie monastique. Mais notre réflexion resterait incomplète, si nous ne fixions pas aussi notre regard, au moins brièvement, sur la deuxième composante du monachisme, désignée par le terme « labora ». Dans le monde grec, le travail physique était considéré comme l’œuvre des esclaves. Le sage, l’homme vraiment libre, se consacrait uniquement aux choses de l’esprit ; il abandonnait le travail physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n’étaient pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l’esprit. La tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de l’Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le travail de ses mains. Il n’était pas une exception, mais il se situait dans la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa Regula, saint Benoît ne parle pas au sens strict de l’école, même si l’enseignement et l’apprentissage – comme nous l’avons vu – étaient acquis dans les faits ; en revanche, il parle explicitement, dans un chapitre de sa Règle, du travail (cf. chap. 48). Augustin avait fait de même en consacrant au travail des moines un livre particulier. Les chrétiens, s’inscrivant dans la tradition pratiquée depuis longtemps par le judaïsme, devaient, en outre, se sentir interpelés par la parole de Jésus dans l’Évangile de Jean, où il défendait son action le jour du shabbat : « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (5, 17). Le monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la création de la matière. « L’ordonnancement » du monde était le fait du démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de la Bible est bien différent : Lui, l’Un, le Dieu vivant et vrai, est également le Créateur. Dieu travaille, il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. Et dans le Christ, il entre comme Personne dans l’enfantement laborieux de l’histoire. « Mon Père est toujours à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre ». Dieu Lui-même est le Créateur du monde, et la création n’est pas encore achevée. Dieu travaille, ergázetai ! C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole, constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde sont impensables. L’originalité de cet ethos devrait cependant faire comprendre que le travail et la détermination de l’histoire par l’homme sont une collaboration avec le Créateur, qui ont en Lui leur mesure. Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction.

Nous sommes partis de l’observation que, dans l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes, l’attitude de fond des moines était le quaerere Deum – se mettre à la recherche de Dieu. C’est là, pourrions-nous dire, l’attitude vraiment philosophique : regarder au-delà des réalités pénultièmes et se mettre à la recherche des réalités ultimes qui sont vraies. Celui qui devenait moine, s’engageait sur un chemin élevé et long, il était néanmoins déjà en possession de la direction : la Parole de la Bible dans laquelle il écoutait Dieu parler. Dès lors, il devait s’efforcer de Le comprendre pour pouvoir aller à Lui. Ainsi, le cheminement des moines, tout en restant impossible à évaluer dans sa progression, s’effectuait au cœur de la Parole reçue. La quête des moines comprend déjà en soi, dans une certaine mesure, sa résolution. Pour que cette recherche soit possible, il est nécessaire qu’il existe dans un premier temps un mouvement intérieur qui suscite non seulement la volonté de chercher, mais qui rende aussi crédible le fait que dans cette Parole se trouve un chemin de vie, un chemin de vie sur lequel Dieu va à la rencontre de l’homme pour lui permettre de venir à Sa rencontre. En d’autres termes, l’annonce de la Parole est nécessaire. Elle s’adresse à l’homme et forge en lui une conviction qui peut devenir vie. Afin que s’ouvre un chemin au cœur de la parole biblique en tant que Parole de Dieu, cette même Parole doit d’abord être annoncée ouvertement. L’expression classique de la nécessité pour la foi chrétienne de se rendre communicable aux autres se résume dans une phrase de la Première Lettre de Pierre, que la théologie médiévale regardait comme le fondement biblique du travail des théologiens : « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte (logos) de l’espérance qui est en vous » (3, 15). (Le Logos, la raison de l’espérance doit devenir apologie, doit devenir réponse). De fait, les chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas leur annonce missionnaire comme une propagande qui devait servir à augmenter l’importance de leur groupe, mais comme une nécessité intrinsèque qui dérivait de la nature de leur foi. Le Dieu en qui ils croyaient était le Dieu de tous, le Dieu Un et Vrai qui s’était fait connaître au cours de l’histoire d’Israël et, finalement, à travers son Fils, apportant ainsi la réponse qui concernait tous les hommes et, qu’au plus profond d’eux-mêmes, tous attendent. L’universalité de Dieu et l’universalité de la raison ouverte à Lui constituaient pour eux la motivation et, à la fois, le devoir de l’annonce. Pour eux, la foi ne dépendait pas des habitudes culturelles, qui sont diverses selon les peuples, mais relevait du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes.

Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ad extra – aux hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de saint Paul à l’Aréopage. N’oublions pas qu’à cette époque, l’Aréopage n’était pas une sorte d’académie où les esprits les plus savants se rencontraient pour discuter sur les sujets les plus élevés, mais un tribunal qui était compétent en matière de religion et qui devait s’opposer à l’intrusion de religions étrangères. C’est précisément ce dont on accuse Paul : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (Ac 17, 18). Ce à quoi Paul réplique : « J’ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription : « Au dieu inconnu ». Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je viens vous l’annoncer » (cf. 17, 23). Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice, non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la Lettre aux Romains (1, 21) – cette connaissance demeure ambigüe : un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui. La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. Verbum caro factum est (Jn 1, 14) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. C’est un fait rationnel. Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.

Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. Quaerere Deum – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable.

Merci beaucoup.

AUX JEUNES

DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI

Parvis de Notre-Dame, Paris
Vendredi 12 septembre
2008

 

Chers jeunes,

Après le recueillement priant des Vêpres à Notre-Dame, c’est avec enthousiasme que vous me saluez ce soir, donnant ainsi un caractère festif et très sympathique à cette rencontre. Elle me rappelle celle inoubliable de juillet dernier à Sydney, à laquelle certains d’entre vous ont participé à l’occasion de la Journée Mondiale de la Jeunesse. Ce soir, je voudrais vous parler de deux points profondément liés l’un à l’autre, qui constituent un véritable trésor où vous pourrez mettre votre cœur (cf. Mt 6, 21).

Le premier se rapporte au thème choisi pour Sydney. Il est aussi celui de votre veillée de prière qui va débuter dans quelques instants. Il s’agit d’un passage tiré des Actes des Apôtres, livre que certains appellent fort justement l’Évangile de l’Esprit Saint : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins » (Ac 1, 8). Le Seigneur le dit maintenant à vous ! Sydney a fait redécouvrir à de nombreux jeunes l’importance de l’Esprit Saint dans la vie du chrétien. L’Esprit nous met intimement en rapport avec Dieu, chez qui se trouve la source de toute richesse humaine authentique. Tous, vous cherchez à aimer et à être aimés ! C’est vers Dieu que vous devez vous tourner pour apprendre à aimer et pour avoir la force d’aimer. L’Esprit, qui est Amour, peut ouvrir vos cœurs pour recevoir le don de l’amour authentique. Tous, vous cherchez la vérité et vous voulez en vivre ! Cette vérité, c’est le Christ. Il est le seul Chemin, l’unique Vérité et la vraie Vie. Suivre le Christ signifie véritablement « prendre le large », comme le disent à plusieurs reprises les Psaumes. La route de la Vérité est en même temps une et multiple, selon les divers charismes de chacun, tout comme la Vérité est une et à la fois d’une richesse inépuisable. Confiez-vous à l’Esprit Saint pour découvrir le Christ. L’Esprit est le guide nécessaire de la prière, l’âme de notre espérance et la source de la vraie joie.

Pour approfondir ces vérités de foi, je vous encourage à méditer la grandeur du sacrement de la Confirmation que vous avez reçu et qui vous introduit dans une vie de foi adulte. Il est urgent de mieux comprendre ce sacrement pour vérifier la qualité et la profondeur de votre foi et pour l’affermir. L’Esprit Saint vous fait approcher du Mystère de Dieu et vous fait comprendre qui est Dieu. Il vous invite à voir dans votre prochain, le frère que Dieu vous a donné pour vivre avec lui en communion, humainement et spirituellement, pour vivre en Église, donc. En vous révélant qui est le Christ, mort et ressuscité pour nous, Il vous pousse à témoigner. Vous êtes à l’âge de la générosité. Il est urgent de parler du Christ autour de vous, à vos familles et à vos amis, sur vos lieux d’études, de travail ou de loisirs. N’ayez pas peur ! Ayez « le courage de vivre l’évangile et l’audace de le proclamer » (Message aux jeunes du Monde, 20 juillet 2007). Pour cela, je vous encourage à avoir les mots qu’il faut pour annoncer Dieu autour de vous, appuyant votre témoignage sur la force de l’Esprit demandé dans la prière. Portez la Bonne Nouvelle aux jeunes de votre âge et aussi aux autres. Ils connaissent les turbulences des affections, le souci et l’incertitude face au travail et aux études. Ils affrontent des souffrances et ils font l’expérience de joies uniques. Témoignez de Dieu, car, en tant que jeunes, vous faites pleinement partie de la communauté catholique en vertu de votre baptême et en raison de la commune profession de foi (cf. Eph 4, 5). L’Église vous fait confiance, je tiens à vous le dire !

En cette année dédiée à saint Paul, je voudrais vous confier un second trésor, qui était au centre de la vie de cet Apôtre fascinant. Il s’agit du mystère de la Croix. Dimanche, à Lourdes, je célèbrerai la fête de la Croix Glorieuse en me joignant à d’innombrables pèlerins. Beaucoup d’entre vous portent autour de leur cou une chaîne avec une croix. Moi aussi, j’en porte une, comme tous les Évêques d’ailleurs. Ce n’est pas un ornement, ni un bijou. C’est le symbole précieux de notre foi, le signe visible et matériel du ralliement au Christ. Saint Paul parle clairement de la croix au début de sa première Lettre aux Corinthiens. A Corinthe, vivait une communauté agitée et turbulente qui était exposée aux dangers de la corruption de la vie ambiante. Ces dangers sont semblables à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Je ne citerais que les suivants : les querelles et les luttes au sein de la communauté des croyants, la séduction offerte par de pseudo sagesses religieuses ou philosophiques, la superficialité de la foi et la morale dissolue. Saint Paul débute sa Lettre en écrivant : « Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers le salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Cor 1,18). Puis l’Apôtre montre l’opposition singulière qui existe entre la sagesse et la folie, selon Dieu et selon les hommes. Il en parle lorsqu’il évoque la fondation de l’Église à Corinthe et au sujet de sa propre prédication. Il conclut en insistant sur la beauté de la sagesse de Dieu que le Christ et, à sa suite, ses Apôtres sont venus enseigner au monde et aux chrétiens. Cette sagesse, mystérieuse et demeurée cachée (Cf. 1 Cor 2, 7), nous a été révélée par l’Esprit car « l’homme qui n’a que ses forces d’homme ne peut pas saisir ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; pour lui ce n’est que folie, et il ne peut pas comprendre, car c’est par l’Esprit qu’on en juge » (1 Cor 2, 14).

L’Esprit ouvre l’intelligence humaine à de nouveaux horizons qui la dépassent et lui fait comprendre que l’unique vraie sagesse réside dans la grandeur du Christ. Pour les chrétiens, la Croix symbolise la sagesse de Dieu et son amour infini révélé dans le don salvifique du Christ mort et ressuscité pour la vie du monde, pour la vie de chacun et de chacune d’entre vous en particulier. Puisse cette découverte d’un Dieu qui s’est fait homme par amour, cette découverte bouleversante vous inviter à respecter et à vénérer la Croix ! Elle est non seulement le signe de votre vie en Dieu et de votre salut, mais elle est aussi – vous le comprenez – le témoin muet des douleurs des hommes et, en même temps, l’expression unique et précieuse de toutes leurs espérances. Chers jeunes, je sais que vénérer la Croix attire aussi parfois la raillerie et même la persécution. La Croix compromet en quelque sorte la sécurité humaine, mais elle affermit, aussi et surtout, la grâce de Dieu et confirme notre salut. Ce soir, je vous confie la Croix du Christ. L’Esprit Saint vous en fera comprendre les mystères d’amour et vous crierez alors avec Saint Paul : « Pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. Par elle, le monde est à jamais crucifié pour moi, comme moi pour le monde » (Gal 6, 14). Paul avait compris la parole de Jésus – apparemment paradoxale – selon laquelle c’est seulement en donnant («en perdant ») sa propre vie qu’on peut la trouver (cf. Mc 8,35 ; Jn 12,24) et il en avait conclu que la Croix exprime la loi fondamentale de l’amour et est la formulation parfaite de la vraie vie. Puisse l’approfondissement du mystère de la Croix faire découvrir à certains d’entre vous l’appel à servir le Christ de manière plus totale dans la vie sacerdotale ou religieuse !

Il est temps maintenant de commencer la veillée de prière pour laquelle vous vous êtes rassemblés ce soir. N’oubliez pas les deux trésors que le Pape vous a présentés ce soir : l’Esprit Saint et la Croix ! Je voudrais, pour conclure vous dire encore une fois que je vous fais confiance, chers jeunes, et je voudrais que vous éprouviez aujourd’hui et demain l’estime et l’affection de l’Église ! Maintenant, nous voyons ici : l’Église vivante… Que Dieu vous accompagne chaque jour et qu’Il vous bénisse ainsi que vos familles et vos amis. Bien volontiers, je vous donne la Bénédiction Apostolique ainsi qu’à tous les jeunes de France.

Merci pour votre foi et bonne veillée.

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES DE LA
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE FRANCE

DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI

Hémicycle Sainte-Bernadette, Lourdes
Dimanche 14 septembre
2008

 

Messieurs les Cardinaux,
Très chers Frères dans l’Épiscopat
 !

C’est la première fois depuis le début de mon Pontificat que j’ai la joie de vous rencontrer tous ensemble. Je salue cordialement votre Président, le Cardinal André Vingt-Trois, et je le remercie des paroles aimables et profondes qu’il m’a adressées en votre nom. Je salue aussi avec plaisir les Vice-Présidents ainsi que le Secrétaire Général et ses collaborateurs. Je salue chaleureusement chacun de vous, mes Frères dans l’Épiscopat, qui êtes venus des quatre coins de France et d’Outre-mer. J’inclus également Mgr François Garnier, Archevêque de Cambrai, qui célèbre aujourd’hui à Valenciennes le Millénaire de Notre-Dame du Saint-Cordon.

Je me réjouis d’être parmi vous ce soir dans cet hémicycle « Sainte Bernadette », qui est le lieu ordinaire de vos prières et de vos rencontres, lieu où vous exposez vos soucis et vos espérances, et lieu de vos discussions et de vos réflexions. Cette salle est située à un endroit privilégié près de la grotte et des basiliques mariales. Certes, les visites ad limina vous font rencontrer régulièrement le Successeur de Pierre à Rome, mais ce moment, que nous vivons, nous est donné comme une grâce pour réaffirmer les liens étroits qui nous unissent dans le partage du même sacerdoce directement issu de celui du Christ rédempteur. Je vous encourage à continuer à travailler dans l’unité et la confiance, en pleine communion avec Pierre qui est venu pour raffermir votre foi. Vous l’avez dit, Éminence, bien nombreuses sont actuellement vos et nos préoccupations ! Je sais que vous avez à cœur de travailler dans le nouveau cadre défini par la réorganisation de la carte des provinces ecclésiastiques, et je m’en réjouis vivement. Je voudrais profiter de cette occasion pour réfléchir avec vous sur quelques thèmes que je sais être au centre de votre attention.

L’Église – Une, Sainte, Catholique et Apostolique – vous a enfantés par le Baptême. Elle vous a appelés à son service ; vous lui avez donné votre vie, d’abord comme diacres et prêtres, puis comme évêques. Je vous exprime toute mon estime pour ce don de vos personnes : malgré l’ampleur de la tâche, que ne vient pas diminuer l’honneur qu’elle comporte – honor, onus ! – vous accomplissez avec fidélité et humilité la triple tâche qui est la vôtre : enseigner, gouverner, sanctifier suivant la Constitution Lumen Gentium (nn. 25-28) et le décret Christus Dominus. Successeurs des Apôtres, vous représentez le Christ à la tête des diocèses qui vous ont été confiés, et vous vous efforcez d’y réaliser le portrait de l’Évêque tracé par saint Paul ; vous avez à grandir sans cesse dans cette voie, afin d’être toujours plus « hospitaliers, amis du bien, pondérés, justes, pieux, maîtres de vous, attachés à l’enseignement sûr, conformes à la doctrine » (cf. Tt 1, 8-9). Le peuple chrétien doit vous considérer avec affection et respect. Dès les origines, la tradition chrétienne a insisté sur ce point : « Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, ceux-là sont avec l’Évêque », disait saint Ignace d’Antioche (Aux Philad. 3, 2), qui ajoutait encore : «celui que le maître de maison envoie pour administrer sa maison, il faut que nous le recevions comme celui-là même qui l’a envoyé » (Aux Eph. 6, 1). Votre mission, spirituelle surtout, consiste donc à créer les conditions nécessaires pour que les fidèles puissent, pour citer de nouveau saint Ignace, « chanter d’une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père » (Ibid. 4, 2) et faire ainsi de leur vie une offrande à Dieu.

Vous êtes à juste titre convaincus que, pour faire grandir en chaque baptisé le goût de Dieu et la compréhension du sens de la vie, la catéchèse est d’une importance fondamentale. Les deux instruments principaux dont vous disposez, le Catéchisme de l’Église catholique et le Catéchisme des Évêques de France constituent de précieux atouts. Ils donnent de la foi catholique une synthèse harmonieuse et permettent d’annoncer l’Évangile dans une fidélité réelle à sa richesse. La catéchèse n’est pas d’abord affaire de méthode, mais de contenu, comme l’indique son nom même : il s’agit d’une saisie organique (kat-echein) de l’ensemble de la révélation chrétienne, apte à mettre à la disposition des intelligences et des cœurs la Parole de Celui qui a donné sa vie pour nous. De cette manière, la catéchèse fait retentir au cœur de chaque être humain un unique appel sans cesse renouvelé: «Suis-moi» (Mt 9, 9). Une soigneuse préparation des catéchistes permettra la transmission intégrale de la foi, à l’exemple de saint Paul, le plus grand catéchiste de tous les temps, vers lequel nous regardons avec une admiration particulière en ce bimillénaire de sa naissance. Au milieu des soucis apostoliques, il exhortait ainsi : « Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau. Ils refuseront d’entendre la Vérité pour se tourner vers des récits mythologiques » (2 Tm 4, 3-4). Conscients du grand réalisme de ses prévisions, avec humilité et persévérance vous vous efforcez de correspondre à ses recommandations : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps … avec une grande patience et avec le souci d’instruire » (2 Tm 4, 2).

