De la pudeur - Saint Louis Marie Grignon de Montfort
Les mois d’été, si propices, dans nos sociétés contemporaines, à des étalages de chair et aux débordements de l’impudeur, qui conduisent à l’impureté, il est bon de replonger nos âmes chrétiennes dans les plus solides enseignements d’un grand Père de l’Église : saint Cyprien de Carthage. Originaire d’Afrique du Nord, il vécut dans la première moitié du IIIe siècle et fut évêque de Carthage avant de mourir martyr dans la persécution de Valérien.
D’abord éloigné de son troupeau par la persécution de Dèce, il écrivit à ses fidèles des lettres pour continuer à exercer auprès d’eux sa mission de pasteur de leurs âmes.
Nous citerons des extraits de sa lettre Sur les avantages de la pudeur :
« L’exhortation la plus pressante que je puisse vous adresser — car, avant toutes choses, je désire votre perfection, — c’est que vous soyez fidèles à pratiquer dans toute sa rigueur la vertu de chasteté. Je sais que vous le faites. Vous n’ignorez pas, en effet, que vous êtes le temple du Seigneur, les membres du Christ, la demeure de l’Esprit-Saint. Dieu vous appelle à l’espérance des biens éternels ; il répand la foi dans votre âme ; il vous prédestine au salut. Fils de Dieu, frères du Christ, l’Esprit-Saint se plaît à sanctifier vos âmes. Élevez-vous donc au-dessus de la chair, puisque le baptême vous a donné une nouvelle vie ; attachez-vous à la chasteté, puisque le Christ lui-même l’a consacrée, et qu’en mourant pour vous, il l’a rendue en quelque sorte incorruptible. »
« La pudeur est l’honneur des corps, l’ornement des mœurs, la sainteté des sexes, le lien de la continence, la source de la chasteté, la paix des ménages, le principe de la concorde. La pudeur ne cherche à plaire qu’à elle-même. Toujours modeste, elle est la mère de l’innocence. Elle se juge assez belle si elle peut déplaire au vice. Elle ne cherche pas les ornements ; c’est en elle qu’elle les trouve. Elle nous rend agréables à Dieu et nous unit intimement au Christ. Elle apaise les combats de la chair et nous donne la paix véritable. Bienheureuse elle-même, elle communique sa félicité à ceux en qui elle réside : ses ennemis la contemplent avec respect, et ils l’admirent d’autant plus qu’ils ne peuvent la vaincre. Telle est la vertu que les hommes et les femmes doivent rechercher avec ardeur. Par suite, ils doivent détester l’impureté, sa mortelle ennemie : l’impureté, qui plonge dans la dégradation et dans la fange ceux qui suivent son impulsion funeste ; l’impureté, qui s’attaque à la fois et au corps et à l’âme. Elle fait de l’homme un esclave, en détruisant en lui les bonnes mœurs. D’abord séduisante et, par cela même, plus nuisible, elle porte un coup mortel à la vertu et à la fortune. Que dis-je ? elle va jusqu’à répandre le sang. Elle enflamme toutes les passions ; elle pervertit les consciences honnêtes. Mère de l’impénitence, fléau de l’avenir, opprobre des familles, elle brise les liens du sang, substitue aux enfants légitimes ses propres enfants et détourne en leur faveur des héritages qui deviennent ainsi le prix de la corruption. Souvent même, dans ses ardeurs insensées, elle renverse l’ordre de la nature et cherche, non le plaisir véritable, mais des débauches monstrueuses. »
Après avoir donné l’exemple du patriarche Joseph pour les hommes et celui de Suzanne pour les femmes, saint Cyprien nous expose les moyens de pratiquer cette vertu :
« Vous le voyez, mes frères, la pudeur doit être le sujet continuel de nos méditations. Cette pratique nous deviendra naturelle et facile. Comme toutes les grandes vertus, qui s’éloignent si on ne les retient, elle est au dedans de nous. N’allons pas la chercher au loin, il nous suffit de la développer. La pudeur, en effet, n’est rien autre chose que cette honnêteté de l’âme qui veille à la garde du corps afin que les sens, contenus dans les limites de l’honneur, conservent à la race humaine toute sa pureté.
Si vous me demandez les moyens de conserver cette vertu, je vous indiquerai d’abord la réserve, la méditation des préceptes divins, l’esprit de foi, le respect de la religion. Je vous recommanderai ensuite d’éloigner de vos regards certains objets, surtout les sculptures immodestes ; proscrivez aussi tous ces vains artifices qui n’ont d’autre effet que d’irriter les passions et de susciter en nous de nouveaux combats. Elle a perdu toute pudeur la femme qui cherche à produire sur ses semblables des impressions funestes, même en conservant la chasteté du corps. »
« Que l’esprit émousse l’aiguillon de la chair, qu’il en réprime les mouvements. À lui de soumettre les membres à son empire ; il en a reçu le droit. Conducteur habile, qu’il prenne en main les rênes de l’Évangile pour contenir dans de justes limites les passions emportées, de peur que le corps, semblable à un char dévoyé, ne l’entraîne avec lui dans l’abîme. Mais, avant toutes choses, demandons à Dieu les grâces nécessaires. Celui qui a fait l’homme peut seul le secourir d’une manière efficace. »
Marie, l’Espérance pour la France - père Yannik Bonnet
Le 28 avril 2017, père Yannik Bonnet était l’invité de Jean-Marie Marçais pour son émission Écoute dans la nuit sur Radio Notre Dame.
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Maria Valtorta et Marthe Robin sont évoqués.
Toujours orientés vers Dieu - Saint Louis Marie Grignon de Montfort
Jésus-Christ a dit :
« Il faut prier toujours et ne jamais se lasser ».
Saint Paul recommande aux chrétiens de prier sans interruption. De quelle manière doit s’entendre ce précepte, ou, si l’on veut, ce conseil ? Car on se demande immédiatement comment il est possible de l’accomplir…
Commençons par rappeler que ce précepte ne porte pas sur la prière vocale ! En effet, comment passer une journée entière à ne faire qu’accumuler des formules verbales de prière ! Même les religieux les plus contemplatifs et les plus consacrés à la prière ne vivent pas ainsi. Nous devons passer, bien souvent, la majeure partie de notre temps à accomplir notre devoir d’état temporel, celui sur lequel Dieu nous jugera à la fin de notre existence, en nous demandant des comptes sur ce que nous aurons fait.
Ce précepte ne peut pas non plus porter sur l’oraison mentale, car nous ne pouvons pas être toujours dans l’exercice actuel de cette prière intérieure ! Il est impossible à notre nature d’occuper continuellement notre esprit de la pensée de Dieu ou des choses de Dieu. Une attention non interrompue à la présence de Dieu est au-dessus des forces humaines, et n’est pas compatible avec les embarras de cette vie.
Comment donc et par quelle autre espèce de prière peut-on remplir les intentions de Notre-Seigneur ? Par la prière du cœur, qui consiste dans une disposition habituelle et constante d’amour de Dieu, de confiance en Dieu, de soumission à sa volonté dans tous les événements de la vie, dans une attention continuelle à la voix de Dieu qui se fait entendre au fond de la conscience et dans les circonstances providentielles dans lesquelles nous nous trouvons, et qui nous invite à faire le bien et à éviter le mal.
Cette disposition du cœur est celle où devraient être tous les chrétiens ; c’est en tout cas celle où ont été tous les saints ; et c’est en cela uniquement que consiste la vie intérieure.
Dieu appelle tout le monde à cette disposition de cœur, puisque c’est sans contredit pour tous les chrétiens que Jésus-Christ a dit qu’il faut toujours prier ; et il est certain que tous parviendraient à cet état s’ils répondaient fidèlement à l’appel de la grâce, cela même sans parler de faveurs mystiques extraordinaires. Que l’amour de Dieu soit vraiment dominant dans un cœur ; qu’il lui devienne en quelque sorte comme familier et habituel ; qu’on rejette tout ce qui y est contraire ; qu’on s’applique continuellement à en vivre en cherchant à plaire à Dieu en toutes choses, à progresser dans son intimité autant qu’il lui est agréable et qu’il veut bien nous y introduire ; qu’on s’efforce de ne rien refuser à Dieu de ce qu’il demande ; qu’on prenne comme de sa main tout ce qui arrive ; qu’on soit dans une détermination inébranlable de ne jamais commettre aucun acte dont on aurait conscience qu’il s’agit d’une faute ; et si on a le malheur d’en faire une, qu’on s’en humilie et qu’on se relève aussitôt : on sera dans la pratique de la prière continuelle. Cette prière subsistera au milieu de nos occupations, de nos entretiens, de nos amusements même innocents. La chose n’est donc pas impraticable, ni aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer.
Dans cet état, on ne pense pas toujours à Dieu, mais on ne s’arrête jamais volontairement à une pensée que l’on sait lui être contraire. On ne pose pas sans cesse des actes, on ne prononce pas sans cesse des prières, mais le cœur est toujours tourné vers Dieu, toujours attentif à Dieu, en ce sens qu’il est toujours disposé à passer à l’acte quand les circonstances s’y prêtent ou le requièrent.
On se trompe quand on croit qu’il n’y a de prière réelle que celle qui est expresse, formelle, vocale, sensible, qui s’incarne dans des suites de formules, et dont on peut se rendre témoignage à soi-même. De là vient que tant de personnes se persuadent qu’elles ne font rien à l’oraison, lorsqu’il n’y a rien de marqué, rien que l’esprit ou le cœur aperçoivent ou sentent, aucun discours développé dans l’intelligence ; ce qui les engage à y renoncer. Mais on devrait faire réflexion que Dieu entend, comme dit David, la préparation de nos cœurs ; qu’il n’a besoin ni de nos paroles, ni même de nos pensées pour connaître la disposition intime de notre âme ; que notre prière se trouve déjà en germe et en substance dans le fond de notre volonté, avant qu’elle soit développée par la parole ou la pensée ; en un mot, que nos actes intimes et directs précèdent toute réflexion, et ne sont pas sentis ni aperçus, à moins qu’on n’y fasse une attention expresse. Aussi, quand on demanda à saint Antoine quelle était la meilleure manière de prier, il répondit :
«C’est, lorsqu’en priant, on ne pense pas qu’on prie. »
Notre-Seigneur n’affirmait-il pas lui-même à ses apôtres :
« Quand vous priez, ne prononcez pas des paroles vaines à la manière des païens ; ils s’imaginent que c’est l’abondance de leur verbiage qui les fera exaucer. Ne leur ressemblez donc pas : votre Père connaît vos besoins, avant que vous ne le suppliiez. » (Mt, VI, 7-8)
Ce qui rend cette manière de prier plus excellente, c’est que l’amour propre n’y trouve rien où il puisse s’appuyer, et qu’il ne saurait en souiller la pureté par ses regards.
La prière continuelle n’est donc pas difficile en elle-même, néanmoins elle est très rare, parce qu’il est peu de cœurs disposés comme il faut pour le faire, suffisamment généreux pour se donner si simplement mais si complètement à Dieu, et assez courageux et fidèles pour y persévérer. On ne commence à y entrer que du moment qu’on s’est donné tout à fait à Dieu. Or, il est très peu d’âmes qui osent se donner à Dieu sans réserve ; il y a presque toujours dans ce don de secrètes restrictions de l’amour-propre, des ambitions de vanité ou de succès, comme la suite ne tarde pas à le faire voir. Mais quand le don de soi est plein et entier, Dieu le récompense sur le champ par le don de Lui-même ; il s’établit dans le cœur, et il y forme cette prière continuelle qui consiste dans la paix, dans le recueillement, dans l’attention à Dieu au-dedans de soi-même, au milieu des occupations ordinaires. C’est pourquoi toutes ces distractions technologiques d’aujourd’hui sont de véritables désastres spirituels —sans même parler des usages gravement peccamineux qu’elles facilitent, voire encouragent— car l’intrusion invasive des écrans dans notre vie, cette pollution audio-visuelle permanente, rendent impossible ce recueillement profond de l’âme, cette attention intérieure à Dieu. Nos facultés de concentration sont happées par toutes ces sollicitations extérieures, par tous ces renseignements qui se proposent à nous et qui nous contraignent à vivre à la périphérie de nous-même et non pas en notre « château intérieur », comme aurait dit sainte Thérèse d’Avila.
Ce recueillement dont nous parlions est d’abord sensible : on en jouit, et on le sait. Il devient ensuite tout spirituel ; on l’a, mais on ne le sent plus. Si l’on regrette ce sentiment si doux, si consolant qu’on a perdu, si l’on veut le rappeler, c’est un effet de l’amour propre. Si l’on croit que l’on n’est plus recueilli et qu’on ne pratique plus la prière continuelle parce qu’on ne sent plus rien : c’est une erreur ! Si l’on a la pensée de quitter l’oraison et ses exercices ordinaires de piété, sous prétexte qu’on n’y fait rien, comprenez que l’on n’y ressent plus rien, c’est une très dangereuse tentation. Si l’on y succombe, si l’on se relâche de sa fidélité, si l’on va chercher auprès des créatures la consolation que l’on ne goûte plus en Dieu, on perd le don de la prière continuelle, on déchoit de son état, et l’on s’expose à devenir pire que l’on n’était avant de se donner à Dieu…
Le secret de Marie - Saint Louis-Marie Grignion de Monfort
Sur l’esclavage de la Sainte Vierge
INTRODUCTION
1. Ame prédestinée, voici un secret que le Très-Haut m’a
appris, et que je n’ai pu trouver en aucun livre ancien ni
nouveau. Je vous le confie par le Saint-Esprit, à condition:
1 Que vous ne le confierez qu’aux personnes qui le
méritent par leurs oraisons, leurs aumônes, mortifications,
persécutions, et zèle du salut des âmes et détachement;
2 Que vous vous en servirez pour devenir sainte et
céleste; car ce secret ne devient grand qu’à mesure qu’une âme
en fait usage. Prenez bien garde de demeurer les bras
croisés, sans travail; car mon secret vous deviendrait poison
et serait votre condamnation…
3 A condition que vous remercierez Dieu, tous les jours
de votre vie, de la grâce qu’il vous a faite de vous apprendre
un secret que vous ne méritiez pas de savoir.
Et à mesure que vous vous en servirez dans les actions
ordinaires de votre vie, vous en connaîtrez le prix et
l’excellence que vous ne connaîtrez d’abord qu’imparfaitement,
à cause de la multitude et de la grièveté de vos péchés et
de vos attaches secrètes à vous-même.
2. Avant de passer outre dans un désir empressé et naturel
de connaître la vérité, dites dévotement, à genoux, l’Ave
maris Stella et le Veni Creator, pour demander à Dieu la grâce
de comprendre et goûter ce mystère divin…
A cause du peu de temps que j’ai pour écrire, et du peu
que vous avez à lire je dirai tout en abrégé…
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I. NÉCESSITÉ D’UNE VRAIE DÉVOTION A MARIE
A. LA GRACE DE DIEU EST ABSOLUMENT NÉCESSAIRE
3. Ame, image vivante de Dieu et rachetée du Sang précieux
de Jésus-Christ, la volonté de Dieu sur vous est que vous
deveniez sainte comme lui dans cette vie, et glorieuse comme
lui dans l’autre.
L’acquisition de la sainteté de Dieu est votre vocation
assurée; et c’est là que toutes vos pensées, paroles et
actions, vos souffrances et tous les mouvements de votre vie
doivent tendre; ou vous résistez à Dieu, en ne faisant pas ce
pour quoi il vous a créée et vous conserve maintenant.
Oh! quel ouvrage admirable! la poussière changée en
lumière, l’ordure en pureté, le péché en sainteté, la créature
en le Créateur et l’homme en Dieu! O ouvrage admirable! je le
répète, mais ouvrage difficile en lui-même et impossible à la
seule nature; il n’y a que Dieu qui, par une grâce, et une
grâce abondante et extraordinaire, puisse en venir à bout; et
la création de tout l’univers n’est pas un si grand chef-
d’oeuvre que celui-ci…
4. Ame, comment feras-tu? Quels moyens choisiras-tu pour
monter où Dieu t’appelle? Les moyens de salut et de sainteté
sont connus de tous, sont marqués dans l’Evangile, sont
expliqués par les saints et nécessaires à tous ceux qui
veulent se sauver et arriver à la perfection; tels sont:
l’humilité de coeur, l’oraison continuelle, la mortification
universelle, l’abandon à la divine Providence, la conformité à
la volonté de Dieu.
5. Pour pratiquer tous ces moyens de salut et de sainteté,
la grâce et le secours de Dieu est absolument nécessaire, et
cette grâce est donnée à tous plus ou moins grande; personne
n’en doute. Je dis: plus ou moins grande; car Dieu quoique
infiniment bon, ne donne pas sa grâce également forte à tous,
quoiqu’il la donne suffisante à tous. L’âme fidèle à une
grande grâce fait une grande action, et avec un faible grâce
fait une petite action. Le prix et l’excellence de la grâce
donnée de Dieu et suivie de l’âme fait le prix et l’excellence
de nos actions. Ces principes sont incontestables.
B. POUR TROUVER LA GRACE DE DIEU, IL FAUT TROUVER MARIE
6. Tout se réduit donc à trouver un moyen facile pour
obtenir de Dieu la grâce nécessaire pour devenir saint; et
c’est ce que je veux vous apprendre. Et, je dis que pour
trouver la grâce de Dieu, il faut trouver Marie.
