Le mois de juillet est l’anniversaire de la plus grande insurrection catholique du XXe siècle, occultée par l’Eglise et l’Etat mexicain pendant près de trois générations. Il a fallu attendre les travaux historiques de Jean Meyer et d’Hugues Kéraly, puis les béatifications de la fin du pontificat de Jean-Paul II, pour que cette incroyable épopée sorte enfin de l’oubli : de 1926 à 1929, dans les États-Unis du Mexique, tout un peuple chrétien armé de machettes et de vieux tromblons affronte au chant du Christus Vincit des régiments de ligne fédéraux, qui arborent le drapeau noir aux tibias entrecroisés et crientViva el Demonio !
On les appelle les Cristeros, par déformation du cri de guerre qu’ils avaient adopté : Viva Cristo Rey !
En 1925, dans l’année qui précède l’insurrection générale, Pie XI avait proclamé le Christ “Roi des Nations” (Quas Primas).
Au Mexique, une nation entière se mobilise aussitôt sous les drapeaux du Dieu fait homme, elle marche vers les mitrailleuses et les canons de l’Antéchrist parce qu’elle refuse l’abdication des dernières libertés de sa foi.
Cette épopée des Cristeros a donné plus de martyrs à l’Église universelle que les déchaînements de la persécution religieuse en République espagnole, dix ans après. LeurCristiada entre de plain-pied avec le soulèvement de Vendée : catholique et royal chez les insurgés mexicains en la seule personne de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle n’est connue pourtant, aujourd’hui encore, que de quelques initiés.
Le soulèvement des cristeros s’inscrit au Mexique dans l’histoire d’une longue persécution … La Constitution révolutionnaire de 1917 institue la dictature suprême de l’État contre les droits de la religion. A partir de 1924, le président Calles veut frapper un grand coup : il confie à l’armée l’application des lois antireligieuses du régime précédent.
L’antithéisme de l’armée fédérale mexicaine n’est pas un vain mot. Le général Eulogio Ortiz fit fusiller séance tenante un de ses soldats qu’on avait surpris au bain, porteur d’une médaille de la Virgen de Guadalupe. Un peu partout, les officiers investissent à cheval la maison du Seigneur. Ils profanent les saintes espèces, organisent des orgies sur l’autel, montent en chaire pour blasphémer et dansent avec les statues !
Le feu aux poudres
La loi fédérale du 14 juin 1926 frappe le dernier coup : expulsion des congrégations religieuses ; confiscation des biens de l’Église;mise hors-la-loi de toutes les organisations professionnelles non gouvernementales… Le point décisif de la persécution “callista” est l’enregistrement des prêtres, qui équivaut à notre révolutionnaire assermentation. Tous les ministres du culte public sont conviés à passer sous le contrôle direct des pouvoirs civils et militaires. Le moindre curé de campagne doit “pointer” au commissariat, et y signer des engagements de non prosélytisme religieux.
Eté 1926. Voici donc le peuple mexicain au pied du mur, sommé de se défendre ou de périr dans la foi. Sa résistance est immédiate, unanime, exemplaire. Et tout entière à l’initiative des organisations de laïcs, qui commencent par épuiser l’une après l’autre les voies pacifiques sans aucun résultat.
Les catholiques mexicains organisent joyeusement le boycott économique de tous les monopoles d’Etat. Vinrent ensuite les occupations d’églises et les manifestations de rue : on marche sur les palais gouvernementaux, avec pancartes et statues, sous la protection du Saint-Sacrement. Rassemblements réprimés au Mauser et à la mitrailleuse lourde par les régiments de ligne fédéraux. – Les premiers martyrs cristeros auront compté beaucoup de femmes, d’enfants, qui défilaient armés du rosaire et vêtus de blanc.
A la grâce de Dieu
Juin 1926. L’épiscopat mexicain décrète une mesure absolument inédite, qui devait entrer en vigueur le 31 juillet : la suspension du culte public. Pour la première fois, dans l’Église universelle, le clergé cesse partout de célébrer la messe, il cesse d’administrer les sacrements dans l’ensemble des lieux de culte ouverts aux quinze millions de catholiques mexicains.
Juillet 1926. Le destin du catholicisme mexicain bascule dans l’extraordinaire. Car voici que ce peuple qui avait tout supporté du despotisme maçon, comme des bandits qui ravageaient le Mexique avant lui, voici qu’il ne supporte pas qu’on le prive des sacrements de sa religion.
A partir du mois d’août 1926, les catholiques mexicains éprouvent le sentiment tragique d’avoir dressé tous les pouvoirs contre eux. Rome se tait. La troupe viole et fusille sans jugement. Le gouverneur fait pendre les leaders catholiques. L’évêque les prive des sacrements – C’est une apocalypse, indifférente au monde entier, dans le cœur du Mexique chrétien.
Aux premières lignes
Lorsque la police commence d’arrêter ses étudiants dans la rue, l’ACJM (Association Catholique de la Jeunesse Mexicaine) diffuse un ordre du jour qui doit être consigné là-haut sur le grand livre pour la gloire du Christ-Roi : « Contre l’article 18 sur les délits en matière de culte religieux… nous avons décidé que le port permanent de notre insigne sera obligatoire pour tous les membres de l’ACJM à partir du 31 juillet. »
En juin 1927, quand le gouvernement ne contrôle plus que les capitales, force lui est de se rabattre sur les citadins. On décime. Pour l’exemple. Trois jeunes gens, torturés une nuit entière par les soldats, sont fusillés le 25 contre un mur de la cathédrale de Colima, avec toute la ville pour témoin.
– Regarde, nous allons mourir aux pieds de la Vierge de Guadalupe : derrière ce vitrail, au-dessus de nos têtes, se trouve sa statue.
Détail significatif, les officiers callistes photographiaient partout leurs propres atrocités. Un cliché particulièrement symbolique montre un homme traîné sur un brancard au lieu de l’exécution, et deux autres fauchés autour, qui baignent de leur sang un sinistre caniveau. A droite et à gauche des cadavres, trois jeunes femmes d’une vingtaine d’années, voilées de noir, debout, dos au mur, montent sous l’œil des sentinelles une garde d’honneur forcée. Elles appartiennent aux “BB”, les Brigades féminines Sainte Jeanne d’Arc, et avaient mis sur pied dans leur ville un service de renseignements. La soldatesque, qui arrêtait souvent au hasard des rues, pour assouvir son appétit de viol et de sang, ne s’exposait pas ainsi à “l’erreur judiciaire” : dans le Mexique cristero, toute la jeunesse résistait…
Ruons-nous sur la consolation que Jean-Paul II et Benoît XVI apportent aujourd’hui à l’Eglise universelle en canonisant sans scrupules ni habillage diplomatique plusieurs dizaines de militants cristeros. Puissent les signes forts que ces deux papes ont données faire aussi que les millions d’autres martyrs qui sont partis ou continuent de partir aujourd’hui vers le Ciel sans témoins ne soient pas oubliés pour toujours dans la mémoire et la prière des chrétiens.
Hugues Kéraly
Trois générations de combattants cristeros, dans l’Etat de Colima.
Exécution de saint Augustin Pro, coupable de “sympathies cristeras”, le 22 novembre 1927 à Guadalajara. En civil : le loi interdit – même aux condamnés – le port d’un vêtement religieux. Le Père Augustin vient de pardonner à cet officier, qui se méfie à juste titre du regard de ses supérieurs… Il fera face ensuite debout, sans liens ni bandeau, au peloton d’exécution, les bras en croix, en criant Viva Cristo Rey !
Augustin Pro sera béatifié en novembre 2005 d