Marie fondatrice de la foi au Venezuela
J’ai été invité du 22 au 29 septembre 1998 au Venezuela pour un congrès marial organisé par deux prêtres, mes étudiants à l’université de Dayton. C’était mon troisième voyage, le premier datant de 1963, pour la première de mes conférences dans toute l’Amérique du Sud, où la Conférence épiscopale française m’avait envoyé pour acclimater la nouvelle donne de Vatican II. La seconde, en 1988, pour rencontrer Maria Esperanza, la voyante de Betania, les premières apparitions reconnues après Bauraing et Banneux, par jugement de Mgr bello ricardo. J’ai profité de ce voyage pour les rencontrer à nouveau le 21 novembre 1987. Entre-temps, j’avais été avisé d’un délicat problème local, comme s’il y avait une sorte de concurrence entre ces récentes apparitions de Betania commencées en 1976 et les antiques apparitions de Coromoto, qui remontent à 1652 et où l’Eglise a reconnu l’évènement fondateur de la foi parmi les Indiens, au Venezuela. C’est durant l’époque où l’on reprenait connaissance historique de l’évènement lointain et où l’on construisait le sanctuaire national que les apparitions de Betania créèent l’évènement populaire. Il n’y eut pas de guerre des apparitions, mais une sage entente pour hiérarchiser le modeste sanctuaire diocésain et le haut lieu que Jean-Paul II lui-même est venu consacrer en présence de l’épiscopat et du peuple : un évènement pour ce pays deux fois grand comme la France, le plus au Nord de l’Amérique du Sud, dont la population, à 90 % catholique, s’est accrue de 2 à 20 millions d’habitants sur un fond d’origine indienne. A tout Seigneur tout honneur. J’ai visité Coromoto et je parlerai d’abord de ce lieu, avant de raconter ma visite à Betania et à la famille de Maria Esperanza, qui m’accueillit avec chorale à l’aéroport de Caracas, le 22 septembre, avec toute la chaleur chrétienne et vénézuelienne imaginable: ce qui n’est pas peu dire.
C’est donc le lundi 28 septembre, et après le Congrès marial où la Vierge fut honorée d’un grand coeur, que nous avons pris la route à travers la végétation luxuriante de ce beau pays tropical, vers Guanare, ville aujourd’hui épiscopale qui conserve les archives de Coromoto et le sanctuaire primitif où l’on vénère encore Notre-Dame. Chez les alors, je pus examiner les archives et dresser la bibliographie de l’évènement, puis visiter le sanctuaire local que Pie XII avait érigé en basilique mineure en 1949. Cinq ans après avoir déclaré, le 7 octobre 1944, par brève pontificale, Notre-Dame de Coromoto principale patronne de la république du Venezuela. Le 11 septembre 1952, le Cardinal Manuel Arteaga y Betancourt (+ 1963), l’archevêque de la havane délégué pontifical, couronna canoniquement, dans la même église, l’image de Notre-Dame de Coromoto. Ces décisions redonnèrent vie au sanctuaire. Les apparitions de Betania, où la prolifération enthousiaste des voyants inquiétait, tandis que l’évêque de Los Teques poursuivait patiemment son enquête et son discernement, ramenèrent l’attention sur la tradition ancienne. L’on discerna l’attention maternelle de Marie aux sources de la foi dans cette nation. Ce n’est pas que l’Evangélisation ait commencé au XVIIe siècle. Mais les Indiens Kospes, établis à Coromoto, résistaient à la présence espagnole et s’opposaient aux missionnaires. C’est alors, en 1652, que Notre-Dame intervint. Elle apparut au cacique indien. Il lui décocha une flêche, et en retour, elle fit parvenir dans sa main la petite image que l’on conserve aujourd’hui précieusement. Ce fut le point de départ de la conversion des Indiens vers un christianisme particulier, qui ne devait rien à la conquête, mais tout à Notre-Dame elle-même. au Venezuela comme à Mexico et ailleurs, la Vierge eut soin de se manifester non point aux conquérants, mais aux Indiens sur leur site propre. Comme on le lira dans le récit populaire de l’apparition. C’est le 2 février 1975 que surgit l’idée d’élever un autre sanctuaire à Notre-Dame, sur le lieu même de l’apparition : Coromoto, à 20 kilomètres de Guanare. Le 18 février 1976 fut fondée l’association civile Venezuela à la Vierge de Coromoto, bénie par les évêques le 4 août, après approbation des premiers statuts le 20 mai. Le 10 septembre, la première pierre du sanctuaire national fut posée. Le 3 février suivant, une page de Coromoto fut transférée dans le village le plus proche du site présumé de l’apparition. En 1980 commença la pose des 252 pilotis pour soutenir le nouveau sanctuaire national, car il fallut aller chercher le roc pour les fondations à 40 mètres de profondeur. Le 27 janvier 1985, Pie XII couronna l’image nouvelle de Notre-Dame de Coromoto.
Malgré la tradition ancienne et ininterrompue, on s’inquiétait de l’incertitude de l’intelligentsia, mais un Frère érudit, Nectario Maria, releva le défi et publia un gros volume sur les fondements historico-canoniques de la tradition, qui ne manquaient pas, car il y eut à partir du XVIIe siècle trois informations officielles successives :
1) La première, en 1668, fut ouverte par le licencié Juan Caldera de quinodes, prêtre remarquable, par mandat de l’évêque fray alonso briceno, évêque de Caracas et trujillo 1661-1668. A la demande de la population, il interrogea sept témoins. Deux compagnons n’avaient vu en même temps que le cacique : bartolome sanchez et juan, si brillant, ainsi que l’Indienne isabelle sobrino, proche témoin. C’est alors que fut fondée officiellement la confrérie de Santa maria de coromoto. Cette première information, réalisée par le Frêre nectario, n’a malheureusement pas été retrouvée après sa mort accidentelle, survenue le 3 octobre 1986.
2) La seconde information juridique fut faite en 1728 par le docteur pedro fransisco pesada, en un temps où il n’y avait plus de survivants. On interrogea sept membres de la confrérie (dont les dépositions ont été conservées).
3) La troisième information fut réalisée par le docteur Carlo herrera, quatre-vingt-douze ans après l’apparition, mais recueille les souvenirs des témoins de la tradition.
Après la mort du Frère nectario, l’Eglise, très soucieuse par ailleurs de la vérité historique, n’oublia pas d’être aussi sensible à la tradition vivante où s’expriment les sens et la foi des fidèles. Les traditions communautaires et priantes ininterrompues sont restées le fondement principal de nombre de sanctuaires. Et c’est en considération de cet autre facteur que la Pape Jean-Paul II a béatifié juan diego, le voyant de Guadalupe, au Mexique, dont certains historiens avaient à un moment mis en doute l’existence. L’histoire a, depuis, retrouvé quelques jalons meublant le long silence devant lequel la vénération de Notre-Dame avait continué sur le site où son apparition avait supplanté le culte indien de la cruelle déesse Tonantain a qui on faisait, jusqu’au début du xvie siècle, des sacrifices humains.
René Laurentin