Parce que:
7. 1 C’est Marie seule qui a trouvé grâce devant Dieu, et
pour soi, et pour chaque homme en particulier. Les patriarches
et les prophètes, tous les saints de l’ancienne loi n’ont pu
trouver cette grâce.
8. 2 C’est elle qui a donné l’être et la vie à l’Auteur de
toute grâce, et, à cause de cela, elle est appelée Mère de la
grâce, Mater gratiae.
9. 3 Dieu le Père, de qui tout don parfait et toute grâce
descend comme de sa source essentielle, en lui donnant son
Fils, lui a donné toutes ses grâces, en sorte que, comme dit
saint Bernard, la volonté de Dieu lui est donnée en lui et
avec lui.
10. 4 Dieu l’a choisie pour la trésorière, l’économe et la
dispensatrice de toutes ses grâces; en sorte que toutes ses
grâces et tous ses dons passent par ses mains; et, selon le
pouvoir qu’elle en a reçu, suivant saint Bernardin, elle donne
à qui elle veut, comme elle veut, quand elle veut et autant
qu’elle veut, les grâces du Père éternel, les vertus de Jésus-
Christ et les dons du Saint-Esprit.
11. 5 Comme dans l’ordre naturel, il faut qu’un enfant ait
un père et une mère, de même dans l’ordre de la grâce, il faut
qu’un vrai enfant de l’Eglise ait Dieu pour père et Marie pour
mère; et, s’il se glorifie d’avoir Dieu pour père, n’ayant
point la tendresse d’un vrai enfant pour Marie, c’est un
trompeur qui n’a que le démon pour père…
12. 6 Puisque Marie a formé le Chef des prédestinés, qui est
Jésus-Christ, c’est à elle aussi de former les membres de ce
chef, qui sont les vrais chrétiens: car une mère ne forme pas
le chef sans les membres, ni les membres sans le chef.
Quiconque donc veut être un membre de Jésus-Christ, plein de
grâce et de vérité, doit être formé en Marie par le moyen de
la grâce de Jésus-Christ, qui réside en elle en plénitude,
pour être communiquée en plénitude aux vrais membres de Jésus-
Christ et à ses vrais enfants.
13. 7 Le Saint-Esprit ayant épousé Marie, et ayant produit
en elle, et par elle, et d’elle, Jésus-Christ, ce chef-
d’oeuvre, le Verbe incarné, comme il ne l’a jamais répudiée,
il continue à produire tous les jours en elle et par elle,
d’une manière mystérieuse, mais véritable, les prédestinés.
14. 8 Marie a reçu de Dieu une domination particulière sur
les âmes pour les nourrir et faire croître en Dieu. Saint
Augustin dit même que dans ce monde les prédestinés sont tous
enfermés dans le sein de Marie, et qu’ils ne viennent au monde
que lorsque cette bonne Mère les enfante à la vie éternelle.
Par conséquent, comme l’enfant tire toute sa nourriture de sa
mère, qui la rend proportionnée à sa faiblesse, de même, les
prédestinés tirent toute leur nourriture spirituelle et toute
leur force de Marie.
15. 9 C’est à Marie que Dieu le Père a dit: In Jacob
inhabita: Ma Fille, demeurez en Jacob, c’est-à-dire dans mes
prédestinés figurés par Jacob. C’est à Marie que Dieu le Fils
a dit: In Israel haereditare: Ma chère Mère, ayez votre
héritage en Israel, c’est-à-dire dans les prédestinés. Enfin,
c’est à Marie que le Saint-Esprit a dit: In electis meis mitte
radices: Jetez, ma fidèle épouse, des racines en mes élus.
Quiconque donc est élu et prédestiné, a la Sainte Vierge
demeurant chez soi, c’est-à-dire dans son âme, et il la laisse
y jeter les racines d’une profonde humilité, d’une ardente
charité et de toutes les vertus…
16. 10 Marie est appelée par saint Augustin, et est, en
effet, le monde moule vivant de Dieu, forma Dei, c’est-à-
dire que c’est en elle seule que Dieu fait homme a été formé
au naturel, sans qu’il lui manque aucun trait de la Divinité,
et c’est aussi en elle seule que l’homme peut être formé en
Dieu au naturel, autant que la nature humaine en est capable,
par la grâce de Jésus-Christ.
Un sclupteur peut faire une figure ou un portrait au
naturel de deux manières: 1 se servant de son industrie, de
sa force, de sa science et de la bonté de ses instruments pour
faire cette figure en une matière dure et informe; 2 il peut
la jeter en moule. La première est longue et difficile et
sujette à beaucoup d’accidents: il ne faut souvent qu’un coup
de ciseau ou de marteau donné mal à propos pour gâter tout
l’ouvrage. La seconde est prompte, facile et douce, presque
sans peine et sans coûtage, pourvu que le moule soit parfait
et qu’il représente au naturel; pourvu que la matière dont il
se sert soit bien malléable, ne résistant aucunement à sa
main.
17. Marie est le grand moule de Dieu, fait par le Saint-
Esprit, pour former au naturel un Homme Dieu par l’union
hypostatique, et pour former un homme Dieu par la grâce. Il
ne manque à ce moule aucun trait de la divinité; quiconque y
est jeté et se laisse manier aussi, y reçoit tous les traits
de Jésus-Christ, vrai Dieu, d’une manière douce et
proportionnée à la faiblesse humaine; sans beaucoup d’agonies
et de travaux; d’une manière sûre, sans crainte d’illusion,
car le démon n’a point eu et n’aura jamais d’accès en Marie,
sainte et immaculée, sans ombre de la moindre tache de péché.
18. Oh! chère âme, qu’il y a de différence entre une âme
formée en Jésus-Christ par les voies ordinaires de ceux qui,
comme les sculpteurs, se fient en leur savoir-faire et
s’appuient sur leur industrie, et entre une âme bien maniable,
bien déliée, bien fondue, et qui, sans aucun appui sur elle-
même, se jette en Marie et s’y laisse manier par l’opération
du Saint-Esprit! Qu’il y a de taches, qu’il y a de défauts,
qu’il y a de ténèbres, qu’il y a d’illusions, qu’il y a de
naturel, qu’il y a d’humain dans la première âme; et que la
seconde est pure, divine et semblable à Jésus-Christ!
19. Il n’y a point et il n’y aura jamais créature où Dieu
soit plus grand, hors de lui-même et en lui-même, que dans la
divine Marie, sans exception ni des bienheureux, ni des
chérubins, ni des plus hauts séraphins, dans le paradis
même…
Marie est le paradis de Dieu et son monde ineffable, où
le Fils de Dieu est entré pour y opérer des merveilles, pour
le garder et s’y complaire. Il a fait un monde pour l’homme
voyageur, c’est celui-ci; il a fait un monde pour l’homme
bienheureux, et c’est le paradis; mais il en a fait un autre
pour lui, auquel il a donné le nom de Marie; monde inconnu
presque à tous les mortels ici-bas et incompréhensible à tous
les anges et les bienheureux, là-haut dans le ciel, qui, dans
l’admiration de voir Dieu si relevé et si reculé d’eux tous,
si séparé et si caché dans son monde, la divine Marie,
s’écrient jour et nuit: Saint, Saint, Saint.
20. Heureuse et mille fois heureuse est l’âme ici-bas, à qui
le Saint-Esprit révèle le secret de Marie pour le connaître;
et à qui il ouvre ce jardin clos pour y entrer, et cette
fontaine scellée pour y puiser et boire à longs traits les
eaux vives de la grâce! Cette âme ne trouvera que Dieu seul,
sans créature, dans cette aimable créature; mais Dieu en même
temps infiniment saint et relevé, infiniment condescendant et
proportionné à sa faiblesse. Puisque Dieu est partout, on
peut le trouver partout, jusque dans les enfers; mais il n’y a
point de lieu où la créature puisse le trouver plus proche
d’elle et plus proportionné à sa faiblesse qu’en Marie,
puisque c’est pour cet effet qu’il y est descendu. Partout
ailleurs, il est le Pain des forts et des anges; mais, en
Marie, il est le Pain des enfants…
21. Qu’on ne s’imagine donc pas, avec quelques faux
illuminés, que Marie, étant créature, elle soit un empêchement
à l’union au Créateur: ce n’est plus Marie qui vit, c’est
Jésus-Christ seul, c’est Dieu seul qui vit en elle. Sa
transformation en Dieu surpasse plus celle de saint Paul et
des autres saints, que le ciel ne surpasse la terre en
élévation.
Marie n’est faite que pour Dieu, et tant s’en faut
qu’elle arrête une âme à elle-même, qu’au contraire elle la
jette en Dieu et l’unit à lui avec d’autant plus de perfection
que l’âme s’unit davantage à elle. Marie est l’écho admirable
de Dieu, qui ne répond que: Dieu, lorsqu’on lui crie: Marie,
qui ne glorifie que Dieu, lorsque, avec sainte Elizabeth, on
l’appelle bienheureuse. Si les faux illuminés, qui ont été si
misérablement abusés par le démon jusque dans l’oraison,
avaient su trouver Marie, et par Marie Jésus et par Jésus
Dieu, ils n’auraient pas fait de si terribles chutes. Quand
on a une fois trouvé Marie, et, par Marie, Jésus, et par
Jésus, Dieu le Père, on a trouvé tout bien, disent les saintes
âmes: Inventa, etc. Qui dit tout n’excepte rien: toute grâce
et toute amitié auprès de Dieu; toute sûreté contre les
ennemis de Dieu, toute vérité contre le mensonge; toute
facilité et toute victoire contre les difficultés du salut;
toute douceur et toute joie dans les amertumes de la vie.
22. Ce n’est pas que celui qui a trouvé Marie par une vraie
dévotion soit exempt de croix et de souffrances, tant s’en
faut; il en est plus assailli qu’aucun autre, parce que Marie,
étant la mère des vivants, donne à tous ses enfants des
morceaux de l’Arbre de vie, qui est la croix de Jésus, mais
c’est qu’en leur taillant de bonnes croix, elle leur donne la
grâce de les porter patiemment et même joyeusement; en sorte
que les croix qu’elle donne à ceux qui lui appartiennent sont
plutôt des confitures ou des croix confites que des croix
amères; ou, s’ils en sentent pour un temps l’amertume du
calice qu’il faut boire nécessairement pour être ami de Dieu,
la consolation et la joie, que cette bonne Mère fait succéder
à la tristesse, les animent infiniment à porter des croix
encore plus lourdes et plus amères.
C. UNE VRAIE DÉVOTION A LA SAINTE VIERGE EST INDISPENSABLE
23. La difficulté est donc de savoir trouver véritablement la
divine Marie, pour trouver toute grâce abondante. Dieu étant
maître absolu peut communiquer par lui-même ce qu’il ne
communique ordinairement que par Marie; on ne peut nier, sans
témérité, qu’il ne le fasse même quelquefois, cependant, selon
l’ordre que la divine Sagesse a établi, il ne se communique
ordinairement aux hommes que par Marie dans l’ordre de la
grâce, comme dit saint Thomas. Il faut, pour monter et s’unir
à lui, se servir du même moyen dont il s’est servi pour
descendre à nous, pour se faire homme et pour nous communiquer
ses grâces; et ce moyen est une véritable dévotion à la Sainte
Vierge.
II. EN QUOI CONSISTE LA VRAIE DÉVOTION A MARIE
A. PLUSIEURS VÉRITABLES DÉVOTIONS A LA TRÈS-SAINTE VIERGE
24. Il y a, en effet, plusieurs véritables dévotions à la
très Sainte Vierge: et je ne parle pas ici des fausses.
25. La première consiste à s’acquitter des devoirs du
chrétien, évitant le péché mortel, agissant plus par amour que
par crainte et priant de temps en temps la Sainte Vierge et
l’honorant comme la Mère de Dieu sans aucune dévotion spéciale
envers elle.
26. La seconde consiste à avoir pour la Sainte Vierge des
sentiments plus parfaits d’estime, d’amour, de confiance et de
vénération. Elle porte à se mettre des confréries du Saint
Rosaire, du Scapulaire, à réciter le chapelet et le saint
Rosaire, à honorer ses images et ses autels, à publier ses
louanges et s’enrôler dans ses congrégations. Et cette
dévotion, excluant le péché, est bonne, sainte et louable;
mais elle n’est pas si parfaite et si capable de retirer les
âmes des créatures et de les détacher d’elles-mêmes pour les
unir à Jésus-Christ.
27. La troisiène dévotion à la Sainte Vierge, connue et
pratiquée de très peu de personnes, est celle-ci que je vais
découvrir.
B. LA PARFAITE PRATIQUE DE DÉVOTION A MARIE
1. En quoi elle consiste
28. Ame prédestinée, elle consiste à se donner tout entier,
en qualité d’esclave, à Marie et à Jésus par elle; ensuite, à
faire toute chose avec Marie, en Marie, par Marie et pour
Marie.
J’explique ces paroles.
29. Il faut choisir un jour remarquable pour se donner, se
consacrer et sacrifier volontairement et par amour, sans
contrainte, tout entier, sans aucune réserve, son corps et son
âme; ses biens extérieurs de fortune, comme sa maison, sa
famille et ses revenus; ses biens intérieurs de l’âme, savoir:
ses mérites, ses grâces, ses vertus et satisfactions.
Il faut remarquer ici qu’on fait sacrifice, par cette
dévotion, à Jésus par Marie, de tout ce qu’une âme a de plus
cher et dont aucune religion n’exige le sacrifice, qui est le
droit qu’on a de disposer de soi-même et de la valeur de ses
prières, de ses aumônes, de ses mortification et
satisfactions; en sorte qu’on en laisse l’entière disposition
à la très Sainte Vierge, pour appliquer selon sa volonté à la
plus grande gloire de Dieu qu’elle seule connaît parfaitement.
30. On laisse en sa disposition toute la valeur satisfactoire
et impétratoire de ses bonnes oeuvres: ainsi, après l’oblation
qu’on en a faite, quoique sans aucun voeu, on n’est plus
maître de tout le bien qu’on a fait; mais la très Sainte
Vierge peut l’appliquer, tantôt à une âme du purgatoire, pour
la soulager ou délivrer, tantôt à un pauvre pécheur pour le
convertir.
31. On met bien, par cette dévotion, ses mérites entre les
mains de la Sainte Vierge; mais c’est pour les garder, les
augmenter, les embellir, parce que nous ne pouvons nous
communiquer les uns aux autres les mérites de la grâce
sanctifiante, ni de la gloire…
Mais on lui donne toutes ses prières et bonnes oeuvres,
en tant qu’impétratoires et satisfactoires, pour les
distribuer et appliquer à qui il lui plaira; et si, après
s’être ainsi consacré à la Sainte Vierge, on désire soulager
quelque âme du purgatoire… sauver quelque pécheur, soutenir
quelqu’un de nos amis par nos prières, nos aumônes, nos
mortifications, nos sacrifices, il faudra le lui demander
humblement, et s’en tenir à ce qu’elle en déterminera, sans le
connaître; étant bien persuadé que la valeur de nos actions,
étant dispensée par la même main dont Dieu se sert pour nous
dispenser ses grâces et ses dons, ils ne peuvent manquer
d’être appliqués à sa plus grande gloire.
32. J’ai dit que cette dévotion consiste à se donner à Marie
en qualité d’esclave. Il faut remarquer qu’il y a trois sortes
d’esclavage.
Le premier est l’esclavage de la nature; les hommes bons
et mauvais sont esclaves de Dieu en cette manière.
Le second, c’est l’esclavage de contrainte; les démons et
les damnés sont les esclaves de Dieu en cette manière.
Le troisiène, c’est l’esclavage d’amour et de volonté; et
c’est celui par lequel nous devons nous consacrer à Dieu par
Marie, de la manière la plus parfaite dont une créature se
puisse servir pour se donner à son Créatuer.
33. Remarquez encore qu’il y a bien de la différence entre un
serviteur et un esclave. Un serviteur veut des gages pour ses
services; l’esclave n’en a point. Le serviteur est libre de
quitter son maître quand il voudra et il ne le sert que pour
un temps; l’esclave ne le peut quitter justement, il lui est
livré pour toujours. Le serviteur ne donne pas à son maître
droit de vie et de mort sur sa personne; l’esclave se donne
tout entier, en sorte que son maître pourrait le faire mourir
sans qu’il en fût inquiété par la justice.
Mais il est aisé de voir que l’esclave de contrainte a la
plus étroite des dépendances, qui ne peut proprement convenir
qu’à un homme envers son Créateur. C’est pourquoi les
chrétiens ne font point de tels esclaves; il n’y a que les
Turcs et les idolâtres qui en font de la sorte.
34. Heureuse et mille fois heureuse est l’âme libérale qui se
consacre à Jésus par Marie, en qualité d’esclave d’amour,
après avoir secoué par le baptême l’esclavage tyrannique du
démon!
2. Excellence de cette pratique
35. Il me faudrait beaucoup de lumières pour décrire
parfaitement l’excellence de cette pratique, et je dirai
seulement en passant:
1 Que se donner ainsi à Jésus par les mains de Marie,
c’est imiter Dieu le Père qui ne nous a donné son Fils que par
Marie, et qui ne nous communique ses grâces que par Marie;
c’est imiter Dieu le Fils qui n’est venu à nous que par Marie,
et qui, nous ayant donné l’exemple pour faire comme il a fait,
nous a sollicités à aller à lui par le même moyen par lequel
il est venu à nous, qui est Marie; c’est imiter le Saint-
Esprit qui ne nous communique ses grâces et ses dons que par
Marie. N’est-il pas juste que la grâce retourne à son auteur,
dit saint Bernard, par le même canal par lequel elle nous est
venue?
36. 2 Aller à Jésus-Christ par Marie, c’est véritablement
honorer Jésus-Christ, parce que c’est marquer que nous ne
sommes pas dignes d’approcher de sa sainteté infinie
directement par nous-mêmes, à cause de nos péchés, et que nous
avons besoin de Marie, sa sainte Mère, pour être notre avocate
et notre médiatrice auprès de lui, qui est notre médiateur.
C’est en même temps s’approcher de lui comme de notre
médiateur et notre frère, et nous humilier devant lui comme
devant notre Dieu et notre juge: en un mot, c’est pratiquer
l’humilité qui ravit toujours le coeur de Dieu…
37. 3 Se consacrer ainsi à Jésus par Marie, c’est mettre
entre les mains de Marie nos bonnes actions qui, quoiqu’elles
paraissent bonnes, sont très souvent souillées et indignes des
regards et de l’acceptation de Dieu devant qui les étoiles ne
sont pas pures.
Ah! prions cette bonne Mère et Maîtresse que, ayant reçu
notre pauvre présent, elle le purifie, elle le sanctifie, elle
l’élève et l’embellisse de telle sorte qu’elle le rende digne
de Dieu. Tous les revenus de notre âme sont moindres devant
Dieu, le Père de famille, pour gagner son amitié et sa grâce,
que ne serait devant le roi la pomme véreuse d’un pauvre
paysan, fermier de sa Majesté, pour payer sa ferme. Que
ferait le pauvre homme, s’il avait de l’esprit et s’il était
bien venu auprès de la reine? Amie du pauvre paysan et
respectueuse envers le roi, n’ôterait-elle pas de cette pomme
ce qu’il y a de véreux et de gâté et ne la mettrait-elle pas
dans un bassin d’or entouré de fleurs; et le roi pourrait-il
s’empêcher de la recevoir, même avec joie, des mains de la
reine qui aime ce paysan… Modicum quid offerre desideras?
manibus Mariae tradere cura, si non vis sustinere repulsam. Si
vous voulez offrir quelque chose à Dieu, dit saint Bernard,
mettez-le dans les mains de Marie, à moins que vous ne
vouliez être rebuté.
38. Bon Dieu que tout ce que nous faisons est peu de chose!
Mais mettons-le dans les mains de Marie par cette dévotion.
Comme nous nous serons donnés tout à fait à elle, autant qu’on
se peut donner, en nous dépouillant de tout en son honneur,
elle nous sera infiniment plus libérale, elle nous donnera
« pour un oeuf un boeuf », elle se communiquera toute à nous
avec ses mérites et ses vertus; elle mettra nos présents dans
le plat d’or de sa charité; elle nous revêtira comme Rébecca
fit Jacob, des beaux habits de son Fils aîné et unique Jésus-
Christ, c’est-à-dire de ses mérites qu’elle a à sa
disposition: et ainsi, comme ses domestiques et esclaves,
après nous être dépouillés de tout pour l’honorer, nous aurons
doubles vêtements: Omnes domestici ejus vestiti sunt
duplicibus: vêtements, ornements, parfums, mérites et vertus
de Jésus et Marie dans l’âme d’un esclave de Jésus et Marie
dépouillé de soi-même et fidèle en son dépouillement.
39. 4 Se donner ainsi à la Sainte Vierge, c’est exercer dans
le plus haut point qu’on peut la charité envers le prochain,
puisque se faire volontairement son captif, c’est lui donner
ce qu’on a de plus cher, afin qu’elle en puisse disposer à sa
volonté en faveur des vivants et des morts.
40. 5 C’est par cette dévotion qu’on met ses grâces, ses
mérites et vertus en sûreté, en faisant Marie la dépositaire
et lui disant: « Tenez, ma chère Maîtresse, voilà ce que, par
la grâce de votre Fils, j’ai fait de bien; je ne suis pas
capable de le garder à cause de ma faiblesse et de mon
inconstance, à cause du grand nombre et de la malice de mes
ennemis qui m’attaquent jour et nuit. Hélas! si l’on voit
tous les jours les cèdres du Liban tomber dans la boue, et des
aigles, s’élevant jusqu’au soleil, devenir des oiseaux de
nuit; mille justes de même tombent à ma gauche et dix mille à
ma droite, mais, ma puissante et très puissante Princesse,
gardez tout mon bien, de peur qu’on ne me le vole, tenez-moi,
de peur que je ne tombe; je vous confie en dépôt tout ce que
j’ai: Depositum custodi. – Scio cui credidi. Je sais bien qui
vous êtes, c’est pourquoi je me confie tout à vous; vous êtes
fidèle à Dieu et aux hommes, et vous ne permettrez pas que
rien ne périsse de ce que je vous confie; vous êtes
puissante, et rien ne peut vous nuire, ni ravir ce que vous
avez entre les mains. » Ipsam sequens non devias; ipsam rogans
non desperas; ipsam cogitans non erras; ipsa tenente, non
corruis; ipsam protegente, non metuis; ipsa duce, non
fatigaris; ipsa propitia, pervenis (Saint Bernard, Inter
flores, cap. 135.) Et ailleurs: Detinet Filium ne percutiat;
detinet diabolum ne noceat; detinet virtutes ne fugiant;
detinet merita ne pereant; detinet gratiam ne effluat. Ce sont
les paroles de Saint Bernard qui expriment en substance tout
ce que je viens de dire. Quand il n’y aurait que ce seul
motif pour m’exciter à cette dévotion, comme étant le moyen
de me conserver et augmenter même dans la grâce de Dieu, je ne
devrais respirer que feu et flammes pour elle.
41. 6 Cette dévotion rend une âme vraiment libre de la
liberté des enfants de Dieu. Comme pour l’amour de Marie, on
se réduit volontairement en l’esclavage, cette chère
Maîtresse, par reconnaissance, élargit et dilate le coeur, et
fait marcher à pas de géant dans la voie des commandements de
Dieu. Elle ôte l’ennui, la tristesse et le scrupule. Ce fut
cette dévotion que Notre-Seigneur apprit à la chère Agnés de
Langeac, religieuse morte en odeur de sainteté, comme un moyen
assuré pour sortir des grandes peines et perplexités où elle
se trouvait: « Fais-toi, lui dit-il, esclave de ma Mère et
prends la chaînette »; ce qu’elle fit; et dans le moment,
toutes ses peines cessèrent.
42. Pour autoriser cette dévotion, il faudrait rapporter ici
toutes les bulles et les indulgences des papes et les
mandements des évêques en sa faveur, les confréries établies
en son honneur, l’exemple de plusieurs saints et grands
personnages qui l’ont pratiquée; mais je passe tout cela sous
silence…
3. Sa formule intérieure et son esprit
43. J’ai dit ensuite que cette dévotion consistait à faire
toutes choses avec Marie, en Marie, par Marie et pour Marie.
44. Ce n’est pas assez de s’être donné une fois à Marie, en
qualité d’esclave; ce n’est pas même assez de le faire tous
les mois, et toutes les semaines: ce serait une dévotion toute
passagère, et elle n’élèverait pas l’âme à la perfection où
elle est capable de l’élever. Il n’y a pas beaucoup de
difficulté à s’enrôler dans une confrérie, à embrasser cette
dévotion et à dire quelques prières vocales tous les jours,
comme elle prescrit; mais la grande difficulté est d’entrer
dans l’esprit de cette dévotion qui est de rendre une âme
intérieurement dépendante et esclave de la très Sainte Vierge
et de Jésus par elle.
J’ai trouvé beaucoup de personnes, qui, avec une ardeur
admirable, se sont mises sous leur saint esclavage, à
l’extérieur; mais j’en ai bien rarement trouvé qui en aient
pris l’esprit et encore moins qui y aient persévéré.
Agir avec Marie
45. 1 La pratique essentielle de cette dévotion consiste à
faire toutes ses actions avec Marie, c’est-à-dire à prendre la
Sainte Vierge pour le modèle accompli de tout ce qu’on doit
faire.
46. C’est pourquoi, avant d’entreprendre quelque chose, il
faut renoncer à soi-même et à ses meilleures vues; il faut
s’anéantir devant Dieu, comme de soi incapable de tout bien
surnaturel et de toute action utile au salut; il faut recourir
à la très Sainte Vierge, et s’unir à elle et à ses intentions,
quoique inconnues; il faut s’unir par Marie aux intentions de
Jésus-Christ, c’est-à-dire se mettre comme un instrument entre
les mains de la très Sainte Vierge afin qu’elle agisse en
nous, de nous et pour nous, comme bon lui semblera, à la plus
grande gloire de son Fils, et par son Fils, Jésus, à la
gloire du Père; en sorte qu’on ne prenne de vie intérieur et
d’opération spirituelle que dépendamment d’elle…
Agir en Marie
47. 2 Il faut faire toute chose en Marie, c’est-à-dire qu’il
faut s’accoutumer peu à peu à se recueillir au-dedans de soi-
même pour y former une petite idée ou image spirituelle de la
très Sainte Vierge. Elle sera à l’âme l’Oratoire pour y faire
toutes ses prières à Dieu, sans crainte d’être rebutée; la
Tour de David pour s’y mettre en sûreté contre tous ses
ennemis; la Lampe allumée pour éclairer tout l’intérieur et
pour brûler de l’amour divin; le Reposoir sacré pour voir Dieu
avec elle; et enfin son unique Tout auprès de Dieu, son
recours universel. Si elle prie, ce sera en Marie; si elle
reçoit Jésus par la sainte communion, elle le mettra en Marie
pour s’y complaire; si elle agit, ce sera en Marie; et partout
et en tout elle produira des actes de renoncement à elle
même…
Agir par Marie
48. 3 Il faut n’aller jamais à Notre-Seigneur que par son
intercession et son crédit auprès de lui, ne se trouvant
jamais seul pour le prier…
Agir pour Marie
49. 4 Il faut faire toutes ses actions pour Marie, c’est-à-
dire qu’étant esclave de cette auguste Princesse, il faut
qu’elle ne travaille plus que pour Elle, que pour son profit,
que pour sa gloire, comme fin prochaine, et pour la gloire de
Dieu, comme fin dernière. Elle doit donc en tout ce qu’elle
fait, renoncer à son amour propre, qui se prend presque
toujours pour fin d’une manière presque imperceptible, et
répéter souvent du fond du coeur: O ma chère Maîtresse, c’est
pour vous que je vais ici ou là, que je fais ceci ou cela, que
je souffre cette peine ou cette injure!
50. Prends bien garde, âme prédestinée, de croire qu’il est
plus parfait d’aller tout droit à Jésus, tout droit à Dieu
dans ton opération et intention; si tu veux y aller sans
Marie, ton opération, ton intention sera de peu de valeur;
mais y allant par Marie, c’est l’opération de Marie en toi,
et, par conséquent, elle sera très relevée et très digne de
Dieu.
51. De plus, prends bien garde de te faire violence pour
sentir et goûter ce que tu dis et fais: dis et fais tout dans
la pure foi que Marie a eue sur la terre, qu’elle te
communiquera avec le temps; laisse à ta Souveraine, pauvre
petite esclave, la vue claire de Dieu, les transports, les
joies, les plaisirs, les richesses, et ne prends pour toi que
la pure foi, pleine de dégoûts, de distractions, d’ennuis, de
sécheresse; dis: Amen, ainsi soit-il, à ce que fait Marie, ma
Maîtresse, dans le ciel; c’est ce que fais de meilleur pour le
présent…
52. Prends bien garde encore de te tourmenter si tu ne jouis
pas sitôt de la douce présence de la Sainte Vierge en ton
intérieur. Cette grâce n’est pas faite à tous; et quand Dieu
en favorise une âme par grande miséricorde, il lui est bien
aisé de la perdre si elle n’est pas fidèle à se recueillir
souvent; et si ce malheur t’arrivait, reviens doucement et
fais amende honorable à ta Souveraine.
4. Les effets qu’elle produit dans l’âme fidèle
53. L’expérience t’en apprendra infiniment plus que je ne
t’en dis, et tu trouveras, si tu as été fidèle au peu que je
t’ai dit, tant de richesse et de grâces en cette pratique que
tu en seras surprise et ton âme sera toute remplie
d’allégresse…
54. Travaillons donc, chère âme, et faisons en sorte que, par
cette dévotion fidèlement pratiquée, l’âme de Marie soit en
nous pour glorifier le Seigneur, que l’esprit de Marie soit en
nous pour se réjouir en Dieu son Sauveur. Ce sont là les
paroles de saint Ambroise: Sit in singulis anima Mariae ut
magnificet Dominum, sit in singulis spiritus Mariae ut
exultet in Deo… Et ne croyons pas qu’il y eut plus de
gloire et de bonheur à demeurer dans le sein d’Abraham, qui
est le Paradis, que dans le sein de Marie, puisque Dieu y a
mis son trône. Ce sont les paroles du saint abbé Guerric: « Ne
credideris majoris esse felicitatis habitare in sinu Abrahae,
qui vocatur Paradisum, quam in sinu Mariae in quo Dominus
thronum suum posuit. »
55. Cette dévotion, fidèlement pratiquée, produit une
infinité d’effets dans l’âme. Mais le principal don que les
âmes possèdent, c’est d’établir ici-bas la vie de Marie dans
une âme, en sorte que ce n’est plus l’âme qui vit, mais Marie
en elle, ou l’âme de Marie devient son âme, pour ainsi dire.
Or, quand par une grâce ineffable, mais véritable, la divine
Marie est Reine dans une âme, quelles merveilles n’y fait-elle
point? Comme elle est l’ouvrière des grandes merveilles,
particulièrement à l’intérieur, elle y travaille en secret, à
l’insu même de l’âme qui, par sa connaissance détruirait la
beauté de ses ouvrages…
56. Comme elle est partout Vierge féconde, elle porte dans
tout l’intérieur où elle est la pureté de coeur et de corps,
la pureté en ses intentions et ses desseins, la fécondité en
bonnes oeuvres. Ne croyez pas, chère âme, que Marie, la plus
féconde de toutes les créatures, et qui est allée jusqu’au
point de produire un Dieu, demeure oiseuse en une âme fidèle.
Elle la fera vivre sans cesse en Jésus-Christ, et Jésus-Christ
en elle. Filioli mei, quos iterum parturio donce formetur
Christus in vobis (Gal 4,19), et si Jésus-Christ est aussi
bien le fruit de Marie en chaque âme en particulier que par
tout le monde en général, c’est particulièrement dans l’âme où
elle est que Jésus-Christ est son fruit et son chef-d’oeuvre.
57. Enfin, Marie devient toute chose à cette âme auprès de
Jésus-Christ: elle éclaire son esprit par sa pure foi. Elle
approfondit son coeur par son humilité, elle l’élargit et
l’embrase par sa charité, elle le purifie par sa pureté, elle
l’anoblit et l’agrandit par sa maternité. Mais à quoi est-ce
que je m’arrête? Il n’y a que l’expérience qui apprend ces
merveilles de Marie, qui sont incroyables aux gens savants et
orgueilleux, et même au commun des dévots et dévotes…
58. Comme c’est par Marie que Dieu est venu au monde pour la
première fois, dans l’humiliation et l’anéantissement, ne
pourrait-on pas dire aussi que c’est par Marie que Dieu
viendra une seconde fois, comme toute l’Eglise l’attend, pour
règner partout et pour juger les vivants et les morts? Savoir
comment cela se fera, et quand cela se fera, qui est-ce qui le
sait? Mais je sais bien que Dieu, dont les pensées sont plus
éloignées des nôtres que le ciel ne l’est de la terre, viendra
dans un temps et de la manière la moins attendue des hommes,
même les plus savants et les plus intelligents dans l’Ecriture
sainte, qui est fort obscure sur ce sujet.
59. L’on doit croire encore que sur la fin des temps. et
peut-être plus tôt qu’on ne pense, Dieu suscitera de grands
hommes remplis du Saint-Esprit et de celui de Marie, pour
par lesquels cette divine Souveraine fera de grandes
merveilles dans le monde, pour détruire le péché et établir le
règne de Jésus-Christ, son Fils, sur celui du monde corrompu;
et c’est par le moyen de cette dévotion à la très Sainte
Vierge, que je ne fais que tracer et amoindrir par ma
faiblesse, que ces saints personnages viendront à bout de
tout…
5. Les pratiques extérieures
60. Outre la pratique intérieur de cette dévotion, dont nous
venons de parler, il y en a d’extérieures qu’il ne faut pas
omettre ni négliger…
La consécration et son renouvellement
61. La première, c’est de se donner à Jésus-Christ, en
quelque jour remarquable, par les mains de Marie, de laquelle
on se fait esclave, et de communier à cet effet, ce jour-là,
et le passer en prières: laquelle consécration on renouvellera
au moins tous les ans, au même jour.
L’offrande d’un tribut à la Sainte Vierge
62. La seconde pratique, c’est de donner tous les ans, au
même jour, un petit tribut à la Sainte Vierge, pour lui
marquer sa servitude et sa dépendance: ç’a toujours été
l’hommage des esclaves envers leurs maîtres. Or, ce tribut
est ou quelque mortification, ou quelque aumône ou quelque
pélerinage, ou quelques prières. Le bienheureux Marin, au
rapport de son frère, saint Pierre Damien, prenait la
discipline publiquement tous les ans, au même jour, devant un
autel de la Sainte Vierge. On ne demande ni conseille cette
ferveur; mais, si l’on ne donne pas beaucoup à Marie, l’on
doit au moins offrir ce qu’on lui présente avec un coeur
humble et bien reconnaissant…
La célébration spéciale de la fête de l’Annonciation
63. La troisième est de célébrer tous les ans, avec une
dévotion particulière, la fête de l’Annonciation, qui est la
fête principale de cette dévotion, qui a été établie pour
honorer et imiter la dépendance où le Verbe éternel se mit en
ce jour, pour notre amour…
La récitation de la Petite Couronne et du Magnificat
64. La quatriènme pratique extérieure est de dire tous les
jours, sans obligation à aucun péché, si l’on y manque, la
Petite Couronne de la Très Sainte Vierge, composée de trois
Pater et de douze Ave, et de réciter souvent le Magnificat,
qui est l’unique cantique que nous ayons de Marie, pour
remercier Dieu de ses bienfaits et pour en attirer de
nouveaux; surtout, il ne faut pas manquer de le réciter après
la sainte communion, pour action de grâces, comme le savant
Gerson tient que la Sainte Vierge même faisait après la
communion…
Le port de la chaînette
65. Le cinquième, c’est de porter une petite chaine bénite au
cou, ou au bras, ou au pied, ou au travers du corps. Cette
pratique peut absolument s’omettre, sans intéresser le fond de
cette dévotion; mais cependant il serait pernicieux de la
mépriser et condamner, et dangereux de la négliger…
Voici les raisons qu’on a de porter cette marque
extérieure: 1 pour se garantir des funestes chaînes du péché
originel et actuel, dont nous avons été liés; 2 pour honorer
les cordes et les liens amoureux dont Notre-Seigneur a bien
voulu être garotté, pour nous rendre vraiment libres; 3 comme
ces liens sont des liens de charité, traham eos in vinculis
caritatis, c’est pour nous faire souvenir que nous ne devons
agir que par le mouvement de cette vertu; 4 enfin, c’est
pour nous faire ressouvenir de notre dépendance de Jésus et de
Marie, en qualité d’esclave, qu’on a coutume de porter
semblables chaînes.
Plusieurs grands personnages, qui s’étaient faits
esclaves de Jésus et de Marie, estimaient tant ces chaînettes
qu’ils se plaignaient de ce qu’il ne leur était pas permis de
les traîner publiquement à leur pied comme les esclaves des
Turcs.
O chaînes plus précieuses et plus glorieuses que les
colliers d’or et de pierres précieuses de tous les empereurs,
puisqu’elles nous lient à Jésus-Christ et à sa sainte Mère, et
en sont les illustres marques et livrées!
Il faut remarquer qu’il est à propos que les chaînes, si
elles ne sont pas d’argent, soient au moins de fer, à cause de
la commodité…
Il ne les faut jamais quitter pendant la vie, afin
qu’elles nous puissent accompagner jusqu’au jour du jugement.
Quelle joie, quelle gloire, quel triomphe pour un fidèle
esclave, au jour du jugement, que ses os, au son de la
trompette se lèvent de terre encore liés par la chaîne de
l’esclavage, qui apparemment ne sera point pourrie! Cette
seule pensée doit animer fortement un dévôt esclave à ne la
jamais quitter, quelque incommode qu’elle puisse être à la
nature.
SUPPLEMENT
ORAISONS A JÉSUS ET A MARIE
ORAISON A JÉSUS
66. Mon aimable Jésus, permettez-moi de m’adresser à vous
pour vous témoigner la reconnaissance où je suis de la grâce
que vous m’avez faite, en me donnant à votre sainte Mère par
la dévotion de l’esclavage, pour être mon avocate auprès de
votre Majesté, et mon supplément universel dans ma très grande
misère. Hélas! Seigneur, je suis si misérable que, sans cette
bonne Mère, je serais infailliblement perdu. Oui, Marie m’est
nécessaire auprès de vous, partout: nécessaire pour vous
calmer dans votre juste colère, puisque je vous ai tant
offensé tous les jours; nécessaire pour arrêter les châtiments
éternels de votre justice que je mérite; nécessaire pour vous
regarder, pour vous parler, vous prier, vous approcher et vous
plaire; nécessaire pour sauver mon âme et celle des autres;
nécessaire, en un mot, pour faire toujours votre sainte
volonté et procurer en tout votre plus grande gloire.
Ah! que ne puis-je publier par tout l’univers cette
miséricorde que vous avez eue envers moi! Que tout le monde ne
connait-il que, sans Marie, je serais déjà damné! Que ne
puis-je rendre de dignes actions de grâces d’un si grand
bienfait! Marie est en moi, haec facta es mihi. Oh! quel
trésor! Oh! quelle consolation! Et je ne serais pas, après
cela, tout à elle! Oh! quelle ingratitude, mon cher Sauveur!
Envoyez-moi plutôt la mort que ce malheur m’arrive: car j’aime
mieux mourir que de vivre sans être tout à Marie.
Je l’ai mille et mille fois prise pour tout mon bien avec
saint Jean l’Evangéliste, au pied de la croix et je me suis
autant de fois donné à elle; mais, si je ne l’ai pas encore
bien fait selon vos désirs, mon cher Jésus, je le fais
maintenant comme vous le voulez que je le fasse; et si vous
voyez en mon âme et mon corps quelque chose qui n’appartienne
pas à cette auguste Princesse, je vous prie de me l’arracher
et de le jeter loin de moi, puisque, n’étant pas à Marie, il
est indigne de vous.
67. O Saint-Esprit! accordez-moi toutes ces grâces et
plantez, arrosez et cultivez en mon âme l’aimable Marie, qui
est l’Arbre de vie véritable, afin qu’il croisse, qu’il
fleurisse et apporte du fruit de vie avec abondance. O Saint-
Esprit! donnez-moi une grande dévotion et un grand penchant
vers votre divine Epouse, un grand appui sur son sein maternel
et un recours continuel à sa miséricorde, afin qu’en elle vous
formiez en moi Jésus-Christ au naturel, grand et puissant,
jusqu’à la plénitude de son âge parfait. Ainsi soit-il.
ORAISON A MARIE
pour ses fidèles esclaves
68. Je vous salue, Marie, Fille bien-aimée du Père Eternel;
je vous salue, Marie, Mère admirable du Fils; je vous salue,
Marie, Epouse très fidèle du Saint-Esprit; je vous salue,
Marie, ma chère Mère, mon aimable Maîtresse et ma puissante
Souveraine, je vous salue, ma joie, ma gloire, mon coeur et
mon âme! Vous êtes toute à moi par miséricorde, et je suis
tout à vous par justice. Et je ne le suis pas encore assez:
je me donne à vous tout entier de nouveau, en qualité
d’esclave éternel, sans rien réserver pour moi ni pour autre.
Si vous voyez encore en moi quelque chose qui ne vous
apartienne pas, je vous supplie de le prendre en ce moment, et
de vous rendre la Maîtresse absolue de mon pouvoir; de
détruire et déraciner et d’y anéantir tout ce qui déplait à
Dieu, et d’y planter, d’y élever et d’y opérer tout ce qui
vous plaira.
Et que la lumière de votre foi dissipe les ténèbres de
mon esprit; que votre humilité profonde prenne la place de mon
orgueil; que votre contemplation sublime arrête les
distractions de mon imagination vagabonde; que votre vue
continuelle de Dieu remplisse ma mémoire de sa présence; que
l’incendie de la charité de votre coeur dilate et embrase la
tiédeur et la froideur du mien; que vos vertus prennent la
place de mes péchés; que vos mérites soient mon ornement et
mon supplément devant Dieu. Enfin, ma très chère et bien-aimée
Mère, faites, s’il se peut, que je n’aie point d’autre esprit
que le vôtre pour connaître Jésus-CHrist et ses divines
volontés; que je n’aie point d’autre âme que la vôtre pour
louer et glorifier le Seigneur; que je n’aie point d’autre
coeur que le vôtre pour aimer Dieu d’un amour pur et d’un
amour ardent comme vous.
69. Je ne vous demande ni visions, ni révélations, ni goûts,
ni plaisirs même spirituels. C’est à vous de voir clairement
sans ténèbres; c’est à vous de goûter pleinement, sans
amertume; c’est à vous de triompher glorieusement à la droite
de votre Fils dans le ciel, sans aucune humiliation; c’est à
vous de commander absolument aux anges et aux hommes et aux
démons, sans résistance, et enfin de disposer, selon votre
volonté, de tous les biens de Dieu, sans aucune réserve.
Voilà, divine Marie, la très bonne part que le Seigneur
vous a donnée et qui ne vous sera jamais ôtée; et ce qui me
donne une grande joie. Pour ma part, ici-bas, je n’en veux
point d’autre que celle que vous avez eue, savoir: de croire
purement, sans rien goûter ni voir; de souffir joyeusement,
sans consolation des créatures; de mourir continuellement à
moi-même sans relâche; et de travailler fortement jusqu’à la
mort, pour vous, sans aucun intérêt, comme le plus vil de vos
esclaves. La seule grâce que je vous demande, par pure
miséricorde, c’est que, tous les jours et moments de ma vie,
je dise trois fois Amen: Ainsi soit-il, à tout ce que vous
avez fait sur la terre, lorsque vous y viviez; Ainsi soit-il,
à tout de que vous faites à présent dans le ciel; Ainsi soit-
il, à tout ce que vous faites en mon âme, afin qu’il n’y ait
que vous à glorifier pleinement Jésus en moi pendant le temps
et l’éternite. Ainsi soit-il.
LA CULTURE ET L’ACCROISSEMENT DE L’ARBRE DE VIE
LA MANIERE DE FAIRE VIVRE ET RÉGNER MARIE DANS NOS VIES.
1. Le Saint Esclavage d’amour. Arbre de vie.
70. Avez-vous compris, âme prédestinée, par l’opération du
Saint-Esprit, ce que je viens de dire ? Remerciez-en Dieu!
C’est un secret inconnu de presque tout le monde. Si vous
avez trouvé le trésor caché dans le champ de Marie, la perle
précieuse de l’Evangile, il faut tout vendre pour l’acquérir;
il faut que vous fassiez un sacrifice de vous-même entre les
mains de Marie, et vous perdre heureusement en elle pour y
trouver Dieu seul.
Si le Saint-Esprit a planté dans votre âme le véritable
Arbre de vie, qui est la dévotion que je viens de vous
expliquer, il faut que vous apportiez tous vos soins à le
cultiver, afin qu’il donne son fruit en son temps. Cette
dévotion est le grain de sénevé dont il est parlé dans
l’Evangile, qui étant, ce semble, le plus petit de tous les
grains, devient néanmoins bien grand et pousse sa tige si haut
que les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les prédestinés, y font
leur nid et y reposent à l’ombre dans la chaleur du soleil et
s’y cachent en sûreté contre les bêtes féroces.
2. La manière de le cultiver.
Voici, âme prédestinée, la manière de le cultiver:
71. 1 Cet arbre, étant planté dans un coeur bien fidèle,
veut être en plein vent, sans aucun appui humain; cet arbre,
étant divin, veut toujours être sans aucune créature qui
pourrait l’empêcher de s’élever vers son principe, qui est
Dieu. Ainsi, il ne faut point s’appuyer de son industrie
humaine ou de ses talents purement naturels, ou du crédit et
de l’autorité des hommes: il faut avoir recours à Marie et
s’appuyer sur son secours.
72. 2 Il faut que l’âme, où cet arbre est planté, soit sans
cesse occupée comme un bon jardiner, à le garder et regarder.
Car cet arbre, étant vivant et devant produire un fruit de
vie, veut être cultivé et augmenté par un continuel regard et
contemplation de l’âme; et c’est l’effet d’une âme parfaite
d’y penser continuellement et d’en faire sa principale
occupation.
73. Il faut arracher et couper les chardons et les épines qui
pourraient suffoquer cet arbre avec le temps ou l’empêcher
d’apporter son fruit: c’est-à-dire qu’il faut être fidèle à
couper et trancher, par la mortification et violence à soi-
même, tous les plaisirs inutiles et vaines occupations avec
les créatures, autrement crucifier sa chair, et garder le
silence et mortifier ses sens.
74. 3 Il faut veiller à ce que les chenilles ne
l’endommagent point. Ces chenilles sont l’amour-propre de soi-
même et des ses aises, qui mangent les feuilles vertes et les
belles espérances que l’Arbre avait du fruit: car l’amour de
soi-même et l’amour de Marie ne s’accordent aucunement.
75. 4 Il ne faut pas laisser les bêtes en approcher. Ces
bêtes sont les péchés, qui pourraient donner la mort à l’Arbre
de vie par leur seul attouchement: il ne faut même pas que
leur haleine donne dessus, c’est-à-dire les péchés véniels,
qui sont toujours très dangereux si on ne s’en fait point de
peine…
76. 5 Il faut arroser continuellement cet arbre divin, de
ses communions, ses messes et autres prières publiques et
particulières; sans quoi cet arbre cesserait de porter du
fruit.
77. 6 Il ne faut pas se mettre en peine s’il est soufflé et
secoué du vent, car il est nécessaire que le vent des
tentations le souffle pour le faire tomber, que les neiges et
les gelées l’entourent pour le perdre; c’est-à-dire que cette
dévotion à la Sainte Vierge sera nécessairement attaquée et
contredite; mais pourvu qu’on persévère à le cultiver, il n’y
a rien à craindre.
3. Son fruit durable: Jésus-Christ.
78. Ame prédestinée, si vous cultivez ainsi votre Arbre de
vie nouvellement planté par le Saint-Esprit en votre âme, je
vous assure qu’en peu de temps il croîtra si haut que les
oiseaux du ciel y habiteront, et il deviendra si parfait
qu’enfin il donnera son fruit d’honneur et de grâce en son
temps, c’est-à-dire l’aimable et l’adorable Jésus qui a
toujours été et qui sera l’unique fruit de Marie.
Heureuse une âme en qui Marie, l’Arbre de vie, est
plantée; plus heureuse celle en qui elle est accrue et
fleurie; très heureuse, celle en qui elle porte son fruit;
mais la plus heureuse de toutes est celle qui goûte et
conserve son fruit jusqu’à la mort et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
Qui tenet, teneat.
Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge - Saint Louis-Marie Grignion de Monfort
Préparation au règne de Jésus-Christ
I. NÉCESSITÉ QUE NOUS AVONS DE LA DÉVOTION A LA TRÈS-SAINTE VIERGE
1. C’est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ
est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner
dans le monde.
2. Marie a été très cachée dans sa vie: c’est pourquoi elle
est appelée par le Saint-Esprit et l’Église Alma Mater: Mère
cachée et secrète. Son humilité a été si profonde qu’elle n’a
point eu sur la terre d’attrait plus puissant et plus
continuel que de se cacher à elle-même et à toute créature,
pour n’être connue que de Dieu seul.
3. Dieu, pour l’exaucer dans les demandes qu’elle lui fit de
la cacher, appauvrir et humilier, a pris plaisir à la cacher
dans sa conception, dans sa naissance, dans sa vie, dans ses
mystères, dans sa résurrection et assomption, à l’égard de
presque toute créature humaine. Ses parents mêmes ne la
connaissaient pas; et les anges se demandaient souvent les uns
aux autres: Quae est ista? Qui est celle-là? Parce que le
Très-Haut la leur cachait; ou, s’il leur en découvrait quelque
chose, il leur en cachait infiniment davantage.
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4. Dieu le Père a consentit qu’elle ne fit point de miracle
dans sa vie, du moins qui éclatât, quoiqu’il lui en eût donné
la puissance. Dieu le Fils a consenti qu’elle ne parlât
presque point, quoiqu’il lui eût communiqué sa sagesse. Dieu
le Saint-Esprit a consenti que ses Apôtres et ses Evangélistes
n’en parlassent que très peu et qu’autant qu’il était
nécessaire pour faire connaître Jésus-Christ, quoiqu’elle fût
son Epouse fidèle.
5. Marie est l’excellent chef-d’oeuvre du Très-Haut, dont il
s’est réservé la connaissance et la possession. Marie est la
Mère admirable du Fils, qu’il a pris plaisir à humilier et à
cacher pendant sa vie, pour favoriser son humilité, la
traitant du nom de femme, mulier, comme une étrangère, quoique
dans son coeur il l’estimât et l’aimât plus que tous les anges
et les hommes. Marie est la fontaine scellée et l’Epouse
fidèle du Saint-Esprit, où il n’y a que lui qui entre. Marie
est le sanctuaire et le repos de la Sainte-Trinité, où Dieu
est plus magnifiquement et divinement qu’en aucun lieu de
l’univers, sans excepter sa demeure sur les chérubins et les
séraphins; et il n’est pas permis à aucune créature, quelque
pure qu’elle soit, d’y entrer sans un grand privilège.
