Entretien du 15 mars 1856 entre Mgr Pie et Napoléon III à propos du Règne social de Jésus-Christ
Le cardinal Pie :
« Je m’empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de Votre Majesté et je sais reconnaître, Sire, les services qu’elle a rendus à Rome et à l’Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous ?
Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration, ni vous, n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre, vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre, vous n’avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l’évangile social dont s’inspire l’État est encore la Déclaration des Droits de l’Homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des Droits de Dieu. Or, c’est le Droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés.
Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence. Or, j’ai le devoir de vous dire qu’il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un État chrétien et catholique.
Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce- pas proclamer équivalemment que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ?
Eh bien ! Sire, savez-vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d’une telle contradiction ? Jésus-Christ, Roi du Ciel et de la terre, leur répond : Et Moi aussi, gouvernements qui vous succède en vous renversant ks ms les autres, Moi aussi, Je vous accorde une égale protection. J’ai accordé cette protection à l’Empereur, votre oncle ; J’ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République, et à vous aussi, la même protection vous sera accordée. »
L’empereur arrêta l’évêque :
« Mais encore, croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »
Le cardinal Pie :
« Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque, je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! Alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer».