Des groupes de prière, à la demande de la Vierge
Au bout de la route de terre ocre, à 7 km de Villascanas, voici l’ermitage San Gregorio, fermé; son puits blanchi à la chaux et à sa gauche, le hangar-chapelle Luz de Fatima. En ce 13 octobre, nous sommes en plein coeur de la Mancha, écrasée de soleil et bien connue depuis don Quichotte, à 70 km au sud de Madrid (entre Tolède et l’ex- résidence royale d’Aranjuez, au bord du Tage). A côté de la chapelle où trône Notre-Dame de Fatima au milieu des fleurs, une maisonnette recouvre un autre puits – dont l’eau serait miraculeuse -, couronnée d’une deuxième statuette, trois colombes blanches à ses pieds. Là se réunissent, chaque 13 du mois, depuis le 13 mai 1989, le groupe fervent qui entoure Epifania Tirado, rebaptisée «Luz (Lumière) Epifania» par la Vierge Marie.
Premiers faits fondateurs surprenants… Tout avait commencé par un groupe de prière, pour les âmes du Purgatoire, chaque mardi au cimetière de Villascanas, vers 1985 – auquel Epifania, femme simple, illettrée et robuste, qui travaillait aux champs, ne venait pas. De famille communiste, elle était athée. Par un concours d’amitiés, typiquement ibérique, elle se rendit pourtant le samedi 2 août 1986, dans un important lieu de manifestations d’Espagne, «par curiosité». Mais voici qu’elle y tombe en extase, au pied de l’arbre des apparitions, et y voit la Vierge, sous la forme de Notre-Dame de Fatima (elle devait La revoir par la suite avec son «Manteau de douleur»).
Retournement. Le Ciel place alors sur son chemin, le 12 décembre 1986, Pilar Gimenez et sa mère, Dona Pilar Nuno de la Rosa, catholiques ferventes, dont le frère et fils Jésus avait été miraculeusement guéri d’un cancer, en 1978-1979, suite à l’un de leurs nombreux pèlerinages au Portugal. Pilar accueille Epifania, désorientée devant ce qui se passe, par ces mots: «Si ce qui t’arrive vient de Dieu, jamais je ne te tournerai le dos.» Elle et sa mère devaient l’aider, devenant ce qu’on appelle ici, «les deux piliers» de ces apparitions.(1) Ensuite, les choses s’enchaînent dans une progression continue, comme «menées par une main invisible». Le 10 janvier 1987, Epifania entre en extase, devant tout le groupe de prière du cimetière, qu’elle avait rejoint. (2). C’était la première d’une série d’extases (terminées en ce lieu, en avril 1989) où la mystique, par ailleurs qualifiée par la Vierge Marie de «petite âme», se mit à parler de choses qu’elle ignorait totalement: par exemple des «trois jours de ténèbres» ou des visions qu’elle recevait de la vie du Seigneur. Le 12 mai 1987, la Vierge Marie demande à Epifania «d’aller à pied, le lendemain à l’ermitage San Gregorio- à 7 km de là -, où devait être célébrée la messe annuelle, suite au voeu et zèle de la famille Gimenez-Nuno de la Rosa, évoquée plus haut. Pas moins de cinquante personnes participent à cette marche: Epifania y reçoit une extase et on voit aussi le «soleil tourner». Ce n’est pas fatigués mais en chantant, qu’ils arrivent pour une messe fervente…. C’est vers cette époque, un mardi, qu’Epifania voit le Seigneur qui, lui imposant les mains, lui dit: «Prends Mes mains car désormais tes mains seront comme les Miennes: ne les refuse à personne qui te les demande en mon Saint Nom». Depuis, elle connaît l’état des consciences et impose les mains: on fait état de certaines guérisons; mais toujours, elle ressent, dans son propre corps, la maladie du visiteur… éberlué du diagnostic. On parle aussi de communions mystiques et de multiplications d’aliments et d’objets (Rosaires), début 1988.
* * *
Entre en scène alors «le troisième pilier», une nouvelle aide, Marta Santa Ollala, femme de culture (par ailleurs très liée aux Cénacles de Dom Gobbi). Concrètement, elle donne à Epifania «des papiers à remettre à la Sainte Vierge». Cela tombe à pic: comme la voyante ignore tout du contenu des dits papiers, ce sera Notre-Dame qui lui expliquera ….qu’ils recèlent précisément la façon de mettre en pratique ce qu’Elle venait justement de lui demander, quelques instants auparavant: la création de «cénacles d’oraison» (pour laïcs), – terme dont la voyante ignorait également le sens. Pour obéir immédiatement à Notre-Dame, caractéristique de ce lieu semble-t-il, trois premiers cénacles sont aussitôt organisés, l’un chez Pilar mère, deux autres dans un village voisin, qu’Epifania vient «inaugurer au nom de la Vierge». Ces cénacles se multiplient rapidement dans les superbes villages de Vieille Castille et à présent, jusqu’en Madrid.