6. Je dis avec les saints: La divine Marie est le paradis
terrestre du nouvel Adam, où il s’est incarné par l’opération
du Saint-Esprit, pour y opérer des merveilles
incompréhensibles. C’est le grand et le divin monde de Dieu,
où il y a des beautés et des trésors ineffables. C’est la
magnificence du Très-Haut, où il a caché, comme dans son sein,
son Fils unique, et en lui tout ce qu’il y a de plus excellent
et précieux. Oh! oh! que de choses grandes et cachées ce Dieu
puissant a faites en cette créature admirable, comme elle est
elle-même obligée de le dire, malgré son humilité profonde:
Fecit mihi magna qui potens est. Le monde ne les connaît pas,
parce qu’il en est incapable et indigne.
7. Les saints ont dit des choses admirables de cette sainte
cité de Dieu; et ils n’ont jamais été plus éloquents et plus
contents, comme ils l’avouent eux-mêmes, que quand ils en ont
parlé. Après cela, ils s’écrient que la hauteur de ses
mérites, qu’elle a élevés jusqu’au trône de la Divinité, ne se
peut apercevoir; que la largeur de sa charité, qu’elle a plus
étendue que la terre, ne se peut mesurer; que la grandeur de
sa puissance, qu’elle a jusque sur un Dieu même, ne se peut
comprendre; et, enfin, que la profondeur de son humilité et de
toutes ses vertus et ses grâces, qui sont un abîme, ne se peut
sonder. O hauteur incomprèhensible! O largeur ineffable! O
grandeur démesurée! O abîme impénétrable!
8. Tous les jours, d’un bout de la terre à l’autre, dans le
plus haut des cieux, dans le plus profond des abîmes, tout
prêche, tout publie l’admirable Marie. Les neuf choeurs des
anges, les hommes de tous sexes, âges, conditions, religions,
bons et mauvais, jusqu’aux diables, sont obligés de l’appeler
bienheureuse, bon gré, mal gré, par la force de la vérité.
Tous les anges dans les cieux lui crient incessamment, comme
dit saint Bonaventure: Sancta, sancta, sancta Maria, Dei
Genitrix et Virgo; et lui offrent millions de millions de fois
tous les jours la Salutation des anges: Ave, Maria, etc., en
se prosternant devant elle, et lui demandant pour grâce de les
honorer de quelques-uns de ses commandements. Jusqu’à saint
Michel [qui], dit saint Augustin, quoique le prince de toute
la cour céleste, est le plus zélé à lui rendre et à lui faire
rendre toutes sortes d’honneurs, toujours en attente pour
avoir l’honneur d’aller, à sa parole, rendre service à
quelqu’un de ses serviteurs.
9. Toute la terre est pleine de sa gloire, particulièrement
chez les chrétiens où elle est prise pour tutélaire et
protectrice en plusieurs royaumes, provinces, diocèses et
villes. Plusieurs cathédrales consacrées à Dieu sous son nom.
Point d’église sans autel en son honneur: point de contrée ni
canton où il n’y ait quelqu’une de ses images miraculeuses, où
toutes sortes de maux sont guéris et toutes sortes de biens
obtenus. Tant de confréries et congrégations en son honneur!
tant de religions sous son nom et sa protection! tant de
confrères et de soeurs de toutes les confréries et tant de
religieux et religieuses de toutes les religions qui publient
ses louanges et qui annoncent ses miséricordes! Il n’y a pas
un petit enfant qui, en bégayant l’Ave Maria, ne la loue; il
n’y a guère de pécheurs qui, en leur endurcissement même,
n’aient en elle quelque étincelle de confiance; il n’y a pas
même de diable dans les enfers qui, en la craignant, ne la
respecte.
10. Après cela, il faut dire, en vérité, avec les saints:
De Maria nunquam satis.
On n’a point encore assez loué, exalté, honoré, aimé et servi
Marie. Elle mérite encore plus de louanges, de respects,
d’amours et de services.
11. Après cela, il faut dire avec le Saint-Esprit: Omnis
gloria ejus filiae Regis ab intus: Toute la gloire de la fille
du Roi est au dedans: comme si toute la gloire extérieure que
lui rendent à l’envi toute la terre n’était rien, en
comparaison de celle qu’elle reçoit au-dedans par le Créateur,
et qui n’est point connue des petites créatures, qui ne
peuvent pénétrer le secret des secrets du Roi.
12. Après cela, il faut nous écrier avec l’Apôtre: Nec oculus
vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit: Ni
l’oeil n’a pas vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le coeur de
l’homme n’a compris les beautés, les grandeurs et excellences
de Marie, le miracle des miracles de la grâce, de la nature et
de la gloire. Si vous voulez comprendre la Mère, dit un saint,
comprenez le Fils. C’est une digne Mère de Dieu: Hic taceat
omnis lingua: Que toute langue demeure muette ici.
13. Mon coeur vient de dicter tout ce que je viens d’écrire,
avec une joie particulière, pour montrer que la divine Marie a
été inconnue jusqu’ici, et que c’est une des raisons pourquoi
Jésus-Christ n’est point connu comme il doit être. Si donc,
comme il est certain, la connaissance et le règne de Jésus-
Christ arrivent dans le monde, ce ne sera qu’une suite
nécessaire de la connaissance et du règne de la Très Sainte
Vierge Marie, qui l’a mis au monde la première fois et le fera
éclater la seconde.
DIEU A VOULU COMMENCER ET ACHEVER SES PLUS GRANDS OUVRAGES PAR LA TRÈS SAINTE VIERGE»
14. J’avoue, avec toute l’Église, que Marie n’étant qu’une
pure créature sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa
Majesté infinie, est moindre qu’un atome, ou plutôt n’est rien
du tout, puisqu’il est seul « Celui qui est », et que, par
conséquent, ce grand Seigneur, toujours indépendant et
suffisant à lui-même, n’a pas eu ni n’a pas encore absolument
besoin de la Très Sainte Vierge pour l’accomplissement de ses
volontés et pour la manifestation de sa gloire. Il n’a qu’à
vouloir pour tout faire.
15. Je dis cependant que, les choses supposées comme elles
sont, Dieu ayant voulu commencer et achever ses plus grands
ouvrages par la Très Sainte Vierge depuis qu’il l’a formée, il
es à croire qu’il ne changera point de conduite dans les
siècles des siècles, car il est Dieu, et ne change point en
ses sentiments ni en sa conduite.
16. Dieu le Père n’a donné son Unique au monde que par Marie.
Quelques soupirs qu’aient poussés les patriarches, quelques
demandes qu’aient faites les prophètes et les saints de
l’ancienne loi, pendant quatre mille ans, pour avoir ce
trésor, il n’y a eu que Marie qui l’ait mérité et trouvé grâce
devant Dieu par la force de ses prières et la hauteur de ses
vertus. Le monde étant indigne, dit saint Augustin, de (le)
recevoir le Fils de Dieu immédiatement des mains du Père, il
l’a donné à Marie afin que le monde le reçût par elle.
Le Fils de Dieu s’est fait homme pour notre salut, mais
en Marie et par Marie.
Dieu le Saint-Esprit a formé Jésus-Christ en Marie, mais
après lui avoir demandé son consentement par un des premiers
ministres de sa cour.
17. Dieu le Père a communiqué à Marie sa fécondité autant
qu’une pure créature en était capable, pour lui donner le
pouvoir de produire son Fils et tous les membres de son Corps
mystique.
18. Dieu le Fils est descendu dans son sein virginal, comme
le nouvel Adam dans son paradis terrestre, pour y prendre ses
complaisances et pour y opérer en cachette des merveilles de
grâce. Ce Dieu fait homme a trouvé sa liberté à se voir
emprisonné dans son sein; il a fait éclater sa force à se
laisser porter par cette petite fille; il a trouvé sa gloire
et celle de son Père à cacher ses splendeurs à toutes
créatures d’ici-bas, pour ne les révéler qu’à Marie; il a
glorifié son indépendance et sa majesté à dépendre de cette
aimable Vierge dans sa conception, en sa naissance, en sa
présentation au temple, en sa vie cachée de trente ans,
jusqu’en sa mort, où elle devait assister, et pour être immolé
par son consentement au Père éternel, comme autrefois Isaac
par le consentement d’Abraham à la volonté de Dieu. C’est elle
qui l’a allaité, nourri, entretenu, élevé et sacrifié pour
nous.
O admirable et incompréhensible dépendance d’un Dieu que
le Saint-Esprit n’a pu passer sous silence dans l’Evangile, –
quoiqu’il nous ait chaché presque toutes les choses admirables
que cette Sagesse incarnée a faites dans sa vie chachée -,
pour nous en montrer le prix et la gloire infinie. Jésus-
Christ a plus donné de gloire à Dieu son Père par la
soumission qu’il a eue à sa Mère pendant trente années, qu’il
ne lui en eût donné en convertissant toute la terre par
l’opération des plus grandes merveilles. Oh! qu’on glorifie
hautement Dieu quand on se soumet, pour lui plaire, à Marie, à
l’exemple de Jésus-Christ, notre unique modèle!
19. Si nous examins de près le reste de la vie de Jésus-
Christ, nous verrons qu’il a voulu commencer ses miracles par
Marie. Il a sanctifié saint Jean dans le sein de sa mère
sainte Elisabeth, par la parole de Marie; aussitôt qu’elle eût
parlé, Jean fut sanctifié, et c’est son premier et plus grand
miracle de grâce. Il changea, aux noces de Cana, l’eau en vin.
à son humble prière, et c’est son premier miracle de nature.
Il a commencé et continué ses miracles par Marie; et il les
continuera jusques à la fin des siècles par Marie.
20. Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c’est-à-dire
ne produisant point d’autre personne divine, est devenu fécond
par Marie qu’il a épousée. C’est avec elle et en elle et
d’elle qu’il a produit son chef-d’oeuvre, qui est un Dieu fait
homme, et qu’il produit tous les jours jusqu’à la fin du monde
les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable:
c’est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble
Epouse, dans une âme, et plus il devient opérant et puissant
pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en
Jésus-Christ.
21. Ce n’est pas qu’on veuille dire que la Très Sainte Vierge
donne au Saint-Esprit la fécondité, comme s’il ne l’avait pas,
puisque, étant Dieu, il a la fécondité ou la capacité de
produire, comme le Père et le Fils, quoiqu’il ne la réduise
pas à l’acte, ne produisant point d’autre Personne divine.
Mais on veut dire que le Saint-Esprit, par l’entremise de la
Sainte Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu’il n’en ait
pas absolument besoin, réduit à l’acte sa fécondité, en
produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres.
Mystère de grâce inconnu même aux plus savants et spirituels
d’entre les chrétiens.
22. La conduite que les trois Personnes de la Très Sainte
Trinité ont tenue dans l’Incarnation et le premier avènement
de Jésus-Christ, elles la gardent tous les jours, d’une
manière invisible, dans la Sainte Église, et la garderont
jusqu’à la consommation des siècles, dans le dernier avènement
de Jésus-Christ.
23. Dieu le Père a fait un assemblage de toutes les eaux,
qu’il a nommé la mer; et il a fait un assemblage de toutes ses
grâces, qu’il a appelé Marie. Ce grand Dieu a un trésor ou un
magasin très riche, où il a renfermé tout ce qu’il a de beau,
d’éclatant, de rare et de précieux, jusqu’à son propre Fils;
et ce trésor immense n’est autre que Marie, que les saints
appellent le trésor du Seigneur, de la plénitude duquel les
hommes sont enrichis.
24. Dieu le Fils a communiqué à sa Mère tout ce qu’il a
acquis par sa vie et sa mort, ses mérites infinis et ses
vertus admirables, et il l’a faite la trésorière de tout ce
que son Père lui a donné en héritage; c’est par elle qu’il
applique ses mérites à ses membres, qu’il communique ses
vertus et distribue ses grâces; c’est son canal mystérieux,
c’est son aqueduc, par où il fait passer doucement et
abondamment ses miséricordes.
25. Dieu le Saint-Esprit a communiqué à Marie, sa fidèle
Epouse, ses dons ineffables, et il l’a choisie pour la
dispensatrice de tout ce qu’il possède: en sorte qu’elle
distribue à qui elle veut, autant qu’elle veut, comme elle
veut et quand elle veut, tous ses dons et ses grâces, et il ne
se donne aucun don céleste aux hommes qui ne passe par ses
mains virginales. Car telle est la volonté de Dieu, qui a
voulu que nous ayons tout [par] Marie: car ainsi sera
enrichie, élevée et honorée du Très-Haut celle qui s’est
appauvrie, humiliée et cachée jusqu’au fond du néant par sa
propre humilité, pendant toute sa vie. Voilà les sentiments de
l’Église et des Saints Pères.
26. Si je parlais à des esprits forts de ce temps, je
prouverais tout ce que je dis simplement, plus au long, par la
Sainte Ecriture, les Saints Pères, dont je rapporterias les
passages latins, et par plusieurs solides raisons qu’on pourra
voir au long déduites par le R.P Poiré en sa Triple Couronne
de la Sainte Vierge. Mais comme je parle particulièrement aux
pauvres et aux simples qui, étant de bonne volonté et ayant
plus de foi que le commun des savants, croient plus simplement
et avec plus de mérite, je me contente de leur déclarer
simplement la vérité, sans m’arrêter à leur citer tous les
passages latins, qu’ils n’entendent pas, quoique je ne laisse
pas d’en rapporter quelques-uns, sans les rechercher beaucoup.
Continuons.
27. La grâce perfectionnant la nature, et la gloire
perfectionnant la grâce, il est certain que Notre-Seigneur est
encore dans le ciel aussi Fils de Marie qu’il l’était sur la
terre, et que, par conséquent, il a conservé la soumission et
l’obéissance du plus parfait de tous les enfants à l’égard de
la meilleure de toutes les mères. Mais il faut prendre garde
de concevoir en cette dépendance quelque abaissement ou
imperfection en Jésus-Christ. Car Marie étant infiniment au-
dessous de son Fils, qui est Dieu, ne lui commande pas comme
une mère d’ici-bas commanderait à son enfant qui est au-
dessous d’elle. Marie, étant toute transformée en Dieu par la
grâce et la gloire qui transforme tous les saints en lui, ne
demande, ne veut ni ne fait rien qui soit contraire à
l’éternelle et immuable volonté de Dieu. Quand on lit donc,
dans les écrits des saints Bernard, Bernardin, Bonaventure,
etc., que dans le ciel et sur la terre, tout, jusqu’à Dieu
même, est soumis à la Très Sainte Vierge, ils veulent dire que
l’autorité que Dieu a bien voulu lui donner est si grande,
qu’il semble qu’elle a la même puissance que Dieu, et que ses
prières et demandes sont si puissantes auprès de Dieu,
qu’elles passent toujours pour des commandements auprès de sa
Majesté, qui ne résiste jamais à la prière de sa chère Mère,
parce qu’elle est toujours humble et conforme à sa volonté.
Si Moïse, par la force de sa prière, arrêta la colère de
Dieu sur les Israélites, d’une manière si puissante que ce
très haut et infiniment miséricordieux Seigneur, ne pouvant
lui résister, lui dit qu’il le laissât se mettre en colère et
punir ce peuple rebelle, que devons-nous penser, à plus forte
raison, de la prière de l’humble Marie, la digne Mère de Dieu,
qui est plus puissante auprès de sa Majesté que les prières et
intercessions de tous les anges et les saints du ciel et de la
terre?
28. Marie commande dans les cieux sur les anges et les
bienheureux. Pour récompense de son humilité profonde, Dieu
lui a donné le pouvoir et la commission de remplir de saints
les trônes vides dont les anges apostats sont tombés par
orgueil. Telle est la volonté du Très-Haut, qui exalte les
humbles, que le ciel et la terre et les enfers plient, bon gré
mal gré, aux commandement de l’humble Marie, qu’il a faite la
souveraine du ciel et de la terre, la générale de ses armées,
la trésorière de ses trésors, la dispensatrice de ses grâces,
l’ouvrière de ses grandes merveilles, la réparatrice du genre
humain, la médiatrice des hommes, l’exterminatrice des ennemis
de Dieu et la fidèle compagne de ses grandeurs et de ses
triomphes.
29. Dieu le Père se veut faire des enfants par Marie jusqu’à
la consommation du monde, et il lui dit ces paroles: In Jacob
inhabita: demeurez en Jacob, c’est-à-dire faites votre demeure
et résidence dans mes enfants et prédestinés, figurés par
Jacob, et non point dans les enfants du diable et les
réprouvés, figurés par Esaü.
30. Comme dans la génération naturelle et corporelle il y a
un père et une mère, de même dans la génération surnaturelle
et spirituelle il y a un père qui est Dieu et une mère qui est
Marie. Tous les vrais enfants de Dieu et prédestinés ont Dieu
pour père et Marie pour mère; et qui n’a pas Marie pour Mère
n’a pas Dieu pour Père. C’est pourquoi les réprouvés, comme
les hérétiques, schismatiques, etc., qui haïssent ou regardent
avec mépris ou indifférence la Très Sainte Vierge, n’ont point
Dieu pour père, quoiqu’ils s’en glorifient, parce qu’ils n’ont
pas Marie pour mère: car, s’ils l’avaient pour mère, ils
l’aimeraient et l’honoreraient comme un vrai et bon enfant
aime naturellement et honore sa mère qui lui a donné la vie.
