Message au Roi Louis XIV, "fils aîné du sacré Cœur de Jésus" (17.06.1689) NS à Marguerite-Marie Alacoque
Le message à Louis XIV
En juin 1689, écrivant à mère de Saumaise après la fête du sacré Ceeur, après avoir manifesté à sa correspondante les volontés du Cœur de Jésus sur les visitandines comme propagatrices de la dévotion, Marguerite-Marie ajouta :
«Mais il ne veut pas s’en arrêter là : il a encore de plus grands desseins qui ne peuvent être exécutés que par sa toute puissance, qui peut tout ce qu’elle veut.
«Il désire donc, ce me semble, entrer avec pompe et magnificence dans la maison des princes et des rois, pour y être honoré autant qu’il y a été outragé, méprisé et humilié en sa Passion, et qu’il reçoive autant de plaisir de voir les grands de la terre abaissés et humiliés devant lui, comme il a senti d’amertume de se voir anéanti à leurs pieds. Et voici les paroles que j’entendis au sujet de notre roi :
«Fais savoir au fils aîné de mon sacré Cœur que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte enfance, de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’il fera de lui-même à mon Cœur adorable qui veut triompher du sien et, par son entremise, de relui des grands de la terre. Il veut régner dans son palais, être peint dans ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses de tous ses ennemis en abattant à ses pieds ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la sainte Eglise». Et la sainte d’ajouter :
« Vous aurez sujet, ma bonne mère, de rire de ma simplicité à vous dire tout cela, mais je suis le mouvement qui m’en est donné au même instant. Vous m’en direz votre pensée, mais je vous demande toujours le secret pour tout ce que je vous dis».
Ainsi, Marguerite-Marie se confie-t-elle seulement à mère de Saumaise et lui demande conseil. Elle n’a donc pas transmis le message et ne réclame pas qu’on le fasse : elle requiert simplement un avis.
Le 28 août, nouvelle lettre de la sainte à son ancienne supérieure. Cette fois le ton est net et ferme et sont indiqués de manière précise les moyens à employer pour faire aboutir les desseins du ciel :
«Le Père éternel, voulant réparer les amertumes et angoisses que l’adorable Cœur de son divin Fils a ressenties dans la maison des princes de la terre, parmi les humiliations et outrages de sa Passion, veut établir son empire dans la Cour de notre grand monarque, duquel il se veut servir pour l’exécution de ce dessein qu’il désire s’accomplir en cette manière, qui est de faire faire un édifice où serait le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir la consécration et les hommages du roi et de toute la cour. De plus, ce divin Cœur voulant se rendre protecteur et défenseur de sa sacrée personne contre tous ses ennemis visibles ou invisibles, dont il le veut défendre et mettre son salut en assurance par ce moyen, c’est pourquoi il l’a choisie comme son fidèle ami pour faire autoriser la messe en son honneur par le Saint-Siège apostolique et en obtenir tous les autres privilèges qui doivent accompagner cette dévotion de ce sacré Cœur, par laquelle il lui veut départir les trésors de ses grâces de sanctification et de salut, en répandant avec abondance ses bénédictions sur toutes ses entreprises, qu’il fera réussir à sa gloire, en donnant un heureux succès à ses armes, pour le faire triompher de la malice de ses ennemis. Heureux donc qu’il sera, s’il prend goût à cette dévotion, qui lui établira un règne éternel d’honneur et de gloire dans ce sacré Cœur de notre Seigneur Jésus-Christ, lequel prendra soin de l’élever et le rendre grand dans le ciel devant Dieu son Père, autant que ce monarque en prendra de relever devant les hommes les opprobres et anéantissements que ce divin Cœur y a soufferts ; qui sera en lui rendant et lui procurant les honneurs, l’amour et la gloire qu’il en attend. Mais, comme Dieu a choisi le révérend Père de La Chaise pour l’exécution de ce grand dessein, par le pouvoir qu’il lui a donné sur le cœur de notre grand roi, ce sera donc à lui de faire réussir la chose, en procurant cette gloire à ce sacré Cœur de notre Seigneur Jésus-Christ… Si donc sa bonté inspire à ce grand serviteur de sa divine Majesté d’employer le pouvoir qu’il lui a donné, pour lui faire ce plaisir qu’il désire si ardemment, il peut bien s’assurer qu’il n’a jamais fait d’action plus utile à la gloire de Dieu, ni plus salutaire à son âme, et dont il soit mieux récompensé, et toute sa sainte congrégation, dont il se rendra par ce moyen l’honneur et la gloire, par les grands trésors de grâces et de bénédictions que ce sacré Cœur y répandra… »
Un peu plus loin, Marguerite-Marie indique à mère de Saumaise le rôle qu’elle pourra jouer : informer la supérieure de Chaillot, ajoutant qu’il faut beaucoup prier et faire prier.