Marches encore, et feux: la Chapelle Le 13 mai 1988, tous, castillanes de plus de soixante ans comprises, reprennent le chemin de la messe à san Gregorio. Alors Marie demande que «le 13 de chaque mois, tous se réunissent à l’ermitage, pour réciter le Rosaire». Là, le curé ferme l’ermitage. Le 13 juin 1988, en présence de nombreux fidèles, l’extase a lieu devant la porte close: Epifania y voit notre Mère, à l’intérieur, qui dit: «Ma maison doit être ouverte pour tous mes enfants.» On lutte, mais en vain, pour obtenir les clefs. Décidemment persévérants, tous reprennent leur marche, le 13 juillet, par la chaleur accablante que l’on imagine. Récitation du Rosaire à l’extérieur, et communion mystique. (3) Mais voici que, toujours en extase «et comme guidée par une main invisible», Epifania poursuit sa marche, prenant la direction d’une fabrique de farine(4). Puis s’arrêtant soudain, elle dit simplement: «Ici». Pour délimiter le lieu indiqué par le Ciel, on commence à poser quelques pierres. Mais lorsque l’une des présentes, qui dirige un cénacle, apporte la sienne…. un éclair de lumière surgit: tout l’endroit commence alors à brûler de feux qui ne consument pas (5). Tous ouvrent leurs parapluies… apportés pour se protéger du soleil: le feu redouble de force sur des mottes de terre et les rares touffes d’herbe. C’est en ce jour mémorable que la Vierge Marie, baptisa les lieux «Luz de Fatima» et demanda «un autel».
De l’ardente obéissance, aux Vigiles Obéissant immédiatement aux ordres du Ciel, on improvise sur-le-champ une table rectangulaire démontable sur laquelle est placée, le 13 août suivant, une statue de Notre-Dame de Fatima. On fonctionne ainsi, jusqu’à ce que Marie précise à Epifania qu’elle «devait construire un autel définitif». Après trois jours de prière, on se risque à demander à acheter ce bout de terrain au propriétaire, Emilio. Qui «ne voulant rien refuser à la Vierge», ne le vend pas mais le donne, en novembre . Les travaux commencent après le plus gros de l’hiver, très rude sur ces hauts plateaux, en février 1989. Pourtant, interruption en mars: lorsque la mairie tente d’interdire ces petits travaux, sur une propriété privée (et par la même occasion, ferme le cimetière au groupe de prières du mardi – qui continuera de se réunir, devant la porte). Problème liquidé en avril: bonnes volontés et matériaux offerts affluent «tout seuls», et tout est fini, sans aucun plan préalable, pour le 13 mai 1989. Devant le premier autel, piédestal de la Notre-Dame, on ajoute même un second, susceptible de servir à la célébration du culte. On couvre aussi le puits. Voilà que lors d’une extase, le 13 décembre 1989, Epifania contemple «des rayons de lumière qui faisaient tourner et bouillonner l’eau» – auparavant non potable, mais désormais «bénie», bue et emportée…. Nouvelle étape de cette marche ascendante, le premier samedi de février 1993, où Marie demande «qu’on célèbre une Vigiledans cette chapelle». Expliquant le 13 février, que «cela consiste à se réunir avec Moi, pour se remémorer et méditer la Passion du Seigneur». C’est ainsi que depuis mars 1993, les fidèles se rassemblent également chaque premier vendredi, pour un Via Crucis – devant des «stations» apportées aussitôt. Nuits où Epifania, «âme victime», souffre face aux scènes de la Passion de Jésus qu’elle reçoit en vision et décrit. Marie l’y accompagne toujours….