Le signe le plus infaillible et le plus indubitable pour
distinguer un hérétique, un homme de mauvaise doctrine, un
réprouvé, d’avec un prédestiné, c’est que l’hérétique et le
réprouvé n’ont que du mépris ou de l’indifférence pour la Très
Sainte Vierge, tâchant, par leurs paroles et exemples, d’en
diminuer le culte et l’amour, ouvertement ou en cachette,
quelquefois sous de beaux prétextes. Hélas! Dieu le Père n’a
pas dit à Marie de faire sa demeure en eux, parce qu’ils sont
des Esaüs.
31. Dieu le Fils veut se former et, pour ainsi dire,
s’incarner tous les jours, par sa chère Mère, dans ses
membres, et il lui dit: In Israel haereditare: Ayez Israël
pour héritage. C’est comme s’il disait: Dieu mon Père m’a
donné pour héritage toutes les nations de la terre, tous les
hommes bons et mauvais, prédestinés et réprouvés; je conduirai
les uns par la verge d’or et les autres par la verge de fer;
je serai le père et l’avocat des uns, le juste vengeur des
autres, et le juge de tous; mais pour vous, ma chère Mère,
vous n’aurez pour votre héritage et possession que les
prédestinés figurés par Israël; et, comme leur bonne mère,
vous les enfanterez, nourrirez, élèverez; et, comme leur
souveraine, vous les conduirez, gouvernerez et défendrez.
32. « Un homme et un homme est né en elle », dit le Saint-
Esprit: Homo et homo natus est in ea. Selon l’explication de
quelques Pères, le premier homme qui est né en Marie est
l’Homme-Dieu, Jésus-Christ; le second est un homme pur, enfant
de Dieu et de Marie par adoption. Si Jésus-Christ, le chef des
hommes, est né en elle, les prédestinés, qui sont les membres
de ce chef, doivent aussi naître en elle par une suite
nécessaire. Une même mère ne met pas au monde la tête ou le
chef sans les membres, ni les membres, sans la tête; autrement
ce serait un monstre de la nature; de même, dans l’ordre de la
grâce, le chef et les membres naissent d’une même mère; et si
un membre du corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire un
prédestiné, naissait d’une autre mère que Marie qui a produit
le chef, ce ne serait pas un prédestiné, ni un membre de
Jésus-Christ, mais un monstre dans l’ordre de la grâce.
33. De plus, Jésus-Christ étant à présent autant que jamais
le fruit de Marie, comme le Ciel et la terre lui répètent
mille et mille fois tous les jours: Et béni est le fruit de
votre ventre, Jésus, il est certain que Jésus-Christ est pour
chaque homme en particulier, qui le possède, aussi
véritablement le fruit et l’oeuvre de Marie, que pour tout le
monde en général; en sorte que, si quelque fidèle a Jésus-
Christ formé dans son coeur, il peut dire hardiment: » Grand
merci à Marie, ce que je possède est son effet et son fruit,
et sans elle je ne l’aurais pas »; et on peut lui appliquer
plus véritablement que saint Paul ne se les applique, ces
paroles: Quos iterum parturio, donec in vobis formetur
Christus: J’enfante tous les jours les enfants de Dieu,
jusqu’à ce que Jésus-Christ mon Fils ne soit formé en eux dans
la plénitude de son âge. Saint Augustin se surpassant soi-
même, et tout ce que je viens de dire, dit que tous les
prédestinés, pour être conformes à l’image du Fils de Dieu,
sont en ce monde cachés dans le sein de la Très Sainte Vierge,
où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette
bonne Mère, jusqu’à ce qu’elle ne les enfante à la gloire,
après la mort, qui est proprement le jour de leur naissance,
comme l’Église appelle la mort des justes. O mystère de grâce
inconnu aux réprouvés et peu connu des prédestinés!
34. Dieu le Saint-Esprit veut se former en elle et par elle
des élus et il lui dit: In electis meis mitte radices. Jetez,
ma bien-aimée et mon Epouse, les racines de toutes vos vertus
dans mes élus, afin qu’ils croissent de vertu en vertu et de
grâce en grâce. J’ai pris tant de complaisance en vous, lorque
vous viviez sur la terre dans la pratique des plus sublimes
vertus, que je désire encore vous trouver sur la terre, sans
cesser d’être dans le ciel. Reproduisez-vous pour cet effet
dans mes élus: que je voie en eux avec complaisance les
racines de votre foi invincible, de votre humilité profonde,
de votre mortification universelle, de votre oraison sublime,
de votre charité ardente, de votre espérance ferme et de
toutes vos vertus. Vous êtes toujours mon Epouse aussi fidèle,
aussi pure et aussi féconde que jamais: que votre foi me donne
des fidèles; que votre pureté me donne des vierges, que votre
fécondité me donne des élus et des temples.
35. Quand Marie a jeté ses racines dans une âme, elle y
produit des merveilles de grâces qu’elle seule peut produire
parce qu’elle est seule la Vierge féconde qui n’a jamais eu ni
n’aura jamais sa semblable en pureté et en fécondité.
Marie a produit, avec le Saint-Esprit, la plus grande
chose qui ait été et sera jamais, qui est un Dieu-Homme, et
elle produira conséquemment les plus grandes choses qui seront
dans les derniers temps. La formation et l’éducation des
grands saints qui seront sur la fin du monde lui est réservée;
car il n’y a que cette Vierge singulière et miraculeuse qui
peut produire, en union du Saint-Esprit, les choses
singulières et extraordinaires.
36. Quand le Saint-E sprit, son Epoux, l’a trouvée dans une
âme, il y vole, il y entre pleinement, il se communique à
cette âme abondamment et autant qu’elle donne place à son
Epouse; et une des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne
fait pas maintenant des merveilles éclatantes dans les âmes,
c’est qu’il n’y trouve pas une assez grande union avec sa
fidèle et indissoluble Epouse. Je dis: indissoluble Epouse,
car depuis que cet Amour substantiel du Père et du Fils a
épousé Marie pour produire Jésus-Christ, le chef des élus et
Jésus-Christ dans les élus, il ne l’a jamais répudiée, parce
qu’elle a toujours été fidèle et féconde.
LA DÉVOTION A LA TRÈS SAINTE VIERGE EST NÉCESSAIRE
37. On doit conclure évidemment de ce que je viens de dire:
Premièrement, que Marie a reçu de Dieu une grande
domination dans les âmes des élus: car elle ne peut pas faire
en eux sa résidence, comme Dieu le Père lui a ordonné; les
former, les nourrir et les enfanter à la vie éternelle comme
leur mère, les avoir pour son héritage et sa portion, les
former en Jésus-Christ et Jésus-Christ en eux; jeter dans leur
coeur les racines de ses vertus, et être la compagne
indissoluble du Saint-Esprit pour tous ces ouvrages de grâces;
elle ne peut pas, dis-je, faire toutes ces choses, qu’elle
n’ait droit et domination dans leurs âmes par une grâce
singulière du Très-Haut, qui, lui ayant donné puissance sur
son Fils unique et naturel, la lui a aussi donné sur ses
enfants adoptifs, non seulement quant au corps, ce qui serait
peut de chose, mais aussi quant à l’âme.
38. Marie est la Reine du ciel et de la terre par grâce,
comme Jésus en est le Roi par nature et par conquête. Or,
comme le royaume de Jésus-Christ consiste principalement dans
le coeur ou l’intérieur de l’homme, selon cette parole: Le
royaume de Dieu est au-dedans de vous, de même le royaume de
la Très Sainte Vierge est principalement dans l’intérieur de
l’homme, c’est-à-dire dans son âme, et c’est principalement
dans les âmes qu’elle est plus glorifiée avec son Fils que
dans toutes les créatures visibles, et nous pouvons l’appeler
avec les saints la Reine des Coeurs.
39. Secondement, il faut conclure que la Très Sainte Vierge
étant nécessaire à Dieu, d’une nécessité qu’on appelle
hypothétique, en conséquence de sa volonté, elle est bien plus
nécessaire aux hommes pour arriver à leur dernière fin. Il ne
faut donc pas mêler la dévotion à la Très Sainte Vierge avec
les dévotions aux autres saints, comme si elle n’était pas
plus nécessaire, et que de surérogation.
40. Le docte et le pieux Suarez, de la Compagnie de Jésus, le
savant et le dévot Juste-Lipse, docteur de Louvain, et
plusieurs autres, ont prouvé invinciblement, en conséquence
des sentiments des Pères, entre autres de saint Augustin, de
saint Ephrem, diacre d’Edesse, de saint Cyrille de Jérusalem,
de saint Germain de Constantinople, de saint Jean de Damas, de
saint Anselme, saint Bernard, saint Bernardin, saint Thomas et
saint Bonaventure, que la dévotion à la Très Sainte Vierge est
nécessaire au salut, et que c’est une marque infaillible de
réprobation, au sentiment même d’Oecolampade et de quelques
autres, de n’avoir pas de l’estime et de l’amour pour la
Sainte Vierge, et qu’au contraire, c’est une marque
infaillible de prédestination de lui être entièrement et
véritablement dévoué ou dévot.
41. Les figures et les paroles de l’Ancien et du Nouveau
Testament le prouvent, les sentiments et les exemples des
saints le confirment, la raison et l’expérience l’apprennent
et le démontrent; le diable même, et ses suppôts, pressés par
la force de la vérité, ont été souvent obligés de l’avouer
malgré eux. De tous ces passages des saints Pères et des
Docteurs, dont j’ai fait un ample recueil pour prouver cette
vérité, je n’en rapporte qu’un afin de n’être pas trop long:
Tibi devotum esse, est arma quaedam salutis quae Deus his dat
quos vult salvos fieri (S. Joan. Damas): Vous être dévot, ô
Sainte Vierge, dit saint Jean Damascène, est une arme de salut
que Dieu donne à ceux qu’il veut sauver.
42. Je pourrais ici rapporter plusieurs histoires qui
prouvent la même chose, entre autres: 1 celle qui est
rapportée dans les chroniques de saint François, lorsqu’il vit
dans une extase une grande échelle qui allait au ciel, au bout
de laquelle était la Sainte Vierge et par laquelle il lui fut
montré qu’il fallait monter pour arriver au ciel; 2 celle qui
est rapportée dans les chroniques de saint Dominique, lorsque
quinze mille démons possédant l’âme d’un malheureux hérétique
près de Carcassonne, où saint Dominique prêchait le Rosaire,
furent obligés, à leur confusion, par le mandement que leur en
fit la Sainte Vierge, d’avouer plusieurs grandes et
consolantes vérités touchant la dévotion à la Sainte Vierge,
avec tant de force et de clarté, qu’on ne peut pas lire cette
histoire authentique et le panégyrique que le diable fit
malgré lui de la dévotion à la Très Sainte Vierge, sans verser
des larmes de joie, pour peu qu’on soit dévot à la Très Sainte
Vierge.
43. Si la dévotion à la Très Sainte Vierge est nécessaire à
tous les hommes pour faire simplement leur salut, elle l’est
encore beaucoup plus à ceux qui sont appelés à une perfection
particulière; et je ne crois pas qu’une personne puisse
acquérir une union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite
fidélité au Saint-Esprit, sans une très grande union avec la
Très Sainte Vierge et une grande dépendance de son secours.
44. C’est Marie seule qui a trouvé grâce devant Dieu, sans
aide d’aucune autre pure créature. Ce n’est que par elle que
tous ceux qui ont trouvé grâce devant Dieu depuis elle l’ont
trouvée, et ce n’est que par elle que tous ceux qui viendront
ci-après la trouveront. Elle était pleine de grâce quand elle
fut saluée par l’archange Gabriel, elle fut surabondamment
remplie de grâce par le Saint-Esprit quand il la couvrit de
son ombre ineffable; et elle a [tellement] augmenté de jour en
jour [et] de moment en moment cette plénitude double, qu’elle
est arrivée à un point de grâce immense et inconcevable; en
sorte que le Très-Haut l’a faite l’unique trésorière de ses
trésors et l’unique dispensatrice de ses grâces, pour anoblir,
élever et enrichir qui elle veut, pour faire passer, malgré
tout, qui elle veut par la porte étroite de la vie, et pour
donner le trône, le sceptre et la couronne de roi à qui elle
veut. Jésus est partout et toujours le fruit et le Fils de
Marie; et Marie est partout l’arbre véritable qui porte le
fruit de vie, et la vraie mère qui le produit.
45. C’est Marie seule à qui Dieu a donné les clefs des
celliers du divin amour, et le pouvoir d’entrer dans les voies
les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection, et
d’y faire entrer les autres. C’est Marie seule qui donne
l’entrée dans le paradis terrestre aux misérables enfants
d’Eve l’infidèle, pour s’y promener agréablement avec Dieu,
pour s’y cacher sûrement contre ses ennemis et pour s’y
nourrir délicieusement, et sans plus craindre la mort, du
fruit des arbres de vie et de science du bien et du mal et
pour y boire à longs traits les eaux célestes de cette belle
fontaine qui y rejaillit avec abondance; ou plutôt comme elle
est elle-même ce paradis terrestre, ou cette terre vierge et
bénie dont Adam et Eve les pécheurs ont été chassés, elle ne
donne entrée chez elle qu’à ceux et celles qu’il lui plait
pour les faire devenir saints.
46. Tous les riches du peuple, pour me servir de l’expression
du Saint-Esprit, selon l’explication de saint Bernard, tous
les riches du peuple supplieront votre visage de siècle en
siècle, et particulièrement à la fin du monde, c’est-à-dire
que les plus grands saints, les âmes les plus riches en grâce
et en vertus, seront les plus assidus à prier la Très Sainte
Vierge et à l’avoir toujours présente comme leur parfait
modèle pour l’imiter, et leur aide puissante pour les
secourir.
47. J’ai dit que cela arriverait particulièrement à la fin du
monde, et bientôt, parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère
doivent se former de grands saints qui surpasseront autant en
sainteté la plupart des autres saints, que les cèdres du Liban
surpassent les petits arbrisseaux, comme il a été révélé à une
sainte âme dont la vie a été écrite par Mr. de Renty.
48. Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront
choisies pour s’opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de
tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très
Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait,
conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées
sous sa protection, en sorte qu’elles combattront d’une main
et édifieront de l’autre. D’une main, elles combattront,
renverseront, écraseront les hérétiques avec leurs hérésies,
les schismatiques avec leur schismes, les idolâtres avec leur
idolâtrie, et les pécheurs avec leurs impiétés; et, de l’autre
main, elles edifieront le temple du vrai Salomon et la
mystique cité de Dieu, c’est-à-dire la Très Sainte Vierge,
appelée par les Saints Pères le temple de Salomon et la cité
de Dieu. Ils porteront tout le monde, par leurs paroles et
leurs exemples, à sa véritable dévotion, ce qui leur attirera
beaucoup d’ennemis, mais aussi beaucoup de victoires et de
gloire pour Dieu seul. C’est ce que Dieu a révélé à saint
Vincent Ferrier, grand apôtre de son siècle, comme il l’a
suffisamment marqué dans un de ses ouvrages.
C’est ce que le Saint-Esprit semble avoir prédit dans le
Psaume 58, dont voici les paroles: Et scient quia Dominus
dominabitur Jacob et finium terrae; convertentur ad vesperam,
et famem patientur ut canes, et circuibunt civitatem: Le
Seigneur règnera dans Jacob et dans toute la terre; ils se
convertiront sur le soir, et il souffriront la faim comme des
chiens, et ils iront autour de la ville pour trouver de quoi
manger. Cette ville que les hommes tournoieront à la fin du
monde pour se convertir, et pour rassasier la faim qu’ils
auront de la justice, est la Très Sainte Vierge qui est
appelée par le Saint-Esprit ville et cité de Dieu.
NÉCESSITÉ DE LA DÉVOTION A MARIE PARTICULIÈREMENT DANS LES DERNIERS TEMPS
49. C’est par Marie que le salut du monde a commencé, et
c’est par Marie qu’il doit être consommé. Marie n’a presque
point paru dans le premier avènement de Jésus-Christ, afin que
les hommes, encore peu instruits et éclairés sur la personne
de son Fils, ne s’éloignassent de la vérité, en s’attachant
trop fortement et trop grossièrement à elle, à cause des
charmes admirables que le Très-Haut avait mis même en son
extérieur; ce qui est si vrai que saint Denis l’Aéropagite
nous a laissé par écrit que, quand il la vit, il l’aurait
prise pour une divinité, à cause de ses charmes secrets et de
sa beauté incomparable, si la foi, dans laquelle il était bien
confirmé, ne lui avait appris le contrarie. Mais, dans le
second avènement de Jésus-Christ, Marie doit être connue et
révélée par le Saint-Esprit afin de faire par elle connaître,
aimer et servir Jésus-Christ, les raisons qui ont porté le
Saint-Esprit à cacher son Epouse pendant sa vie, et à ne la
révéler que bien peu depuis la prédication de l’Evangile, ne
subsistant plus.