Pour réaliser efficacement cette tâche, vous avez besoin de collaborateurs. Pour cette raison les vocations sacerdotales et religieuses méritent plus que jamais d’être encouragées. J’ai été informé des initiatives qui sont prises avec foi en ce domaine, et je tiens à apporter tout mon soutien à ceux qui n’ont pas peur, tel le Christ, d’inviter jeunes ou moins jeunes à se mettre au service du Maître qui est là et qui appelle (cf. Jn 11, 28). Je voudrais remercier chaleureusement et encourager toutes les familles, toutes les paroisses, toutes les communautés chrétiennes et tous les mouvements d’Église qui sont la bonne terre qui donne le bon fruit (cf. Mt 13, 8) des vocations. Dans ce contexte, je ne veux pas omettre d’exprimer ma reconnaissance pour les innombrables prières de vrais disciples du Christ et de son Église. Il y a parmi eux des prêtres, des religieux et religieuses, des personnes âgées ou des malades, des prisonniers aussi, qui durant des décennies ont fait monter vers Dieu leurs supplications pour accomplir le commandement de Jésus : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson » (Mt 9, 38). L’Évêque et les communautés de fidèles doivent, pour ce qui les concerne, favoriser et accueillir les vocations sacerdotales et religieuses, en s’appuyant sur la grâce que donne l’Esprit Saint pour opérer le discernement nécessaire. Oui, très chers Frères dans l’épiscopat, continuez à appeler au sacerdoce et à la vie religieuse, tout comme Pierre a lancé ses filets sur l’ordre du Maître, alors qu’il avait passé la nuit à pêcher sans rien prendre (cf. Lc 5, 5).

On ne dira jamais assez que le sacerdoce est indispensable à l’Église, dans l’intérêt même du laïcat. Les prêtres sont un don de Dieu pour l’Église. Les prêtres ne peuvent déléguer leurs fonctions aux fidèles en ce qui concerne leurs missions propres. Chers Frères dans l’épiscopat, je vous invite à rester soucieux d’aider vos prêtres à vivre dans une union intime avec le Christ. Leur vie spirituelle est le fondement de leur vie apostolique. Vous les exhorterez avec douceur à la prière quotidienne et à la célébration digne des Sacrements, surtout de l’Eucharistie et de la Réconciliation, comme le faisait saint François de Sales pour ses prêtres. Tout prêtre doit pouvoir se sentir heureux de servir l’Église. A l’école du curé d’Ars, fils de votre terre et patron de tous les curés du monde, ne cessez pas de redire qu’un homme ne peut rien faire de plus grand que de donner aux fidèles le corps et le sang du Christ, et de pardonner les péchés. Cherchez à être attentifs à leur formation humaine, intellectuelle et spirituelle et à leurs moyens d’existence. Essayez, malgré le poids de vos lourdes occupations, de les rencontrer régulièrement et sachez les recevoir comme des frères et des amis (cf. LG 28 et CPE 16). Les prêtres ont besoin de votre affection, de votre encouragement et de votre sollicitude. Soyez proches d’eux et ayez une attention particulière pour ceux qui sont en difficulté, malades ou âgés (cf. CPE 16). N’oubliez pas qu’ils sont comme le dit le Concile Vatican II, reprenant la superbe expression utilisée par saint Ignace d’Antioche aux Magnésiens, «la couronne spirituelle de l’Évêque » (LG 41).

Le culte liturgique est l’expression suprême de la vie sacerdotale et épiscopale, comme aussi de l’enseignement catéchétique. Votre charge de sanctification du peuple des fidèles, chers Frères, est indispensable à la croissance de l’Église. J’ai été amené à préciser, dans le Motu proprio Summorum Pontificum, les conditions d’exercice de cette charge, en ce qui concerne la possibilité d’utiliser aussi bien le missel du bienheureux Jean XXIII (1962) que celui du Pape Paul VI (1970). Des fruits de ces nouvelles dispositions ont déjà vu le jour, et j’espère que l’indispensable pacification des esprits est, grâce à Dieu, en train de se faire. Je mesure les difficultés qui sont les vôtres, mais je ne doute pas que vous puissiez parvenir, en temps raisonnable, à des solutions satisfaisantes pour tous, afin que la tunique sans couture du Christ ne se déchire pas davantage. Nul n’est de trop dans l’Église. Chacun, sans exception, doit pouvoir s’y sentir chez lui, et jamais rejeté. Dieu qui aime tous les hommes et ne veut en perdre aucun nous confie cette mission de Pasteurs, en faisant de nous les Bergers de ses brebis. Nous ne pouvons que Lui rendre grâce de l’honneur et de la confiance qu’Il nous fait. Efforçons-nous donc toujours d’être des serviteurs de l’unité !

Quels sont les autres domaines qui requièrent une plus grande attention ? Les réponses peuvent différer d’un diocèse à l’autre, mais il y a certainement un problème qui apparaît partout d’une urgence particulière : c’est la situation de la famille. Nous savons que le couple et la famille affrontent aujourd’hui de vraies bourrasques. Les paroles de l’évangéliste à propos de la barque dans la tempête au milieu du lac peuvent s’appliquer à la famille : « Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait » (Mc 4, 37). Les facteurs qui ont amené cette crise sont bien connus, et je ne m’attarderai donc pas à les énumérer. Depuis plusieurs décennies, des lois ont relativisé en différents pays sa nature de cellule primordiale de la société. Souvent, elles cherchent plus à s’adapter aux mœurs et aux revendications de personnes ou de groupes particuliers, qu’à promouvoir le bien commun de la société. L’union stable d’un homme et d’une femme, ordonnée à la construction d’un bonheur terrestre grâce à la naissance d’enfants donnés par Dieu, n’est plus, dans l’esprit de certains, le modèle auquel l’engagement conjugal se réfère. Cependant l’expérience enseigne que la famille est le socle sur lequel repose toute la société. De plus, le chrétien sait que la famille est aussi la cellule vivante de l’Église. Plus la famille sera imprégnée de l’esprit et des valeurs de l’Évangile, plus l’Église elle-même en sera enrichie et répondra mieux à sa vocation. D’ailleurs je connais et j’encourage vivement les efforts que vous faites afin d’apporter votre soutien aux différentes associations qui œuvrent pour aider les familles. Vous avez raison de maintenir, même à contre-courant, les principes qui font la force et la grandeur du Sacrement de mariage. L’Église veut rester indéfectiblement fidèle au mandat que lui a confié son Fondateur, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ. Elle ne cesse de répéter avec Lui : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 6). L’Église ne s’est pas donné cette mission : elle l’a reçue. Certes, personne ne peut nier l’existence d’épreuves, parfois très douloureuses, que traversent certains foyers. Il faudra accompagner ces foyers en difficulté, les aider à comprendre la grandeur du mariage, et les encourager à ne pas relativiser la volonté de Dieu et les lois de vie qu’Il nous a données. Une question particulièrement douloureuse, nous le savons, est celle des divorcés remariés. L’Église, qui ne peut s’opposer à la volonté du Christ, maintient fermement le principe de l’indissolubilité du mariage, tout en entourant de la plus grande affection ceux et celles qui, pour de multiples raisons, ne parviennent pas à le respecter. On ne peut donc admettre les initiatives qui visent à bénir des unions illégitimes. L’Exhortation apostolique Familiaris consortio a indiqué le chemin ouvert par une pensée respectueuse de la vérité et de la charité.

Les jeunes, je le sais bien, chers Frères, sont au centre de vos préoccupations. Vous leur consacrez beaucoup de temps, et vous avez raison. Ainsi que vous avez pu le constater, je viens d’en rencontrer une multitude à Sydney, au cours de la Journée Mondiale de la Jeunesse. J’ai apprécié leur enthousiasme et leur capacité de se consacrer à la prière. Tout en vivant dans un monde qui les courtise et qui flatte leurs bas instincts, portant, eux aussi, le poids bien lourd d’héritages difficiles à assumer, les jeunes conservent une fraîcheur d’âme qui a fait mon admiration. J’ai fait appel à leur sens des responsabilités en les invitant à s’appuyer toujours sur la vocation que Dieu leur a donnée au jour de leur Baptême. « Notre force, c’est ce que le Christ veut de nous », disait le Cardinal Jean-Marie Lustiger. Au cours de son premier voyage en France, mon vénéré Prédécesseur avait fait entendre aux jeunes de votre pays un discours qui n’a rien perdu de son actualité et qui avait alors reçu un accueil d’une ferveur inoubliable. « La permissivité morale ne rend pas l’homme heureux », avait-il proclamé au Parc-des-Princes, sous des tonnerres d’applaudissements. Le bon sens qui inspirait la saine réaction de son auditoire n’est pas mort. Je prie l’Esprit Saint de parler au cœur de tous les fidèles et, plus généralement, de tous vos compatriotes, afin de leur donner – ou de leur rendre – le goût d’une vie menée selon les critères d’un bonheur véritable.