Un après-midi de lumière et d’amour En ce 13 octobre 1997, quelques centaines de personnes sont venues là, de partout, dans une ambiance simple et familière.On leur rappelle de «faire silence», surtout «en ce jour très spécial, 80ème anniversaire de Fatima». Puis les chants s’envolent, à cœurs déployés, accompagnés de guitarres et d’accordéons: «Je veux t’offrir le meilleur de mon cœur, j’ai voulu te choisir comme pont et chemin qui unit l’homme à Dieu, dans un «abrazo» (accolade) divin. Je veux t’aimer, je veux te prier.» Entre les Ave sonores et joyeux, redécouverts, au point que même «l’heure de notre mort» devient une fête, Pilar Gimenez donne quelques explications historiques «pour les nouveaux venus». Vers 16 heures, Epifania arrive, vêtue de bordeaux. Plusieurs l’embrassent. Elle dirige le Rosaire médité, rythmé de nouveaux chants, dont l’ardente poésie populaire mériterait d’être retranscrite: «Voici bien longtemps que je t’aime Ne permets pas, Mère, que je m’éloigne jamais….». Au 4ème Mystère joyeux, on aide Epifania, qui souffre de graves problèmes aux genoux et aux jambes, à…s’agenouiller. Soudain, comme si ‘on’ avait éteint quelque chose, elle s’interrompt au milieu d’une phrase: elle est entrée en extase. Malgré le silence absolu du recueillement général, on entend à peine les mots murmurés entre les halêtements, dans une respiration profonde et très ralentie, car ici la Vierge utilise la voix de la voyante, qui change. Le message est concis: «N’ayez pas peur, je suis votre Mère, l’Immaculée (‘Purisima’, Très Pure) Conception. Que la paix de Dieu règne toujours parmi vous (salutation habituelle). Soyez dans la joie, mes enfants: les coeurs de Jésus et de Marie sont avec vous tous. Maintenant, en ma présence, inclinez-vous tous et baisez le sol (exécution générale): c’est un geste qui plaît beaucoup à Dieu et qui sert à la salvation des hommes. Enfants de mon Coeur, priez beaucoup et bien. Les Coeurs de Jésus et de Marie attendent vos prières…. Priez beaucoup pour mes âmes consacrées. Beaucoup d’entre elles se laissent entraîner par l’ennemi et se perdent; et avec elles, tant et tant d’âmes. Mon Coeur les aime tant. Vous, mes enfants, allez de l’avant sans faiblir: comme je vous l’ai annoncé, cette terre sainte (affirmation maintes fois répétée en ce lieu) est entre vos mains. Vous verrez un jour, mes enfants, les âmes que vous êtes en train de sauver, par votre petit effort. C’est pourquoi je veux, j’insiste, je veux beaucoup de groupes de prières, de cénacles d’oraison avec Dieu et avec moi….» La voyante semble dialoguer amoureusement avec Marie: «tu sais que je te donne ma vie…tu sais tout ce que tu signifies pour moi»…. Elle veut aussi «partir avec Elle» – et semble voir sainte Thérèse d’Avila, dont c’est la fête «oui, dans deux jours». Le message reprend: «Mes enfants, cette petite âme va à présent étendre les mains. Dieu le Père va répandre sur elle des grâces très spéciales. Prenez-les tous…J’attends…»
L’attentive Pilar a compris et ordonne: «Faites une chaîne»… La Vierge Marie dicte alors: «Répétez après moi: ‘Mon Père du Ciel, je me donne à Toi corps et âme. Prends soin de ma vie, puisque je Te la remets, pour la gloire du Père, du Fils et du Saint Esprit’. Enfants de mon Cœur, prenez-soin de cette grâce. Vous mettrez au propre cette petite prière et la répéterez tous les jours. Je vous promets de grands miracles de corps et d’âme. Venez ici avec foi, amour et espérance et vous serez bénis. Maintenant levez tous les objets… Je vous bénis mes enfants, comme le Père vous bénit, par le Fils et avec son Esprit. Père, Jésus, prends soin d’eux avec amour, simplicité et humilité. Au revoir, mes enfants».
* * *
Epifania se signe très lentement et poursuit son dialogue. Elle pleure, tentant de retenir la Vierge: «ne t’en vas pas!». Entre pleurs et gémissements (qui contrastent avec la vigueur des chants entonnés de nouveau), elle secoue la tête, ouvre les yeux. Mais, comme d’habitude, elle ne parvient pas à recouvrer la vue. «Aïe, Mère, toi seule sais combien cet instant est terrible!»…Comme l’entourage m’y invite, j’ose humer ses mains en sueur: elles sentent le romarin et l’encens mêlés – «mon odeur» lui aurait expliqué le Christ. Deux personnes l’aident vigoureusement à se relever et l’assoient comme une masse. Là, elle crie de douleur: «Aïe, Mère, mes jambes! Ôte-moi cette douleur!». Pilar la réconforte, cela dure. Comme Epifania, sur l’injonction de Marie, doit continuer de mener le Rosaire, après l’extase, on attend qu’elle récupère en chantant de plus belle. En proie à un grand froid, l’extatique tremble du visage et de tous ses membres. On lui donne à boire. Ensuite ce sont des frissons dans le dos. Finalement elle ouvre les yeux…Puis d’une voix peu assurée, hâchée, elle balbutie difficultueusement….Superbe Rosaire pourtant, bien complet, avec prières à l’Esprit Saint, à la TSTrinité, à Saint Michel, Litanies et Consécration au Coeur Immaculé de Marie. Une jeune fille vient ensuite lire le message pris en note auparavant, car peu audible. Epifania elle, le découvre: car elle est inconsciente de ce qu’elle prononce en extase. Pour finir, elle dit ce qu’elle a vu et commente: «la Vierge attend vos prières…». Son discours est étonnamment fluide, comme inspiré. Elle finira par insister elle aussi, sur ce qui semble constituer le but et les fruits, déjà généreux, de ces apparitions: «Allons donc, courage, ouvrez votre maison à la Vierge Marie. C’est très simple. Ouvrez le portes de vos maisons. Seulement un jour par mois, ou par semaine, pour lui réciter ensemble le Rosaire. Ne vous découragez pas si au début, vous êtes peu nombreux. Même à deux, on peut faire un cénacle….».
De fait, les groupes se multiplient, où l’on prie pour les familles, les jeunes, les malades, la paix dans le monde, les âmes consacrées, l’Espagne, et «pour sauver ce peuple». Bien des grâces semblent reçues dans les familles, qui en donnent témoignage. La suite ne dément pas l’aimante fidélité générale: deuxième bénédiction des objets, conformément au souhait de la Vierge, par un prêtre dominicain discrètement présent. Baiser de l’autel de Notre-Dame de Fatima, là où se reçoivent les grâces. Puis la statue est portée en une longue procession aux bougies, qui toujours en chantant s’étire sur la plaine ocre. Pour finir, c’est l’au-revoir à Marie, ramenée dans sa chapelle, tous mouchoirs blancs déployés dans la lumière dorée du soir, au milieu de chants, encore et toujours… Tout cela est frais, spontané, simple, transparent, mais ardent, dans une communion à la fois joyeuse et intime. Il est des moments de grâce, difficiles à retranscrire…Sans me connaître, plusieurs viennent m’inviter à leurs groupes de prière. Ici, ils ne sont ni «restreints» ni «fermés», mais nombreux et fraternels, car grand ouverts.
Angeles Asurey
NOTES
1) Terme fort en Espagne, car ce prénom renvoie à Notre-Dame du Pilar, patronne de l’Espagne, qui trône à Saragosse: depuis que, selon la tradition, la Vierge Marie serait venue de son vivant, portée par les anges, réconforter l’apôtre saint Jacques découragé, qui se reposait sur les bords de l’Ebre. Cela se passait dans les années 40 de notre ère. Pour lui montrer qu’il ne rêvait pas, Elle lui aurait laissé le signe tangible d’une colonne…, un «pilar». D’où le nom de cette advocation et du Sanctuaire de Saragosse.
2) Concrètement, on s’y réunissait au pied de la «croix des tombés» (de tous bords, guerre civile de 1936-1939), devant laquelle on apportait chaque fois, une statue de Notre-Dame de Fatima.
3) Administrée par le P. Pio, dit-on.
4) Dieu soit loué, appartenant à la famille des deux Pilar.
5) Ce phénomène de «buisson ardent» est bien connu par la Bible. Il n’est pas nouveau non plus en Espagne: c’est par «un feu qui ne consumait pas», que débutèrent les apparitions de Marie, «Mère Pure et Douloureuse», toute de noir vêtue, à Umbe, au pays Basque. Dans la cuisine de Felisa Sistiaga (25 mars 1941 – 23 mai 1981, avec de longues périodes d’interruption). Plus de 400 guérisons ont été constatées à ce jour, au puits touché aussi par l’Archange saint Michel. Il est intéressant de préciser que c’est toujours en espagnol, que la Vierge s’adressa à cette humble montagnarde -, qui ne parlait que le basque. Pourtant, riche d’annonces eschatologiques, cette manifestation n’avait pas qu’une seule portée régionale.
* Pour ceux qui, lors de vacances, se rendraient à Villascanas, ne pas manquer de visiter les villages voisins de Consuegra (où se situe l’épopée de don Quichotte) et de Templeque: l’une des plus belles places d’Espagne.