Dans sa correspondance avec son ancienne supérieure, sœur Alacoque ne parlera plus du message à transmettre au roi. Par contre, on peut y trouver des allusions indirectes à des difficultés rencontrées, voire à des échecs. Ainsi, à l’automne 1689 :
» Continuez, ma chère mère, vos peines ne sont pas perdues ; le 22 décembre de la même année : Ne vous lassez point dans votre travail… La dévotion de ce sacré Cœur ne doit point être forcée, mais il veut lui-même s’insinuer doucement et suavement, par sa charité, dans les cœurs… Ne nous affligeons pas si nous ne voyons pas si tôt nos désirs accomplis pour la gloire de ce divin Cœur. »
Par contre, écrivant au P. Croiset le 15 septembre 1689, Marguerite-Marie fera allusion au message à Louis XIV : «Il me semble que cette dévotion servirait d’une grande protection à la personne de notre roi et pourrait bien donner d’heureux succès à ses armes et lui procurer de grandes victoires. Mais, ajoute-t-elle, ce n’est pas à moi à dire cela ; il faut laisser agir la puissance de cet adorable Cœur».
Ni les Contemporaines, ni Languet n’ont cité ces textes : le premier biographe de la sainte y fait cependant allusion dans son épitre dédicatoire.
Le contenu du message
Il ne faut ni majorer, ni minimiser le sens de ce message au roi dont l’authenticité est incontestable. On a parlé de «message à la France» : c’est faux, car seul Louis XIV est mis en cause. Par contre, il ne s’adresse pas simplement à la «personne privée», mais au monarque, chef suprême des armées royales et souverain sinon admiré, du moins copié par les autres princes d’Europe.
Louis XIV est, en effet, à ce moment, à l’apogée de sa gloire humaine et tous les yeux sont tournés vers lui. Les autres rois veulent reproduire les fastes de Versailles et la politique du monarque. L’exemple du chef de la France influencerait donc le comportement religieux des autres têtes régnantes ; s’il acceptait de rendre hommage au Cœur de Jésus en son palais et en sa cour, il risquerait alors d’être imité.
Mais, pour en arriver là, le roi doit permettre au Cœur adorable de triompher du sien ; il luifaut chercher et obtenir sa naissance de grâce et de gloire éternelle afin d’être élevé et rendu grand dans le ciel devant Dieu le Père. Or, Louis XIV s’est conduit comme un pécheur public et Marguerite-Marie, tenant un jour sa place devant le Saint-Sacrement, a été assaillie alors par les démons de l’impureté. A présent, sous l’influence de Mme de Maintenon, le monarque amorce sa conversion, mais il faudrait qu’elle soit solide et durable, et la dévotion au Cœur de Jésus la rendrait telle. De plus, à l’époque du message, le roi est encore sous le coup de l’excommunication portée (en secret, il est vrai, car seul l’intéressé en a été informé) par le pape Innocent XI. Et pourtant, c’est lui qui est appelé à l’honneur d’obtenir du Saint-Siège l’autorisation de la messe du sacré Cœur ainsi deviendra-t-il le fidèle ami de celui-ci !
Des bénédictions d’ordre temporel sont enfin promises au monarque pour ses entreprises, pour le succès de ses armes en particulier ; il pourrait alors bénéficier de la protection divine, mais en triomphant des ennemis de la Sainte Eglise (alors que Louis XIV est favorable aux Turcs qui cherchent sans cesse à envahir les nations chrétiennes) et en exécutant des desseins qui tournent à la gloire du Cœur de Jésus.
Que doit faire le souverain ? D’abord se consacrer, ainsi que sa cour, au Cœur de Jésus, après avoir construit un édifice où l’image de celui-ci sera exposée ; ensuite faire des démarches à Rome pour obtenir la messe du sacré Cœur. La première des deux lettres à mère de Saumaise (la seconde n’en parle pas) demande encore que <<>> Ceci ne viendra évidemment qu’après la consécration du roi (et son entière conversion par conséquent) et non pas avant. L’erreur de beaucoup, à propos de ce message au roi, vient de ce qu’ils veulent placer la conclusion avant les prémisses ! Il s’agit, de plus, des étendards personnels du monarque et de ses armes personnelles. Que d’autres mystiques aient reçu, plus tard, des messages pour l’apposition de l’image du sacré Cœur sur le drapeau national, la chose est possible, mais ce serait forcer les textes de notre sainte que de prétendre que la chose lui fût demandée en 1689. Il faut être honnête avec les documents et ne pas leur faire exprimer plus qu’ils n’indiquent.
Le message fut-il transmis ?
Marguerite-Marie donnait la marche à suivre pour faire parvenir à Louis XIV les désirs du ciel. Mère de Saumaise avait charge d’écrire à mère Marie-Louise Croiset, supérieure de la Visitation de Chaillot. Ce monastère avait accueilli l’épouse de Jacques II d’Angleterre, Marie-Béatrice d’Este, l’ancienne duchesse d’York dont le P. La Colombière avait été à Londres le «prédicateur». Par celle-ci, pourrait être touché le P. de la Chaise, confesseur du roi, qui exerçait sur ce dernier une influence considérable, dirigeant l’Eglise gallicane au moins autant que la conscience de Louis XIV. Jamais confesseur des rois, écrira Fénelon à ce dernier, n’avait fait seul les évêques et décidé de toutes les affaires de conscience… Il va toujours hardiment sans craindre de vous égarer… Ainsi, c’est un aveugle qui en conduit un autre et, comme dit Jésus-Christ, ils tomberont tous deux dans la fosse. L’appréciation de M. de Cambrai est sévère, mais elle révèle bien l’ascendant sur le roi du P. de la Chaise.