A l’Élysée, j’ai évoqué l’autre jour l’originalité de la situation française que le Saint-Siège désire respecter. Je suis convaincu, en effet, que les Nations ne doivent jamais accepter de voir disparaître ce qui fait leur identité propre. Dans une famille, les différents membres ont beau avoir le même père et la même mère, ils ne sont pas des individus indifférenciés, mais bien des personnes avec leur propre singularité. Il en va de même pour les pays, qui doivent veiller à préserver et développer leur culture propre, sans jamais la laisser absorber par d’autres ou se noyer dans une terne uniformité. « La Nation est en effet, pour reprendre les termes du Pape Jean-Paul II, la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément, par la culture. La Nation existe « par » la culture et « pour » la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu’ils puissent « être davantage » dans la communauté » (Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, n. 14). Dans cette perspective, la mise en évidence des racines chrétiennes de la France permettra à chacun des habitants de ce Pays de mieux comprendre d’où il vient et où il va. Par conséquent, dans le cadre institutionnel existant et dans le plus grand respect des lois en vigueur, il faudrait trouver une voie nouvelle pour interpréter et vivre au quotidien les valeurs fondamentales sur lesquelles s’est construite l’identité de la Nation. Votre Président en a évoqué la possibilité. Les présupposés sociopolitiques d’une antique méfiance, ou même d’hostilité, s’évanouissent peu à peu. L’Église ne revendique pas la place de l’État. Elle ne veut pas se substituer à lui. Elle est une société basée sur des convictions, qui se sait responsable du tout et ne peut se limiter à elle-même. Elle parle avec liberté, et dialogue avec autant de liberté dans le seul désir d’arriver à la construction de la liberté commune. Une saine collaboration entre la Communauté politique et l’Église, réalisée dans la conscience et le respect de l’indépendance et l’autonomie de chacune dans son propre domaine, est un service rendu à l’homme, ordonné à son épanouissement personnel et social. De nombreux points, prémices d’autres qui s’y ajouteront selon les nécessités, ont déjà été examinés et résolus au sein de l’ « Instance de Dialogue entre l’Église et l’État ». En vertu de sa mission propre et au nom du Saint-Siège, le Nonce Apostolique y siège naturellement, lui qui est appelé à suivre activement la vie de l’Église et sa situation dans la société.

Comme vous le savez, mes prédécesseurs, le bienheureux Jean XXIII, ancien Nonce à Paris, et le Pape Paul VI, ont voulu des Secrétariats qui sont devenus, en 1988, le Conseil Pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens et le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. S’y ajoutèrent très vite la Commission pour les Rapports Religieux avec le Judaïsme et la Commission pour les Rapports Religieux avec les Musulmans. Ces structures sont en quelque sorte la reconnaissance institutionnelle et conciliaire des innombrables initiatives et réalisations antérieures. Des commissions ou conseils similaires se trouvent d’ailleurs dans votre Conférence Épiscopale et dans vos Diocèses. Leur existence et leur fonctionnement démontrent la volonté de l’Église d’aller de l’avant (…) dans le dialogue bilatéral. La récente Assemblée plénière du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a mis en évidence que le dialogue authentique demande comme conditions fondamentales une bonne formation pour ceux qui le promeuvent, et un discernement éclairé pour avancer peu à peu dans la découverte de la Vérité. L’objectif des dialogues œcuménique et interreligieux, différents naturellement dans leur nature et leur finalité respective, est la recherche et l’approfondissement de la Vérité. Il s’agit donc d’une tâche noble et obligatoire pour tout homme de foi, car le Christ lui-même est la Vérité. La construction des ponts entre les grandes traditions ecclésiales chrétiennes et le dialogue avec les autres traditions religieuses, exigent un réel effort de connaissance réciproque, car l’ignorance détruit plus qu’elle ne construit. Par ailleurs, il n’y a que la Vérité qui permette de vivre authentiquement le double Commandement de l’Amour que nous a laissé Notre Sauveur. Certes, il faut suivre avec attention les différentes initiatives entreprises et discerner celles qui favorisent la connaissance et le respect réciproques, ainsi que la promotion du dialogue, et éviter celles qui conduisent à des impasses. La bonne volonté ne suffit pas. Je crois qu’il est bon de commencer par l’écoute, puis de passer à la discussion théologique pour arriver enfin au témoignage et à l’annonce de la foi elle-même (cf. Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, n. 12, 3 décembre 2007). Puisse l’Esprit Saint vous donner le discernement qui doit caractériser tout Pasteur ! Saint Paul recommande : « Discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le ! » (1 Th 5, 21). La société globalisée, pluriculturelle et pluri-religieuse dans laquelle nous vivons, est une opportunité que nous donne le Seigneur de proclamer la Vérité et d’exercer l’Amour afin d’atteindre tout être humain sans distinction, même au-delà des limites de l’Église visible.

L’année qui a précédé mon élection au Siège de Pierre, j’ai eu la joie de venir dans votre pays pour y présider les cérémonies commémoratives du soixantième anniversaire du débarquement en Normandie. Rarement comme alors, j’ai senti l’attachement des fils et des filles de France à la terre de leurs aïeux. La France célébrait alors sa libération temporelle, au terme d’une guerre cruelle qui avait fait de nombreuses victimes. Aujourd’hui, c’est surtout en vue d’une véritable libération spirituelle qu’il convient d’œuvrer. L’homme a toujours besoin d’être libéré de ses peurs et de ses péchés. L’homme doit sans cesse apprendre ou réapprendre que Dieu n’est pas son ennemi, mais son Créateur plein de bonté. L’homme a besoin de savoir que sa vie a un sens et qu’il est attendu, au terme de son séjour sur la terre, pour partager à jamais la gloire du Christ dans les cieux. Votre mission est d’amener la portion du Peuple de Dieu confiée à vos soins à la reconnaissance de ce terme glorieux. Veuillez trouver ici l’expression de mon admiration et de ma gratitude pour tout ce que vous faites afin d’aller en ce sens. Veuillez être assurés de ma prière quotidienne pour chacun de vous. Veuillez croire que je ne cesse de demander au Seigneur et à sa Mère de vous guider sur votre route.

Avec joie et émotion, je vous confie, très chers Frères dans l’Épiscopat, à Notre Dame de Lourdes et à sainte Bernadette. La puissance de Dieu s’est toujours déployée dans la faiblesse. L’Esprit Saint a toujours lavé ce qui était souillé, abreuvé ce qui était sec, redressé ce qui était déformé. Le Christ Sauveur, qui a bien voulu faire de nous les instruments de la communication de son amour aux hommes, ne cessera jamais de vous faire grandir dans la foi, l’espérance et la charité, pour vous donner la joie d’amener à Lui un nombre croissant d’hommes et de femmes de notre temps. En vous confiant à sa force de Rédempteur, je vous donne à tous et de tout cœur une affectueuse Bénédiction Apostolique.

 « Souvenirs et réflexions » discours à l’Université de Ratisbonne, face aux représentants de la science (une université publique allemande située à Ratisbonne, en Bavière).

«C’est pour moi un moment émouvant de me retrouver une fois encore à l’université et de pouvoir y tenir une fois encore une conférence. Mes pensées se retournent de même vers les belles années au cours desquelles, après une belle période à l’Institut supérieur de Freising, j’ai commencé mon activité académique comme enseignant à l’université de Bonn. C’était encore le temps – 1959 – de l’ancienne université. Pour les différentes chaires il n’y avait ni assistants, ni secrétaires, mais en revanche des rencontres directes avec les étudiants et avant tout des professeurs entre eux. Dans les salles des enseignants, on se rencontrait avant et après les cours. Les contacts avec les historiens, les philosophes, les philologues, et naturellement aussi entre les deux facultés de théologie étaient très vivants.

Chaque semestre avait lieu ce qu’on appelait un ‘Dies academicus’, au cours duquel les professeurs de toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de l’ensemble de l’université : ainsi devenait possible une réelle expérience de l’Universitas. A travers toutes les spécialisations, qui nous laissent parfois muets les uns envers les autres, nous faisions l’expérience de former cependant un tout, et qu’en tout nous travaillions avec la même raison dans toutes ses dimensions, avec le sentiment que nous avions à assumer une responsabilité commune dans l’usage correcte de la raison – voilà ce que l’on pouvait vivre.

L’université était très fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu’elles aussi, dans la mesure où elles s’interrogent sur la raison de la foi, accomplissent un travail qui appartient nécessairement au tout de l’‘Universitas scientiarum’, même si tous ne pouvaient pas partager la foi dont les théologiens s’efforcent de montrer qu’elle s’ordonne à la raison commune. Ce lien interne avec le cosmos de la raison ne fut pas dérangé le jour où l’on entendit un de nos collègues déclarer que dans notre université existait une chose remarquable : deux facultés qui s’occupent de quelque chose qui n’existe même pas – de Dieu. Qu’à l’encontre d’un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu avec la raison, cela restait indiscutable dans l’ensemble de l’université.

Tout cela m’est revenu à l’esprit lorsque récemment j’ai lu une partie du dialogue publié par le professeur Khoury (de Münster) entre l’empereur byzantin lettré Manuel II Paléologue et un savant persan dans le camp d’hiver d’Ankara en 1391, sur le christianisme et l’islam, et sur leur vérité respective. L’empereur a sans doute mis par écrit le dialogue pendant le siège de Constantinople entre 1394 et 1402. On peut comprendre ainsi que ses propres exposés soient restitués de façon bien plus explicite que les réponses du lettré persan. Le dialogue s’étend à tout le domaine de ce qui est écrit dans la Bible et dans le Coran au sujet de la foi ; il s’intéresse en particulier à l’image de Dieu et de l’homme, mais aussi au rapport nécessaire entre les « trois Lois » : Ancien Testament – Nouveau Testament – Coran. Dans mon exposé, je ne voudrais traiter que d’un seul aspect – au demeurant marginal dans la rédaction du dialogue –, un aspect en lien avec le thème foi et raison qui m’a fasciné et me sert d’introduction à mes réflexions sur ce thème.

Dans le 7e dialogue édité par le professeur Khoury (‘dialexis’, «controverse»), l’empereur en arrive parler du thème du ‘djihâd’ (guerre sainte). L’empereur savait certainement que dans la sourate 2, 256, il est écrit : «Pas de contrainte en matière de foi» – c’est l’une des sourates primitives datant de l’époque où Mohammed lui-même était privé de pouvoir et se trouvait menacé.

Mais l’empereur connaissait naturellement aussi les dispositions inscrites dans le Coran – d’une époque plus tardive – au sujet de la guerre sainte. Sans s’arrêter aux particularités, comme la différence de traitement entre « gens du Livre » et « incroyants », il s’adresse à son interlocuteur d’une manière étonnamment abrupte au sujet de la question centrale du rapport entre religion et contrainte. Il déclare : « Montre-moi donc ce que Mohammed a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foi qu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive. »

L’empereur intervient alors pour justifier pourquoi il est absurde de répandre la foi par la contrainte. Celle-ci est en contradiction avec la nature de Dieu et la nature de l’âme. « Dieu ne prend pas plaisir au sang, et ne pas agir raisonnablement (‘sunlogô’) est contraire à la nature de Dieu. La foi est un fruit de l’âme, non du corps. Donc si l’on veut amener quelqu’un à la foi, on doit user de la faculté de bien parler et de penser correctement, non de la contrainte et de la menace. Pour convaincre une âme raisonnable, on n’a besoin ni de son bras, ni d’un fouet pour frapper, ni d’aucun autre moyen avec lequel menacer quelqu’un de mort.»

La principale phrase dans cette argumentation contre la conversion par contrainte s’énonce donc ainsi : Ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu. Le professeur Théodore Khoury, commente ainsi : pour l’empereur, «un Byzantin, nourri de la philosophie grecque, ce principe est évident. Pour la doctrine musulmane , Dieu est absolument transcendant, sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable». Khoury cite à l’appui une étude du célèbre islamologue français R. Arnaldez, affirmant qu’«Ibn Hasm ira jusqu’à soutenir que Dieu n’est pas tenu par sa propre parole, et que rien ne l’oblige à nous révéler la vérité : s’Il le voulait, l’homme devrait être idolâtre» (1).

Ici s’effectue une bifurcation dans la compréhension de Dieu et dans la réalisation de la religion, qui nous interpelle directement aujourd’hui. Est-ce seulement grec, de penser qu’agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou est-ce une vérité de toujours et en soi ? Je pense qu’en cet endroit devient visible l’accord profond entre ce qui est grec, au meilleur sens du terme, et la foi en Dieu fondée sur la Bible.

En référence au premier verset de la Genèse, Jean a ouvert le prologue de son Évangile avec la parole : ‘Au commencement était le Logos.’ C’est exactement le terme qu’emploie l’empereur : Dieu agit avec logos. Logos désigne à la fois la raison et la Parole – une raison qui est créatrice et peut se donner en participation, mais précisément comme raison. Jean nous a ainsi fait don de la parole ultime du concept biblique de Dieu, parole dans laquelle aboutissent tous les chemins, souvent difficiles et tortueux, de la foi biblique, et trouvent leur synthèse. Au commencement était le Logos, et le Logos est Dieu, nous dit l’évangéliste. La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’est pas un hasard. La vision de saint Paul à qui se fermèrent les chemins vers l’Asie et qui vit en songe au cours de la nuit un Macédonien et l’entendit l’appeler : ‘Viens à notre aide’ (Actes 16, 6-10) – cette vision peut être interprétée comme un condensé de la nécessaire rencontre interne entre foi biblique et questions grecques.

Cette rencontre était depuis longtemps en marche. Déjà le nom de Dieu très mystérieux émanant du buisson ardent, qui sépare ce Dieu de tous les dieux aux noms multiples et le nomme simplement l’Être, est une contestation du mythe, qui n’est pas sans analogie interne avec la tentative de Socrate de dépasser et de surmonter le mythe. Le processus commencé au buisson ardent parvient à une nouvelle maturité à l’intérieur de l’Ancien Testament durant l’Exil, où le Dieu d’Israël, alors privé de pays et de culte, se proclame comme le Dieu du ciel et de la terre et se présente avec une simple formule, dans la continuation de la parole du buisson ardent « Je le suis ». Avec cette nouvelle confession de Dieu s’opère de proche en proche une clarification qui s’exprime efficacement dans le mépris des idoles, lesquelles ne sont que des ouvrages fabriqués par les hommes (cf. Ps 115).

C’est ainsi que la foi biblique à l’époque helléniste, s’étant opposée avec une extrême vigueur aux autorités hellénistes qui voulaient faire adopter par la contrainte les manières de vivre des Grecs et le culte de leurs divinités, alla de l’intérieur à la rencontre de la pensée grecque en ce qu’elle avait de meilleur pour un apaisement réciproque, telle qu’elle s’est en particulier réalisée plus tard dans la littérature sapientielle. Aujourd’hui, nous savons que la traduction de l’Ancien Testament de l’hébreu en grec réalisée à Alexandrie – la Septante – est plus qu’une simple traduction du texte hébreu (appréciée peut-être de façon pas très positive) ; à vrai dire, il s’agit d’un témoin textuel indépendant et d’un pas spécifique important de l’histoire de la Révélation, par lequel s’est réalisée cette rencontre d’une manière qui acquit une signification décisive pour la naissance et l’expansion du christianisme. En profondeur, il y va, dans la rencontre entre foi et raison, des lumières et de la religion authentiques. A partir de l’essence de la foi chrétienne et en même temps à partir de l’essence de l’hellénisme, qui s’était fondu avec la foi, Manuel II a pu effectivement déclarer : Ne pas agir « avec le Logos » est en contradiction avec la nature de Dieu.

La probité exige qu’on doive considérer ici que, au cours du Moyen Âge tardif, se sont développées en théologie des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre le grec et le chrétien. Contre le soi-disant intellectualisme augustinien et thomiste commence, avec Duns Scot, une position du volontarisme qui conduisit finalement à dire que nous ne connaissons de Dieu que sa ‘voluntas ordinata’. Au-delà, il y a la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait également pu faire le contraire de tout ce qu’il a fait. Ici se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées totalement de celles d’Ibn Hazm et qui peuvent tendre vers l’image d’un Dieu arbitraire, qui n’est pas tenu par la vérité et le bien. La transcendance et l’altérité de Dieu sont placées si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu, dont les possibilités mystérieuses, derrière ses décisions effectives, nous restent éternellement inaccessibles et cachées.

A l’encontre de cette position, la foi chrétienne a toujours affirmé fermement qu’entre Dieu et nous, entre son esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une réelle analogie, dans laquelle les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes, mais cela ne supprime pas l’analogie et son langage (cf. concile Latran IV). Dieu ne devient pas plus divin si nous l’éloignons dans un volontarisme pur et incompréhensible, mais le véritable Dieu est le Dieu qui s’est manifesté dans le Logos, et qui a agi et qui agit par amour envers nous. Certes, l’amour « surpasse » la connaissance et demande en conséquence de prendre en considération plus que la simple pensée (cf. Eph 3, 19), mais il reste néanmoins amour du Dieu-Logos ; c’est pourquoi le culte de Dieu chrétien est ‘logiké latreia’ – culte de Dieu en accord avec la Parole éternelle et avec notre raison (cf Rm 12, 1).

La rencontre intime qui s’est réalisée entre la foi biblique et les interrogations de la philosophie grecque n’est pas seulement un événement concernant l’histoire des religions, mais un événement décisif pour l’histoire mondiale qui nous concerne aussi aujourd’hui. Quand on considère cette rencontre, on ne s’étonne pas que le christianisme, bien qu’il soit né et ait connu un développement important en Orient, ait finalement trouvé son véritable impact grec en Europe. Nous pouvons aussi dire, à l’inverse : cette rencontre, à laquelle s’est ensuite ajouté l’héritage de Rome, a fait l’Europe et reste au fondement ce qu’on peut appeler à juste titre l’Europe.

 Cette thèse – que l’héritage grec critiquement purifié appartient à la foi chrétienne – fait face à l’exigence d’une déshellénisation qui domine de façon croissante le débat théologique depuis le début de l’époque moderne. Si l’on y regarde de plus près, on peut observer que ce programme de déshellénisation a connu trois vagues, sans doute liées, mais pourtant différentes les unes des autres dans leur fondement et dans leurs buts.

La déshellénisation apparaît d’abord en lien avec les fondements de la Réforme du XVIe siècle. Les réformés se sont situés face à la tradition scolastique de la théologie, qui avait totalement systématisée la foi sous la détermination de la philosophie, pour ainsi dire une détermination étrangère de la foi par une pensée qui n’émane pas d’elle. La foi n’apparaissait plus comme Parole vivante et historique, mais comme domiciliée dans un système philosophique. La ‘scriptura sola’ recherche, à l’inverse, la forme originaire de la foi telle qu’elle est donnée originairement dans la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme une assertion qui provient d’ailleurs et dont il faut libérer la foi, en sorte qu’elle soit de nouveau totalement elle-même. Avec une radicalité que ne pouvaient pas prévoir les réformés, Kant a fonctionné à partir de ce programme, quand il disait qu’il a dû écarter la pensée pour faire place à la foi. En cela, il a ancré la foi exclusivement dans la raison pratique et lui a dénié l’accès à la totalité de la réalité.

La théologie libérale des XIXe et XXe siècles apporta une deuxième vague dans le programme de déshellénisation, dont Adolf von Harnack est le plus éminent représentant. Au temps de mes études comme dans les premières années de mon activité académique, ce programme était aussi fortement à l’œuvre dans la théologie catholique. La distinction que faisait Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, servait de point de départ. Dans ma leçon inaugurale à Bonn en 1959, j’ai essayé de m’en expliquer.

Je ne voudrais pas reprendre tout cela à nouveau ici. Mais je voudrais du moins essayer brièvement de faire ressortir la différence entre cette nouvelle et deuxième déshéllénisation et la première. Comme pensée centrale apparaît, chez Harnack, le retour à Jésus simple homme et à son simple message, antérieurs à toutes les théologisations et aussi à l’hellénisation : ce simple message représente le vrai sommet du développement religieux de l’humanité. Jésus a congédié le culte pour la morale. Il est finalement présenté comme le père d’un message moral plein d’amitié pour les hommes. L’enjeu fondamental, c’est d’accorder de nouveau le christianisme avec la raison moderne, justement en le libérant des éléments apparemment philosophiques et théologiques, comme la foi en la divinité du Christ ou au Dieu trinitaire.

Dans la mesure où elle s’aligne ainsi sur une explication historico-critique du Nouveau Testament, la théologie a de nouveau droit de cité dans le cosmos de l’université : la théologie est, pour Harnack, essentiellement historique et ainsi rigoureusement scientifique. Ce qu’elle découvre sur le chemin de la critique de Jésus est pour ainsi dire l’expression de la raison pratique et par là elle a aussi sa place dans l’ensemble universitaire. A l’arrière-plan, on perçoit l’auto-limitation moderne de la raison, telle qu’elle a trouvé son expression classique dans les Critiques de Kant, mais telle aussi qu’entre temps elle a été radicalisée encore par la pensée scientifique.

Cette conception moderne de la raison repose sur la synthèse, confirmée par le succès technique, entre le platonisme (cartésianisme) et l’empirisme, pour le dire brièvement. D’un côté, on présuppose la structure mathématique de la matière, à savoir sa rationalité interne, qui rend possible de la comprendre et de l’utiliser comme force effective : ce présupposé fondamental est pour ainsi dire l’élément platonicien de la compréhension de la nature. De l’autre côté, il y va de la fonctionnalité de la nature pour nos intérêts, sur quoi seule la possibilité de la vérification ou de la falsification par l’expérience livre la certitude. Le poids entre les deux pôles peut être placé davantage sur l’un ou sur l’autre côté. Un penseur positiviste aussi rigoureux que J. Monod s’est décrit comme un platonicien convaincu, c’est-à-dire un cartésien.

Cela entraîne pour notre question deux orientations fondamentales. Seule la forme de certitude qui se donne dans le jeu concerté des mathématiques et de l’expérience autorise à parler de scientificité. Tout ce qui prétend être science doit se soumettre à ce critère. Aussi, les sciences qui se rapportent aux réalités humaines – telles que l’histoire, la psychologie, la sociologie, la philosophie – essaient de s’adapter à ce canon de la scientificité. Il est important encore, pour nos réflexions, que la méthode en tant que telle exclut la question de Dieu et la fait apparaître comme non-scientifique ou préscientifique. Mais par là, nous nous trouvons devant un rétrécissement du rayon de la science et de la raison qui doit être mis en question .

Nous allons y revenir. Il faut d’abord constater qu’essayer de faire de ce point de vue une théologie « scientifique », le christianisme n’est plus qu’un fragment misérable. Mais nous devons dire plus : l’homme lui-même en cela est diminué. Car les questions humaines spécifiques : d’où venons-nous et où allons-nous, les questions de la religion et de la morale, ne peuvent pas trouver une place dans la raison communément définie par la « science » et doivent être transférées dans la subjectivité. La subjectivité décide à partir de ses expériences ce qui lui paraît supportable d’un point de vue religieux, et la « conscience » subjective devient finalement l’unique instance éthique.

Mais de cette manière, morale et religion perdent leur capacité de formation collective et relèvent de l’arbitraire. Cette situation est dangereuse pour l’humanité : nous le constatons en voyant les pathologies de la religion et de la raison, qui doivent nécessairement se manifester là où la raison est si réduite que les questions de la religion et de la morale ne relèvent plus de son domaine. Ce qui, dans les essais éthiques, provient des règles de l’évolution ou de la psychologie et de la sociologie est tout simplement insuffisant.

Avant d’en arriver aux conséquences ultimes auxquelles je tends en tout cela, je dois brièvement signaler la troisième déshellénisation, qui a lieu actuellement. Au regard de la rencontre avec la multiplicité des cultures, on dit volontiers aujourd’hui que la synthèse avec la culture de la Grèce a été une première inculturation, réalisée dans l’Eglise antique, qu’on ne devrait pas imposer aux autres cultures. Ce serait leur droit de contourner cette inculturation pour revenir au simple message du Nouveau Testament, afin de l’inculturer à nouveau dans leurs espaces. Cette thèse n’est pas simplement fausse, elle est exagérée et inexacte. Car le Nouveau Testament est écrit en grec et porte en lui-même la rencontre avec l’esprit grec qui avait mûri auparavant dans la formation de l’Ancien Testament. Bien sûr, il y a des couches dans le devenir de l’Eglise antique qui ne doivent pas entrer dans toutes les cultures. Mais les choix fondamentaux, qui concernent le lien de la foi avec la quête de la raison humaine, appartiennent à cette foi elle-même et sont adaptés à son développement.

J’en viens à ma conclusion. L’essai d’autocritique de la raison esquissé ici à gros traits n’implique pas du tout la conception selon laquelle il faudrait revenir en deçà de l’‘Aufklärung’ et congédier les vues de la modernité. La grandeur du développement moderne de l’esprit est reconnue sans restriction : nous sommes tous reconnaissants pour les grandes possibilités qu’elle a ouvertes à l’homme et pour les progrès de l’humanité qui nous sont offerts. L’éthique de la scientificité est en outre volonté d’obéissance envers la vérité et, par suite, expression d’une attitude fondamentale qui appartient aux choix fondamentaux du christianisme.

Il s’agit non d’un retrait, ni d’une critique négative, mais d’un élargissement de notre concept et de notre usage de la raison. Car avec toute la joie que nous éprouvons à la vue des nouvelles possibilités de l’homme, nous voyons aussi les dangers qui croissent avec ces possibilités et nous devons nous demander comment en devenir maîtres. Nous le pouvons seulement si raison et foi s’unissent d’une manière nouvelle ; si nous surmontons l’auto-limitation de la raison à ce qui est falsifiable dans l’expérience, et si nous ouvrons de nouveau à la raison toute sa largeur. En ce sens, la théologie appartient à l’Université non seulement comme discipline relevant de l’histoire et des sciences humaines, mais comme spécifiquement théologie, comme question sur la raison de la foi et à son large dialogue avec les sciences.

Ainsi seulement nous devenons capables d’un authentique dialogue entre cultures et religions, dont nous avons impérativement besoin. Dans le monde occidental domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de la philosophie qui en dépendent sont universelles. Mais précisément, cette exclusion du divin hors de l’universalité de la raison est perçue, par les cultures profondément religieuses du monde, comme un mépris de leurs convictions les plus intimes. Une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures.

En outre, comme j’ai essayé de le montrer, la raison scientifique, avec son élément platonicien, porte en elle-même une question qui tend au-delà d’elle et des possibilités de sa méthode. Elle doit tout simplement accepter comme un donné la structure rationnelle de la matière, tout comme la correspondance entre notre esprit et les structures rationnelles qui règnent dans la nature, un donné sur lequel est fondé sa méthode. Mais la question ‘pourquoi il en est ainsi’ demeure, et doit être transmise par les sciences de la nature à d’autres niveaux et à d’autres manières de penser – à la philosophie et à la théologie.

Pour la philosophie et d’une autre manière pour la théologie, l’écoute des grandes expériences et intuitions des traditions religieuses de l’humanité, en particulier de la foi chrétienne, est une source de connaissance, contre laquelle on ne se protègerait qu’en restreignant de façon inadmissible notre capacité d’écouter et de trouver des réponses. Il me vient ici à l’esprit un mot de Socrate à Phédon. Les discours précédents ayant évoqué beaucoup d’opinions philosophiques fausses, Socrate déclare : « On comprendrait aisément que quelqu’un, devant tant de faussetés, passât le restant de sa vie à haïr et à mépriser tous les discours sur l’être. » Mais de cette manière, il perdrait la vérité de l’être et s’attirerait un très grand dommage.

L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison et ne peut en cela que courir un grand danger. Le courage pour l’élargissement de la raison, non la dénégation de sa grandeur – tel est le programme qu’une théologie responsable de la foi biblique doit assumer dans le débat actuel. « Ne pas agir selon la raison (selon le Logos) s’oppose à la nature de Dieu », répliqua Manuel II, depuis sa vision chrétienne de l’image de Dieu, à son interlocuteur persan. C’est dans ce grand Logos, dans cette large raison que nous invitons nos partenaires au dialogue des cultures. La trouver toujours à nouveau, telle est la grande tâche de l’Université.»

MESSAGE DU SAINT-PÈRE BENOÎT XVI
AUX JEUNES DU MONDE À L’OCCASION
DE LA XXIe JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE, 2006

« Une lampe sur mes pas, ta parole,
une lumière sur ma route
 » (Ps 118 [119], 105)

Chers jeunes!