DIEU VEUT RÉVÉLER ET DÉCOUVRIR MARIE DANS LES DERNIERS TEMPS
50. Dieu veut donc révéler et découvir Marie, le chef-
d’oeuvre de ses mains, dans ces derniers temps.
1 Parce qu’elle s’est cachée dans ce monde et s’est mise
plus bas que la poussière par sa profonde humilité, ayant
obtenu de Dieu, de ses Apôtres et Evangélistes qu’elle ne fût
point manifestée.
2 Parce qu’étant le chef-d’oeuvre des mains de Dieu,
aussi bien ici-bas par la grâce que dans le ciel par la
gloire, il veut en être glorifié et loué sur la terre par les
vivants.
3 Comme elle est l’aurore qui précède et découvre le
Soleil de justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être connue
et aperçue, afin que Jésus-Christ le soit.
4 Etant la voie par laquelle Jésus-Christ est venu à
nous la premIère fois, elle le sera encore lorsqu’il viendra
la seconde, quoique non pas de la même manière.
5 Etant le moyen sûr et la voie droite et immaculée pour
aller à Jésus-Christ et le trouver parfaitement, c’est par
elle que les saintes âmes qui doivent éclater en sainteté
doivent la trouver. Celui qui trouvera Marie trouvera la vie.
Mais on ne peut trouver Marie qu’on ne la cherche; on ne peut
la chercher qu’on ne la connaisse: car on ne cherche ni ne
désire un objet inconnu. Il faut donc que Marie soit plus
connue que jamais, à la plus grande connaissance et gloire de
la Très Sainte Trinité.
6 Marie doit éclater, plus que jamais, en miséricorde,
en force et en grâce dans ces derniers temps: en miséricorde,
pour ramener et recevoir amoureusement les pauvres pécheurs et
dévoyés qui se convertiront et reviendront à l’Église
catholique; en force contre les ennemis de Dieu, les
idolâtres, schismatiques, mahométans, juifs et impies
endurcis, qui se révolteront terriblement pour séduire et
faire tomber, par promesses et menaces, tous ceux qui leur
seront contraires et enfin elle doit éclater en grâce, pour
animer et soutenir les vaillants soldats et fidèles serviteurs
de Jésus-Christ qui combattront pour ses intérêts.
7 Enfin Marie doit être terrible au diable et à ses
suppôts comme une armée rangée en bataille, principalement
dans ces derniers temps, parce que le diable, sachant bien
qu’il a peu de temps, et beaucoup moins que jamais, pour
perdre les âmes, il redouble tous les jours ses efforts et ses
combats; il suscitera bientôt de cruelles persécutions, et
mettra de terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux
vrais enfants de Marie, qu’il a plus de peine à surmonter que
les autres.
51. C’est principalement de ces dernières et cruelles
persécutions du diable qui augmenteront tous les jours
jusqu’au règne de l’Antéchrist, qu’on doit entendre cette
première et célèbre prédiction et malédiction de Dieu, portée
dans le paradis terrestre contre le serpent. Il est à propos
de l’expliquer ici pour la gloire de la Très Sainte Vierge, le
salut de ses enfants et la confusion du diable.
Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et
semen illius; ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis
calcaneo ejus (Gn 3,15): Je mettrai des inimitiés entre toi et
la femme, et ta race et la sienne; elle-même t’écrasera la
tête, et tu mettras des embûches à son talon.
52. Jamais Dieu n’a fait et formé qu’une inimitié, mais
irréconciliable, qui durera et augmentera même jusques à la
fin: c’est entre Marie, sa digne Mère, et le diable, entre les
enfants et serviteurs de la Sainte Vierge, et les enfants et
suppôts de Lucifer; en sorte que la plus terrible des ennemies
que Dieu ait faite contre le diable est Marie, sa sainte Mère.
Il lui a même donné, dès le paradis terrestre, quoiqu’elle ne
fût encore que dans son idée, tant de haine contre ce maudit
ennemi de Dieu, tant d’industrie pour découvrir la malice de
cet ancien serpent, tant de force pour vaincre, terrasser et
écraser cet orgueilleux impie, qu’il l’appréhende plus, non
seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens,
que Dieu même. Ce n’est pas que l’ire, la haine et la
puissance de Dieu ne soient infiniment plus grandes que celles
de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont
limitées; mais c’est premièrement parce que Satan, étant
orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par
une petite et humble servante de Dieu, et son humilité
l’humilie plus que le pouvoir divin; secondement parce que
Dieu a donné à Marie un si grand pouvoir contre les diables,
qu’ils craignent plus, comme ils ont été souvent obligés
d’avouer, malgré eux, par la bouche des possédés, un seul de
ses soupirs pour quelque âme, que les prières de tous les
saints, et une seule de ses menaces contre eux que tous leurs
autres tourments.
53. Ce que Lucifer a perdu par orgueil, Marie l’a gagné par
humilité; ce qu’Eve a damné et perdu par désobéissance, Marie
l’a sauvé par obéissance. Eve, en obéissant au serpent, a
perdu tous ses enfants avec elle, et les lui a livrés; Marie,
s’étant rendue parfaitement fidèle à Dieu, a sauvé tous ses
enfants et serviteurs avec elle, et les a consacrés à sa
Majesté.
54. Non seulement Dieu a mis une inimitié, mais des
inimitiés, non seulement entre Marie et le démon, mais entre
la race de la Sainte Vierge et la race du démon; c’est-à-dire
que Dieu a mis des inimitiés, des antipathies et haines
secrètes entres les vrais enfants et serviteurs de la Sainte
Vierge et les enfants et esclaves du diable; ils ne s’aiment
point mutuellement, ils n’ont point de correspondance
intérieure les uns avec les autres. Les enfants de Bélial, les
esclaves de Satan, les amis du monde (car c’est la même
chose), ont toujours persécuté jusqu’ici et persécuteront plus
que jamais ceux et celles qui appartiennent à la Très Sainte
Vierge, comme autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Esaü
son frère Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des
prédestinés. Mais l’humble Marie aura toujours la victoire sur
cet orgueilleux, et si grande qu’elle ira jusqu’à lui écraser
la tête où réside son orgueil; elle découvrira toujours ses
mines infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques, et
garantira jusqu’à la fin des temps ses fidèles serviteurs de
sa patte cruelle.
Mais le pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera
particulièrement dans les derniers temps, où Satan mettra des
embûches à son talon, c’est-à-dire à ses humbles esclaves et à
ses pauvres enfants qu’elle suscitera pour lui faire la
guerre. Ils seront petits et pauvres selon le monde, et
abaissés devant tous comme le talon, foulés et persécutés
comme le talon l’est à l’égard des autres membres du corps;
mais, en échange, ils seront riches en grâce de Dieu, que
Marie leur distribuera abondamment; grands et relevés en
sainteté devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur
zèle animé, et si fortement appuyés du secours divin, qu’avec
l’humilité de leur talon, en union de Marie, ils écraseront la
tête du diable et feront triompher Jésus-Christ.
LA DÉVOTION A MARIE NÉCESSAIRE PARTICULIÈREMENT DANS LES DERNIERS TEMPS
55. Enfin Dieu veut que sa sainte Mère soit à présent plus
connue, plus aimée, plus honorée que jamais elle n’a été: ce
qui arrivera sans doute, si les prédestinés entrent, avec la
grâce et lumière du Saint-Esprit, dans la pratique intérieure
et parfaite qu je leur découvrirai dans la suite. Pour lors,
ils verront clairement, autant que la foi le permet, cette
belle étoile de la mer, et ils arriveront à bon port, malgré
les tempêtes et les pirates, en suivant sa conduite; ils
connaîtront les grandeurs de cette souveraine, et ils se
consacreront entièrement à son service, comme ses sujets et
ses esclaves d’amour; ils éprouveront ses douceurs et ses
bontés maternelles, et ils l’aimeront tendrement comme ses
enfants bien-aimés; ils connaîtront les miséricordes dont elle
est pleine et les besoins où ils sont de son secours, et ils
auront recours à elle en toutes choses comme à leur chère
avocate et médiatrice auprès de Jésus-Christ; ils sauront
qu’elle est le moyen le plus assuré, le plus aisé, le plus
court et le plus parfait pour aller à Jésus-Christ, et ils se
livreront à elle corps et âme, sans partage, pour être à
Jésus-Christ de même.
56. Mais qui seront ces serviteurs, esclaves et enfants de
Marie?
Ce seront un feu brûlant, ministres du Seigneur qui
mettront le feu de l’amour divin partout.
Ce seront sicut sagittae in manu potentis, des flèches
aiguës dans la main de la puissante Marie pour percer ses
ennemis.
Ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu
de grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront
l’or de l’amour divin dans le coeur, l’encens de l’oraison
dans l’esprit et la myrrhe de la mortification dans le corps,
et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux
pauvres et aux petis, tandis qu’ils seront une odeur de mort
aux grands, aux riches et orgueilleux mondains.
57. Ce seront des nues tonnantes et volantes par les airs au
moindre souffle du Saint-Esprit, qui, sans s’attacher à rien,
ni s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien,
répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie
éternelle; ils tonneront contre le péché, ils gronderont
contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts, et
ils perceront d’outre en outre, pour la vie ou pour la mort,
avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous
ceux auquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
58. Ce seront des apôtres véritables des derniers temps, à
qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force pour
opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses
sur ses ennemis; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus
est, sans soin, au milieu des autres prêtres, et
écclésiastiques et clercs, inter medios cleros; et cependant
auront les ailes argentées de la colombe, pour aller avec la
pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où
le Saint-Esprit les appellera, et ils ne laisseront après eux,
dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité
qui est l’accomplissement de toute la loi.
59. Enfin, nous savons que ce seront de vrais disciples de
Jésus-Christ, qui marchant sur les traces de sa pauvreté,
humilité, mépris du monde et charité, enseignant la voie
étroite de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Evangile,
et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine ni
faire acception de personne, sans épargner, écouter ni
craindre aucun mortel, quelque puissant qu’ils soit. Ils
auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la
parole de Dieu; ils porteront sur leurs épaules l’étendard
ensanglanté de la Croix, le crucifix dans la main droite, le
chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie
sur leur coeur, et la modestie et mortification de Jésus-
Christ dans toute leur conduite.
Voilà de grands hommes qui viendront, mais que Marie fera
par ordre du Très-Haut, pour étendre son empire sur celui des
impies, idolâtres et mahométans. Mais quand et comment cela
sera-t-il?… Dieu seul le sait: c’est à nous de nous taire,
de prier, soupirer et attendre: Expectans expectavi.
II. EN QUOI CONSISTE LA DÉVOTION A MARIE
VÉRITÉS FONDAMENTALES DE LA DÉVOTION A LA SAINTE VIERGE
60. Ayant jusqu’ici dit quelque chose de la nécessité que
nous avons de la dévotion à la Très Sainte Vierge, il faut
dire en quoi consiste cette dévotion; ce que je ferai, Dieu
aidant, après que j’aurai présupposé quelques vérités
fondamentales, qui donneront jour à cette grande et solide
dévotion que je veux découvrir.
[«Jésus-Christ est la fin dernière de toutes nos dévotions»]
61. Première vérité. – Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu
et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres
dévotions: autrement elles seraient fausses et trompeuses.
Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin
de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l’Apôtre, que
pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que
c’est en lui seul qu’habite[nt] toute la plénitude de la
Divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus
et de perfections; parce que c’est en lui seul que nous avons
été bénis de toute bénédiction spirituelle; parce qu’il est
notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique
Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel
nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons
nous conformer, notre unique pasteur qui doit nous nourrir,
notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité
que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous
vivifier, et notre unique tout en toutes choses qui doit nous
suffire. Il n’a point été donné d’autre nom sous le ciel, que
le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés. Dieu ne
nous a point mis d’autre fondement de notre salut, de notre
perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ: tout édifice
qui n’est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le
sable mouvant et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout
fidèle qui n’est pas uni à lui comme une branche au cep de la
vigne, tombera, séchera et ne sera propre qu’à être jeté au
feu. Si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous,
nous n’avons point de damnation à craindre: ni les anges des
cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni
aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu’elle ne
nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-
Christ. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ,
nous pouvons toutes choses: rendre tout honneur et toute
gloire au Père, en l’unité du Saint-Esprit; nous rendre
parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie
éternelle.
62. Si donc nous établissons la solide dévotion de la Très
Sainte Vierge, ce n’est que pour établir plus parfaitement
celle de Jésus-Christ, ce n’est que pour donner un moyen aisé
et assuré pour trouver Jésus-Christ. Si la dévotion à la
Sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la
rejeter comme une illusion du diable; mais tant s’en faut
qu’au contraire, comme j’ai déjà fait voir et ferai voir
encore ci-après: cette dévotion ne nous est nécessaire que
pour trouver Jésus-Christ parfaitement et l’aimer tendrement
et le servir fidèlement.
63. Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable
Jésus, pour me plaidre amoureusement à votre divine Majesté de
ce que la plupart des chrétiens, même des plus savants, ne
savent pas la liaison nécessaire, qui est entre vous et votre
sainte Mère. Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et
Marie est toujours avec vous et ne peut être sans vous:
autrement elle cesserait d’être de qu’elle est; elle est
tellement transformée en vous par la grâce qu’elle ne vit
plus, qu’elle n’est plus; c’est vous seul, mon Jésus, qui
vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu’en tous les
anges et les bienheureux. Ah! si on connaissait la gloire et
l’amour que vous recevez en cette admirable créature, on
aurait de vous et d’elle bien d’autres sentiments qu’on n’a
pas. Elle [vous] est si intimement liée, qu’on séparerait
plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu; je dis plus,
on séparerait plutôt tous les anges et les saints de vous, que
la divine Marie: parce qu’elle vous aime plus ardemment et
vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres
créatures ensemble.
64. Après cela, mon aimable Maître, n’est-ce pas une chose
étonnante et pitoyable de voir l’ignorance et les ténèbres de
tous les hommes d’ici-bas à l’égard de votre sainte Mère? Je
ne parle pas tant des idolâtres et païens, qui, ne vous
connaissant pas, n’ont garde de la connaître; je ne parle même
pas des hérétiques et des schismatiques, qui n’ont garde
d’être dévôts à votre sainte Mère, s’étant séparés de vous et
votre sainte Église; mais je parle des chrétiens catholiques,
et même des docteurs parmi les catholiques, qui faisant
profession d’enseigner aux autres les vérités, ne vous
connaissent pas, ni votre sainte Mère, si ce n’est d’une
manière spéculative, sèche, stérile et indifférente. Ces
messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de
la dévotion qu’on lui doit avoir parce qu’ils craignent,
disent-ils, qu’on en abuse, qu’on ne vous fasse injure en
honorant trop votre sainte Mère. S’ils voient ou entendent
quelque dévôt à la Sainte Vierge parler souvent de la dévotion
à cette bonne Mère, d’une manière tendre, forte et persuasive,
comme d’un moyen assuré sans illusion, d’un chemin court sans
danger, d’une voie immaculée sans imperfections, et d’un
secret merveilleux pour vous trouver et vous aimer
parfaitement, ils se récrient contre lui, et lui donnent mille
fausses raisons pour lui prouver qu’il ne faut pas tant parler
de la Sainte Vierge, qu’il y a beaucoup d’abus en cette
dévotion, et qu’il faut s’appliquer à les détruire, et à
parler de vous plutôt qu’à porter les peuples à la dévotion à
la Sainte Vierge qu’ils aiment déjà assez.
On les entend parfois parler de la dévotion à votre
sainte Mère, non pas pour l’établir et la persuader, mais pour
en détruire les abus qu’on en fait, tandis que ces messieurs
sont sans piété et sans dévotion tendre pour vous, parce
qu’ils n’en ont pas pour Marie, regardant le Rosaire, le
Scapulaire, le Chapelet, comme des dévotions de femmelettes,
propres aux ignorants, sans lesquels on peut se sauver; et
s’il tombe en leurs mains quelque dévôt à la Sainte Vierge,
qui récite son chapelet ou ait quelque autre pratique de
dévotion envers elle, ils lui changeront bientôt l’esprit et
le coeur: au lieu du chapelet, ils lui conseilleront de dire
les sept psaumes; au lieu de la dévotion à la Sainte Vierge,
ils lui conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.
O mon aimable Jésus, ces gens ont-il votre esprit? Vous
font-ils plaisir d’en agir de même? Est-ce vous plaire que de
ne pas faire tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de
peur de vous déplaire? La dévotion à votre sainte Mère
empêche-t-elle la vôtre? Est-ce qu’elle s’attribue l’honneur
qu’on lui rend? Est-ce qu’elle fait bande à part? Est-elle une
étrangère qui n’a aucune liaison avec vous? Est-ce se séparer
ou s’éloigner de votre amour que de se donner à elle et de
l’aimer?
65. Cependant, mon aimable Maître, la plupart des savants,
pour punition de leur orgueil, n’éloigneraient pas plus de la
dévotion à votre sainte Mère, et n’en donneraient pas plus
d’indifférence, que si tout ce que je viens de dire était
vrai. Gardez-moi, Seigneur, gardez-moi de leurs sentiments et
leurs pratiques et me donnez quelque part aux sentiments de
reconnaissance, d’estime, de respect et d’amour que vous avez
à l’égard de votre sainte Mère, afin que je vous aime et
glorifie d’autant plus que je vous imiterai et suivrai de plus
près.