Celui-ci connut-il le message reçu par Marguerite-Marie ? Probablement. Le transmit-il à son tour ? On se perd en conjectures. Il paraît plus sage de penser que mère Croiset informa Marie Béatrice d’Este des desseins de Dieu concernant le roi et que celle-ci les communiqua à Mme de Maintenon, avec laquelle elle était très liée. Mais cette dernière professait à l’égard du P. de la Chaise une antipathie profonde : Tant que nous aurons le P. de la Chaise, écrivait-elle, nous ne ferons rien… Il faut se confier en Dieu et ne rien attendre de cet homme. Mme de Maintenon put se charger elle-même de parler au roi ou bien le fit avertir par l’épouse de Jacques II, en grande considération auprès du monarque. Ce dernier, à son tour, consulta son confesseur, mais La Chaise, hostile aux faux dévots, n’aimait pas davantage les excès d’une dévotion même sincère ; il est donc possible qu’il ait demandé à son illustre pénitent de demeurer sur la réserve. Par contre, Louis XIV autorisera plus tard son ambassadeur, le cardinal de Forbin-Janson, à transmettre au Saint-Siège la demande, formulée par Marie Béatrice d’Este, d’une messe propre du sacré Cœur. Il semble donc que le roi ait connu les demandes du Cœur de Jésus, mais que la prudence et l’expectative lui aient été alors conseillées. Tout cela pourtant reste du domaine de l’hypothèse et l’on ne peut rien affirmer de façon catégorique.
Un miracle déjà !
Le 8 janvier 1690, Anne-Marie Aumônier de Chalanforge prenait l’habit au monastère de Paray pour devenir soeur converse. Mais le jour même de son entrée en religion (ce qui peut signifier le jour où elle commença son postulat), voulant couper du bois avec une cognée, elle se blessa dangereusement à la jambe ; elle n’osa cependant rien dire, de peur d’être renvoyée. Pendant trois semaines elle se soigna comme elle put, tout en souffrant beaucoup. Mais voici qu’elle se donna un nouveau coup, rouvrant ainsi la plaie. Un jour qu’elle apportait du bois au chauffoir où la communauté était réunie, elle eut l’idée de se baisser tout près de soeur Alacoque, qu’elle regardait comme une sainte, de prendre un pan de la robe de Marguerite-Marie et de s’en frotter la jambe. Celle-ci aussitôt alla mieux et dès le lendemain se trouva guérie. Soeur Chalanforge s’en fut alors trouver notre sainte, lui raconta ce qu’elle avait fait et la pria d’en remercier notre Seigneur. Marguerite-Marie lui promit de le faire, mais lui défendit en même temps de parler de cette guérison.
Ainsi, durant les trois dernières années de l’existence terrestre de la sainte, nous la voyons vivre et agir en plein surnaturel extraordinaire. Ce ne sont plus, certes, les «grandes apparitions», mais ce sont leurs compléments par les visions concernant l’ordre de la Visitation, par les «promesses» et par le message au roi. Quant aux prédictions de la servante de Dieu, leur accomplissement manifestera à tous la sainteté de celle-ci. Par elle déjà, le Seigneur opère des prodiges. Le plus marquant d’entre eux pourtant est l’attitude même de la mystique jamais elle n’a tant suivi l’esprit qui la conduit et qui, à présent, la fait travailler sans répit à la propagation de la dévotion.
Comme elle l’écrit à mère de Saumaise dans la seconde lettre concernant Louis XIV :
«Dieu se plaît souvent de se servir des moindres et des plus méprisables choses pour l’exécution de ses plus grands desseins, tant pour aveugler et confondre le raisonnement humain que pour faire voir sa puissance… L’adorable Cœur de mon Sauveur se sert d’un sujet plus propre à détruire un si grand dessein qu’à le faire réussir, mais c’est afin que toute la gloire soit donnée au souverain Maître et non à l’outil dont il se sert, lequel est de même que cette boue dont ce divin Sauveur se servit pour mettre sur les yeux de l’aveugle-né».
L’humilité de Marguerite-Marie, plus vive que jamais au milieu de tout l’extraordinaire qui foisonne à travers sa personne et par son intermédiaire, voilà bien le signe du surnaturel le plus authentique et le plus efficace.
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On notera que le livre de François Bluche, qui est la bibliographie de référence sur Louis XIV omet de citer ce message de Notre Seigneur Jésus Christ à Ste Marguerite Marie, établi historiquement par l’historien Jean Ladame et dont tout permet d’écrire qu’il a eu lieu le 17 juin 1689, soit un siècle jour pour jour avant le début de la Révolution Française.