C’est avec joie que je m’adresse à vous qui vous préparez à la XXIe Journée mondiale de la Jeunesse, revivant en esprit le souvenir des expériences enrichissantes que nous avons vécues en août dernier en Allemagne. La Journée de cette année sera célébrée dans les différentes Églises locales et ce sera une bonne occasion pour raviver la flamme d’enthousiasme allumée à Cologne, que beaucoup d’entre vous ont apportée dans leurs familles, dans leurs paroisses, dans leurs associations et dans leurs mouvements. Ce sera aussi un moment privilégié pour entraîner vers le Christ, dans le pèlerinage spirituel des nouvelles générations, nombre de vos amis.

Le thème que je propose à votre méditation est un verset du Psaume 118 [119] « Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route » (v.105). Le bien-aimé Jean-Paul II a commenté ainsi ces paroles du Psaume: « Celui qui prie se répand en louanges de la Loi de Dieu, qu’il prend comme une lampe pour ses pas sur le chemin souvent obscur de la vie » (Audience générale du14 novembre 2001 : La Documentation catholique 98 [2001], p. 1069). Dieu se révèle dans l’histoire, il parle aux hommes, et sa Parole est créatrice. En effet, le concept hébraïque « dabar », traduit habituellement par « parole », signifie à la fois parole et acte. Dieu dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Dans l’Ancien Testament, il annonce aux fils d’Israël la venue du Messie et l’établissement d’une « nouvelle » alliance; dans le Verbe fait chair, il accomplit ses promesses. Le Catéchisme de l’Église Catholique met bien cela en évidence: « Le Christ, le Fils de Dieu fait homme, est la Parole unique, parfaite et indépassable du Père. En Lui Il dit tout, et il n’y aura pas d’autre parole que celle-là » (n. 65). L’Esprit Saint, qui a guidé le peuple élu, inspirant les auteurs des Saintes Écritures, ouvre le cœur des croyants à l’intelligence de tout ce qu’elles contiennent. L’Esprit lui-même est activement présent dans la Célébration eucharistique, lorsque le prêtre, prononçant « in persona Christi » les paroles de la consécration, change le pain et le vin en Corps et Sang du Christ, pour qu’ils soient nourriture spirituelle des fidèles. Pour avancer dans notre pèlerinage terrestre vers la Patrie céleste, nous avons tous besoin de nous nourrir de la parole et du pain de Vie éternelle, inséparables l’un de l’autre.

Les Apôtres ont écouté la parole de salut et l’ont transmise à leurs successeurs comme une perle précieuse conservée, en toute sûreté, dans l’écrin de l’Église: sans l’Église, cette perle risque de se perdre ou de se briser. Chers jeunes, aimez la Parole de Dieu et aimez l’Église, qui, en vous apprenant à en apprécier la richesse, vous permet d’accéder à un trésor d’une si grande valeur. Aimez et suivez l’Église, qui a reçu de son Fondateur la mission d’indiquer aux hommes le chemin du vrai bonheur. Il n’est pas facile de reconnaître et de rencontrer l’authentique bonheur dans le monde où nous vivons, où l’homme est souvent l’otage de courants de pensée qui le conduisent, tout en se croyant « libre », à se fourvoyer dans les erreurs ou les illusions d’idéologies aberrantes. Il est urgent de « libérer la liberté » (cf. Encyclique Veritatis splendor, n. 86), d’éclairer l’obscurité dans laquelle l’humanité avance à tâtons. Jésus a indiqué comment cela peut se faire: « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 31-32). Le Verbe incarné, Parole de Vérité, nous rend libres et oriente notre liberté vers le bien. Chers jeunes, méditez souvent la parole de Dieu et laissez l’Esprit Saint devenir votre maître. Vous découvrirez alors que les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes. Vous serez amenés à contempler le vrai Dieu et à lire les événements de l’histoire avec ses yeux; vous goûterez pleinement la joie qui naît de la vérité. Sur le chemin de la vie, qui n’est ni facile, ni privé d’embûches, vous pourrez rencontrer des difficultés et des souffrances, et vous serez parfois tentés de vous écrier avec le Psalmiste: « J’ai vraiment trop souffert » (Ps 118 [119], 107). N’oubliez pas d’ajouter, comme lui: « Seigneur, fais-moi vivre selon ta parole… À tout instant j’expose ma vie : je n’oublie rien de ta loi » (ibid., 107.109). La présence aimante de Dieu, à travers sa Parole, est une lampe qui dissipe les ténèbres de la peur et qui éclaire le chemin, même dans les moments les plus difficiles.

L’Auteur de la lettre aux Hébreux écrit: « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants; elle pénètre au plus profond de l’âme jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur » (4, 12). Il convient de prendre au sérieux l’exhortation à considérer la parole de Dieu comme une « arme » indispensable au combat spirituel; elle agit efficacement et porte du fruit si nous apprenons à l’écouter, pour ensuite lui obéir. Le Catéchisme de l’Église Catholique explique: « Obéir (ob-audire) dans la foi, c’est se soumettre librement à la parole écoutée, parce que sa vérité est garantie par Dieu, la Vérité même » (n. 144). Si Abraham est le modèle de cette écoute qui est obéissance, Salomon se révèle, lui aussi, un chercheur passionné de la sagesse contenue dans la parole. Quand Dieu lui propose: « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai », dans sa sagesse le roi répond: « Donne à ton serviteur un cœur attentif » (1 R 3, 5.9). Le secret pour avoir « un cœur attentif » est de se former un cœur qui sache écouter. On y parvient en méditant sans cesse la parole de Dieu et en y demeurant enracinés, en prenant l’engagement de la connaître toujours mieux.

Chers jeunes, je vous exhorte à devenir des familiers de la Bible, à la garder à portée de la main, pour qu’elle soit pour vous comme une boussole qui indique la route à suivre. En la lisant, vous apprendrez à connaître le Christ. Saint Jérôme observe à ce propos: « L’ignorance des Écritures est l’ignorance du Christ » (PL 24, 17; cf. Dei Verbum, n. 25). Un moyen assuré pour approfondir et goûter la parole de Dieu est la lectio divina, qui constitue un véritable itinéraire spirituel par étapes. De la lectio, qui consiste à lire et relire un passage de l’Écriture Sainte en en recueillant les principaux éléments, on passe à la meditatio, qui est comme un temps d’arrêt intérieur, où l’âme se tourne vers Dieu en cherchant à comprendre ce que sa parole dit aujourd’hui pour la vie concrète. Vient ensuite l’oratio, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu dans un dialogue direct, et qui nous conduit enfin à la contemplatio; celle-ci nous aide à maintenir notre cœur attentif à la présence du Christ, dont la parole est une « lampe brillant dans l’obscurité, jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs » (2 P 1, 19). La lecture, l’étude et la méditation de la Parole doivent ensuite déboucher sur l’adhésion d’une vie conforme au Christ et à ses enseignements.

Saint Jacques nous avertit: « Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Car écouter la parole de Dieu sans la mettre en application, c’est ressembler à un homme qui se regarde dans une glace, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant de quoi il avait l’air. Au contraire, l’homme qui se penche sur la Loi parfaite, celle de la liberté, et s’y tient, celui qui ne l’écoute pas pour l’oublier, mais l’applique dans ses actes, heureux sera-t-il d’agir ainsi » (1, 22-25). Celui qui écoute la parole de Dieu et y fait constamment référence, fonde son existence sur des bases solides. « Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique – dit Jésus – est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc » (Mt 7, 24): il ne cédera pas aux intempéries.

Construire votre vie sur le Christ, en accueillant avec joie sa parole et en mettant en pratique ses enseignements: jeunes du troisième millénaire, tel doit être votre programme! Il est urgent que se lève une nouvelle génération d’apôtres enracinés dans la parole du Christ, capables de répondre aux défis de notre temps et prêts à répandre partout l’Évangile. C’est ce que le Seigneur vous demande, ce à quoi l’Église vous invite, ce que le monde – même sans le savoir – attend de vous! Et si Jésus vous appelle, n’ayez pas peur de lui répondre avec générosité, spécialement s’il vous propose de le suivre dans la vie consacrée ou dans la vie sacerdotale. N’ayez pas peur; faites-lui confiance, et vous ne serez pas déçus !

Chers amis, avec cette XXIe Journée mondiale de la Jeunesse, que nous célébrerons le 9 avril prochain, Dimanche des Rameaux, nous commencerons un pèlerinage spirituel vers la rencontre mondiale des jeunes qui aura lieu à Sydney en juillet 2008. Nous nous préparerons à ce grand rendez-vous en réfléchissant ensemble sur le thème l’Esprit Saint et la mission, à travers des étapes successives. Cette année, notre attention se concentrera sur l’Esprit Saint, Esprit de vérité, qui nous révèle le Christ, le Verbe fait chair, ouvrant le cœur de chacun à la Parole de salut, qui conduit à la Vérité tout entière. L’an prochain, en 2007, nous méditerons sur un verset de l’Évangile de Jean: « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (13, 34) et nous découvrirons encore plus profondément que l’Esprit Saint est Esprit d’amour, qui infuse en nous la charité divine et nous rend sensibles aux besoins matériels et spirituels de nos frères. Alors nous parviendrons à la rencontre mondiale de 2008 qui aura pour thème: « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins » (Ac 1, 8).

Chers jeunes, dès maintenant, dans un climat d’écoute permanente de la parole de Dieu, invoquez l’Esprit Saint, Esprit de force et de témoignage, pour qu’il vous rende capables de proclamer sans peur l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre. Que Marie, présente au Cénacle avec les Apôtres dans l’attente de la Pentecôte, soit votre mère et votre guide. Qu’elle vous apprenne à accueillir la parole de Dieu, à la garder et à la méditer en votre cœur (cf. Lc 2, 19), comme elle l’a fait tout au long de sa vie. Qu’elle vous encourage à dire votre « oui » au Seigneur en vivant l’« obéissance de la foi ». Qu’elle vous aide à demeurer fermes dans la foi, constants dans l’espérance, persévérants dans la charité, toujours dociles à la parole de Dieu. Je vous accompagne de ma prière, et je vous bénis de tout cœur.

Du Vatican, le 22 février 2006, Fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre.

BENEDICTUS PP. XVI

En 1969, le père Joseph Ratzinger à la radio allemande. :

« Je pense, non, je suis sûr, que le futur de lÉglise viendra de personnes profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement. Il ne viendra pas de ceux qui s’accommodent sans réfléchir du temps qui passe, ou de ceux qui ne font que critiquer en partant du principe qu’eux-mêmes sont des jalons infaillibles. Il ne viendra pas non plus de ceux qui empruntent la voie de la facilité, qui cherchent à échapper à la passion de la foi, considérant comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu exigeant, qui blesse, ou qui demande des sacrifices. Formulons cela de manière plus positive : le futur de l’Église, encore une fois, sera comme toujours remodelé par des saints, c’est-à-dire par des hommes dont les esprits cherchent à aller au-delà des simples slogans à la mode, qui ont une vision plus large que les autres, du fait de leur vie qui englobe une réalité plus large. Il n’y a qu’une seule manière d’atteindre le véritable altruisme, celui qui rend l’homme libre : par la patience acquise en faisant tous les jours des petits gestes désintéressés. Par cette attitude quotidienne d’abnégation, qui suffit à révéler à un homme à quel point il est esclave de son égo, par cette attitude uniquement, les yeux de l’homme peuvent s’ouvrir lentement. L’homme voit uniquement dans la mesure où il a vécu et souffert. Si de nos jours nous sommes à peine encore capables de prendre conscience de la présence de Dieu, c’est parce qu’il nous est tellement plus facile de nous évader de nous-mêmes, d’échapper à la profondeur de notre être par le biais des narcotiques, du plaisir etc. Ainsi, nos propres profondeurs intérieures nous restent fermées. S’il est vrai qu’un homme ne voit bien qu’avec le cœur, alors à quel point sommes-nous aveugles ?

Ce qui restera, c’est l’Église du Christ, l’Église qui croit en un Dieu devenu Homme et qui nous promet la vie éternelle

Quel rapport tout cela a-t-il avec notre problématique ? Eh bien, cela signifie que les grands discours de ceux qui prônent une Église sans Dieu et sans foi ne sont que des bavardages vides de sens. Nous n’avons que faire d’une Église qui célèbre le culte de l’action dans des prières politiques. Tout ceci est complètement superflu. Cette Église ne tiendra pas. Ce qui restera, c’est l’Église du Christ, l’Église qui croit en un Dieu devenu Homme et qui nous promet la vie éternelle. Un prêtre qui n’est rien de plus qu’un travailleur social peut être remplacé par un psychologue ou un autre spécialiste. Un prêtre qui n’est pas un spécialiste, qui ne reste pas sur la touche à regarder le jeu et à distribuer des conseils, mais qui, au nom de Dieu, se met à la disposition des Hommes, est à leurs côtés dans leurs peines, dans leurs joies, dans leurs espoirs et dans leurs peurs, oui, ce genre de prêtres, nous en aurons besoin à l’avenir.

L’Église sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro

Allons encore un peu plus loin. De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres.

L’Église ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession

Elle va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou des groupes indépendants, la pastorale sera gérée de cette manière. Parallèlement, le ministère du prêtre à plein temps restera indispensable, comme avant. Mais dans tous ces changements que l’on devine, l’essence de l’Église sera à la fois renouvelée et confirmée dans ce qui a toujours été son point d’ancrage : la foi en un Dieu trinitaire, en Jésus Christ, le Fils de Dieu fait Homme, en l’Esprit-Saint présent jusqu’à la fin du monde. Dans la foi et la prière, elle considérera à nouveau les sacrements comme étant une louange à Dieu et non un thème d’ergotages liturgiques.

Le temps de « l’Église des doux » arrivera

L’Église sera une Église plus spirituelle, ne gageant pas sur des mandats politiques, ne courtisant ni la droite ni la gauche. Cela sera difficile pour elle, car cette période d’ajustements et de clarification va lui coûter beaucoup d’énergie. Cela va la rendre pauvre et fera d’elle l’Église des doux. Le processus sera d’autant plus ardu qu’il faudra se débarrasser d’une étroitesse d’esprit sectaire et d’une affirmation de soi trop pompeuse. On peut raisonnablement penser que tout cela va prendre du temps. Le processus va être long et fastidieux, comme l’a été la voie menant du faux progressisme à l’aube de la Révolution française – quand un évêque pouvait être bien vu quand il se moquait des dogmes et même quand il insinuait que l’existence de Dieu n’était absolument pas certaine – au renouveau du XIXe siècle. Mais quand les épreuves de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. Les hommes évoluant dans un monde complètement planifié vont se retrouver extrêmement seuls. S’ils perdent totalement de vue Dieu, ils vont réellement ressentir l’horreur de leur pauvreté. Alors, ils verront le petit troupeau des croyants avec un regard nouveau. Ils le verront comme un espoir de quelque chose qui leur est aussi destiné, une réponse qu’ils avaient toujours secrètement cherchée. Pour moi, il est certain que l’Église va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu’il va rester à la fin : une Église, non du culte politique car celle-ci est déjà morte, mais une Église de la foi. Il est fort possible qu’elle n’ait plus le pouvoir dominant qu’elle avait jusqu’à maintenant, mais elle va vivre un renouveau et redevenir la maison des hommes, où ils trouveront la vie et l’espoir en la vie éternelle. »

Joseph Ratzinger a été un grand théologien. Sa participation au Concile l’avait mis face aux grands défis de l’Église dans le monde de la fin du XXème siècle. Il en a été un grand interprète, lucide et courageux, exigeant quant à la vérité, fidèle à la Tradition mais libre de toute nostalgie.

« La joie dans l’Eglise est trop souvent grevée d’hypothèques morales et idéologiques, il faut avoir le courage de vivre dans la joie » (Benoit XVI).
« L’Esprit Saint, là où il fait irruption, perturbe toujours les projets personnels des hommes » (Cardinal Ratzinger, 1998).

Des signes célestes

Des signes Célestes : La Foudre sur le Vatican, le soir du renoncement de Benoit XVI (février 2013), La Croix dans le Ciel le jour de ses obsèques (janvier 2023)

Les racines chrétiennes de la France

Discours à l’Élysée en 2008

« L’Histoire suffit à le montrer : dès ses origines, votre pays a reçu le message de l’Évangile. Si les documents font parfois défaut, il n’en reste pas moins que l’existence de communautés chrétiennes est attestée en Gaule à une date très ancienne : on ne peut rappeler sans émotion que la ville de Lyon avait déjà un évêque au milieu du IIe siècle et que saint Irénée, l’auteur de l’Adversus haereses, y donna un témoignage éloquent de la vigueur de la pensée chrétienne.
Or, saint Irénée venait de Smyrne pour prêcher la foi au Christ ressuscité. Lyon avait un évêque dont la langue maternelle était le grec : y a-t-il plus beau signe de la nature et de la destination universelles du message chrétien ? Implantée à haute époque dans votre pays, l’Église y a joué un rôle civilisateur auquel il me plaît de rendre hommage en ce lieu. Vous y avez-vous-même fait allusion dans votre discours au Palais du Latran en décembre dernier.
Transmission de la culture antique par le biais des moines, professeurs ou copistes, formation des cœurs et des esprits à l’amour du pauvre, aide aux plus démunis par la fondation de nombreuses congrégations religieuses, la contribution des chrétiens à la mise en place des institutions de la Gaule, puis de la France, est trop connue pour que je m’y attarde longtemps. Les milliers de chapelles, d’églises, d’abbayes et de cathédrales qui ornent le cœur de vos villes ou la solitude de vos campagnes disent assez combien vos pères dans la foi ont voulu honorer Celui qui leur avait donné la vie et qui nous maintient dans l’existence.« 

L’Histoire suffit à le montrer : dès ses origines, votre pays - la France - a reçu le message de l’Évangile.

Sur les rapports entre l’Église et l’État

« Je suis profondément convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenu nécessaire. Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l’État envers eux, et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société ».

Je suis profondément convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenu nécessaire.

Une Église démondanisée

Lors de son dernier voyage en Allemagne, il appelle l’Église à être moins mondaine: «Les exemples historiques montrent que le témoignage missionnaire d’une Église « démondanisée » émerge plus clairement. Libérée des charges et des privilèges matériels et politiques, l’Église peut mieux se consacrer, et de manière vraiment chrétienne, au monde entier. Elle peut être réellement ouverte au monde… ». septembre 2011.

« Ce que nous apprenons dans le Nouveau Testament sur les charismes, qui apparurent comme signes visibles de la venue de l’Esprit Saint, n’est pas un événement historique du passé, mais une réalité toujours vivante : c’est le même Esprit divin, âme de l’Église, qui agit dans celle-ci à chaque époque, et ses interventions mystérieuses et efficaces se manifestent en notre temps de manière providentielle. Les mouvements et les communautés nouvelles sont comme des irruptions de l’Esprit Saint dans l’Église et dans la société contemporaine » _Pape émérite Benoit XVI – 30 Octobre 2008

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