66. Comme si jusqu’ici je n’avais encore rien dit en
l’honneur de votre sainte Mère, faites-moi la grâce de la
louer dignement: Fac me digne tuam Matrem collaudare, malgré
tous mes ennemis, qui sont les vôtres, et que je leur dise
hautement avec les saints: Non praesumat aliquis Deum se
habere propitium qui benedictam Matrem offensam habuerit: Que
celui-là ne présume pas recevoir la miséricorde de Dieu, qui
offense sa sainte Mère.
67. Pour obtenir de votre miséricorde une véritable dévotion
à votre sainte Mère, et pour l’inspirer à toute la terre,
faites que je vous aime ardemment, et recevez pour cela la
prière embrasée que je vous fais avec saint Augustin et vos
véritables amis (tom. 9, operum meditat.):
« Tu es Christus, pater meus sanctus, Deux meus pius, rex
meus magnus, pastor meus bonus, magister meus unus, adjutor
meus optimus, dilectus meus pulcherrimus, panis meus vivus,
sacerdos meus in aeternum, dux meus ad patriam, lux mea vera,
dulcedo mea sancta, via mea recta, sapientia mea praeclara,
simplicitas mea pura, concordia mea pacifica, custodia mea
tota, portio mea bona, salus mea sempiterna…
« Christe Jesu, amabilis Domine, cur amavi, quare
concupivi in omni vita mea quidquam praeter te Jesum Deum
meum? Ubi eram quando tecum mente non eram? Jam ex hoc nunc,
omnia desideria mea, incalescite et effluite in Dominum Jesum;
currite, satis hactenus tardastis; properate quo pergitis;
quaerite quem quaeritis. Jesu, qui non amat te anathema sit;
qui te non amat amaritudine repleatur… O dulcis Jesu, te
amet, in te delectetur, te admiretur omnis sensus bonus tuae
conveniens laudi. Deux cordis mei et pars mea, Christe Jesu,
deficiat cor meum spiritu suo, et vivas tu in me, et
concalescat in spiritu meo vivus carbo amoris tui, et
excrescat in ignem perfectum; ardeat jugiter in ara cordis
mei, ferveat in medullis meis, flagret in absconditis animae
meae; in die consummationis meae consummatus inveniar apud te.
Amen. »
J’ai voulu mettre en latin cette admirable oraison de
saint Augustin, afin que les personnes qui entendent le latin
la disent tous les jours pour demander l’amour de Jésus que
nous cherchons par la divine Marie.
[Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d’esclaves]
68. Seconde vérité. – Il faut conclure de ce que Jésus-Christ
est à notre égard, que nous ne sommes point à nous, comme dit
l’Apôtre, mais tout entiers à lui, comme ses membres et ses
esclaves qu’il a achetés infiniment cher, par le prix de tout
son sang. Avant le baptême, nous étions au diable comme ses
esclaves, et le baptême nous a rendus les véritables esclaves
de Jésus-Christ, qui ne doivent vivre, travailler et mourir
que pour fructifier pour ce Dieu Homme, le glorifier en notre
corps et le faire régner en notre âme, parce que nous sommes
sa conquête, son peuple acquis et son héritage. C’est pour la
même raison que le Saint-Esprit nous compare: 1 à des arbres
plantés le long des eaux de la grâce, dans le champ de
l’Église, qui doivent donner leurs fruits en leur temps; 2
aux branches d’une vigne dont Jésus-Christ est le cep, qui
doivent rapporter de bons raisins; 3 à un troupeau dont
Jésus-Christ est le pasteur, qui se doit multiplier et donner
du lait; 4 à une bonne terre dont Dieu est le laboureur, et
dans laquelle la semence se multiplie et rapporte au
trentuple, soixantuple ou centuple. Jésus-Christ a donné sa
malédiction au figuier infructueux, et porté condamnation
contre le serviteur inutile qui n’avait pas fait valoir son
talent. Tout cela nous prouve que Jésus-Christ veut recevoir
quelques fruits de nos chétives personnes, savoir: nos bonnes
oeuvres, parce que ces bonnes oeuvres lui apartiennent
uniquement: Creati in operibus bonis in Christo Jesu: Créés
dans les bonnes oeuvres en Jésus-Christ. Lesquelles paroles du
Saint-Esprit montrent et que Jésus-Christ est l’unique
principe et doit être l’unique fin de toutes nos bonnes
oeuvres, et que nous le devons servir non seulement comme des
serviteurs à gages, mais comme des esclaves d’amour. Je
m’explique.
69. Il y a deux manières ici-bas d’appartenir à un autre et
de dépendre de son autorité, savoir: la simple servitude et
l’esclavage; ce qui fait que nous appelons un serviteur et un
esclave.
Par la servitude commune parmi les chrétiens, un homme
s’engage à en servir un autre pendant un certain temps,
moyennant un certain gage ou une telle récompense.
Par l’esclavage, un homme est entièrement dépendant d’un
autre pour toute sa vie, et doit servir son maître, sans en
prétendre aucun gage ni récompense comme une de ses bêtes sur
laquelle il a droit de vie et de mort.
70. Il y a trois sortes d’esclavages: un esclavage de
nature, un esclavage de contrainte et un esclavage de volonté.
Toutes les créatures sont esclaves de Dieu en la première
manière: Domini est terra et plenitudo ejus; les démons et les
damnés en la seconde; les justes et les saints le sont en la
troisième. L’esclavage de volonté est le plus parfait et le
plus glorieux à Dieu, qui regarde le coeur, et qui demande le
coeur, et qui s’appelle le Dieu du coeur, ou de la volonté
amoureuse, parce que, par cet esclavage, on fait choix, par-
dessus toutes choses, de Dieu et de son service, quand même la
nature n’y obligerait pas.
71. Il y a une totale différence entre un serviteur et un
esclave:
1 Un serviteur ne donne pas tout ce qu’il est et tout ce
qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir par autrui ou par
soi-même, à son maître; mais l’esclave se donne tout entier,
tout ce qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir, à son
maître, sans aucune exception.
2 Le serviteur exige des gages pour les services qu’il
rend à son maître, mais l’esclave n’en peut rien exiger,
quelque assiduité, quelque industrie, quelque force qu’il ait
à travailler.
3 Le serviteur peut quitter son maître quand il voudra,
ou du moins quand le temps de son service sera expiré; mais
l’esclave n’est pas en droit de quitter son maître quand il
voudra.
4 Le maítre du serviteur n’a sur lui aucun droit de vie
et de mort, en sorte que s’il le tuait, comme une de ses bêtes
de charge, il commettrait un homicide injuste; mais le maître
de l’esclave a, par les lois, droit de vie et de mort sur lui,
en sorte qu’il peut le vendre à qui il voudra, ou le tuer,
comme, sans comparaison, il ferait [de] son cheval.
5 Enfin, le serviteur n’est que pour un temps au service
d’un maître, et l’esclave pour toujours.
72. Il n’y a rien parmi les hommes qui nous fasse plus
appartenir à un autre que l’esclavage; il n’y a rien aussi
parmi les chrétiens qui nous fasse plus absolument appartenir
à Jésus-Christ et à sa sainte Mère que l’esclavage de volonté,
selon l’exemple de Jésus-Christ même, qui a pris la forme
d’esclave pour notre amour: Formam servi accipiens, et de la
Sainte Vierge, qui s’est dite la servante et l’esclave du
Seigneur. L’Apôtre s’appelle par honneur servus Christi. Les
chrétiens sont appelés plusieurs fois dans l’Ecriture sainte
servi Christi; lequel mot de servus, selon la remarque
véritable qu’a faite un grand homme, ne signifiait autrefois
qu’un esclave, parce qu’il n’y avait point encore de
serviteurs comme ceux d’aujourd’hui, les maîtres n’étant servi
que par des esclaves ou affranchis: ce que le Catéchisme du
saint Concile de Trente, pour ne laisser aucun doute que nous
soyons esclaves de Jésus-Christ, exprime par un terme qui
n’est point équivoque, en nous appelant mancipia Christi:
esclave de Jésus-Christ. Cela posé:
73. Je dis que nous devons être à Jésus-Christ et le servir,
non seulement comme des serviteurs mercenaires, mais comme des
esclaves amoureux, qui par un effet d’un grand amour, se
donnent et se livrent à le servir en qualité d’esclaves, pour
l’honneur seul de lui appartenir. Avant le baptême, nous
étions esclaves du diable; le baptême nous a rendus esclaves
de Jésus-Christ: ou il faut que les chrétiens soient esclaves
du diable, ou esclaves de Jésus-Christ.
74. Ce que je dis absolument de Jésus-Christ, je le dis
relativement de la Sainte Vierge, que Jésus-Christ, ayant
choisie pour compagne indissoluble de sa vie, de sa mort, de
sa gloire et de sa puissance au ciel et sur la terre, lui a
donné par grâce, relativement à sa Majesté, tous les mêmes
droits et privilèges qu’il possède par nature: Quidquid Deo
convenit per naturam, Mariae convenit per gratiam: Tout ce qui
convient à Dieu par nature, convient à Marie par grâce, disent
les saints; en sorte que, selon eux, n’ayant tous deux que la
même volonté et la même puissance, ils ont tous deux les mêmes
sujets, serviteurs et esclaves.
75. On peut donc, suivant le sentiment des saints et de
plusieurs grands hommes, se dire et se faire l’esclave
amoureux de la Très Sainte Vierge, afin d’être par là plus
parfaitement esclave de Jésus-Christ. La Sainte Vierge est le
moyen dont Notre-Seigneur s’est servi pour venir à nous; c’est
aussi le moyen dont nous devons nous servir pour aller à lui,
car elle n’est pas comme les autres créatures, auxquelles si
nous nous attachions, elles pourraient plutôt nous éloigner de
Dieu que de nous en approcher; mais la plus forte inclination
de Marie est de nous unir à Jésus-Christ, son Fils, et la plus
forte inclination du Fils est qu’on vienne à lui par sa sainte
Mère; et c’est lui faire honneur et plaisir, comme ce serait
faire honneur et plaisir à un roi si, pour devenir plus
parfaitement son sujet et son esclave, on se faisait esclave
de la reine. C’est pourquoi les saints Pères et saint
Bonaventure après eux, disent que la Sainte Vierge est le
chemin pour aller à Notre-Seigneur: Via veniendi ad Christum
est appropinquare ad illam (In psalt. min.).
76. De plus, si, comme j’ai dit, la Sainte Vierge est la
Reine et souveraine du ciel et de la terre: Ecce imperio Dei
omnia subjiciuntur et Virgo; ecce imperio Virginis omnia
subjiciuntur et Deus, disent saint Anselme, saint Bernard,
saint Bernardin, saint Bonaventure, n’a-t-elle pas autant de
sujets et d’esclaves qu’il y a de créatures? N’est-il pas
raisonnable que parmi tant d’esclaves de contrainte, il y en
ait d’amour qui, par une bonne volonté, choisissent, en
qualité d’esclaves, Marie pour leur souveraine? Quoi! les
hommes et les démons auront leurs esclaves volontaires, et
Marie n’en aurait point? Quoi! un roi tiendra à honneur que la
reine, sa compagne, ait des esclaves sur qui elle ait droit de
vie et de mort, parce que l’honneur et la puissance de l’un
est l’honneur et la puisance et l’autre; et on [pourrait]
croire [que] Notre-Seigneur qui, comme le meilleur de tous les
fils, a fait part de toute sa puissance à sa sainte Mère,
trouve mauvais qu’elle ait des esclaves? A-t-il moins de
respect et d’amour pour sa Mère qu’Assuérus pour Esther et que
Salomon pour Bethsabée? Qui oserait le dire et même le penser?
77. Mais où est-ce que ma plume me conduit? Pourquoi est-ce
que je m’arrête ici à prouver une chose si visible. Si on ne
veut pas qu’on se dise esclave de la Sainte Vierge,
qu’importe! Qu’on se fasse et qu’on se dise esclave de Jésus-
Christ! C’est l’être de la Sainte Vierge, puisque Jésus-Christ
est le fruit et la gloire de Marie. C’est ce qu’on fait
parfaitement par la dévotion dont nous parlerons dans la
suite.
[«Nous devons nous vider de ce qu’il y a de mauvais en nous»]
78. Troisième vérité. – Nos meilleures actions sont
ordinairement souillées et corrompues par le mauvais fond qui
est en nous. Quand on met de l’eau nette et claire dans un
vaisseau qui sent mauvais, ou du vin dans une pipe dont le
dedans est gâté par un autre vin qu’il y a eu dedans, l’eau
claire et le bon vin en est gâté et prend aisément la mauvaise
odeur. De même, quand Dieu met dans le vaiseau de notre âme,
gâté par le péché originel et actuel, ses grâces et rosées
celestes ou le vin délicieux de son amour, ses dons sont
ordinairement gâtés et souillés par le mauvais levain et le
mauvais fond que le péché a laissé en nous; nos actions, même
des vertus les plus sublimes, s’en sentent. Il est donc d’une
très grande importance, pour acquérir la perfection, qui ne
s’acquiert que par l’union à Jésus-Christ, de nous vider de ce
qu’il y a de mauvais en nous: autrement, Notre-Seigneur, qui
est infiniment pur et qui hait infiniment la moindre souillure
dans l’âme, nous rejettera de devant ses yeux et ne s’unira
point à nous.
79. Pour nous vider de nous-mêmes, il faut, premièrement,
bien connaître, par la lumière du Saint-Esprit, notre mauvais
fond, notre incapacité à tout bien utile au salut, notre
faiblesse en toutes choses, notre inconstance en tout temps,
notre indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout
lieu. Le péché de notre premier père nous a tous presque
entièrement gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le
levain aigrit, élève et corrompt la pâte où il est mis. Les
péchés actuels que nous avons commis, soit mortels, soit
véniels, quelque pardonnés qu’ils soient, ont augmenté notre
concupiscence, notre faiblesse, notre inconstance et notre
corruption, et ont laissé de mauvais restes dans notre âme.
Nos corps sont si corrompus, qu’ils sont appelés par le
Saint-Esprit corps du péché, conçus dans le péché, nourris
dans le péché et capable de tout, corps sujets à mille et
mille maladies, qui se corrompent de jour en j our, et qui
n’engendrent que de la gale, de la vermine et de la
corruption.
Notre âme, unie à notre corps, est devenue si charnelle,
qu’elle est appelée chair: Toute chair avait corrompu sa voie.
Nous n’avons pour partage que l’orgueil et l’aveuglement dans
l’esprit, l’endurcissement dans le coeur, la faiblesse et
l’inconstance dans l’âme, la concupiscence, les passions
révoltées et les maladies dans le corps. Nous sommes
naturellement plus orgueilleux que des paons, plus attachés à
la terre que des crapauds, plus vilains que des boucs, plus
envieux que des serpents, plus gourmands que des cochons, plus
colères que des tigres et plus paresseux que des tortues, plus
faibles que des roseaux, et plus inconstants que des
girouettes. Nous n’avons dans notre fond que le néant et le
péché, et nous ne méritons que l’ire de Dieu et l’enfer
éternel.
80. Après cela, faut-il s’étonner si Notre-Seigneur a dit que
celui qui voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr
son âme; que celui qui aimerait sa vie la perdrait et que
celui qui la haïrait la sauverait? Cette Sagesse infinie, qui
ne donne pas des commandemaents sans raison, ne nous ordonne
de nous haïr nous-mêmes que parce que nous sommes grandement
dignes de haine: rien de si digne d’amour que Dieu, rien de si
digne de haine que nous-mêmes.
81. Secondement, pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous
les jours mourir à nous-mêmes: c’est-à-dire qu’il faut
renoncer aux opérations des puissances de notre âme et des
sens du corps, qu’il faut voir comme si on ne voyait point,
entendre comme si on n’entendait point, se servir des choses
de ce monde comme si on ne s’en servait point, ce que saint
Paul appelle mourir tous les jours: Quotidie morior! Si le
grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre
et ne produit point de fruit qui soit bon: Nisi granum
frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet.
Si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus
saintes ne nous portent à cette mort nécessaire et féconde,
nous ne porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions
nous deviendront inutiles, toutes nos justices seront
souillées par notre amour-propre et notre propre volonté, ce
qui fera que Dieu aura en abomination les plus grands
sacrifices et les meilleures actions que nous puissions faire;
et qu’à notre mort nous nous trouverons les mains vides de
vertus et de mérites, et que nous n’aurons pas une étincelle
du pur amour, qui n’est communiqué qu’aux âmes dont la vie est
cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
82. Troisièmement, il faut choisir parmi toutes les dévotions
à la Très Sainte Vierge celle qui nous porte le plus à cette
mort à nous-mêmes, comme étant la meilleure et la plus
sanctifiante; car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit
soit or, que tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce
qui est aisé à faire et pratiqué du plus grand nombre soit le
plus sanctifiant. Comme il y a des secrets de nature pour
faire en peu de temps, à peu de frais et avec facilité
certaines opérations naturelles, de même il y a des secrets
dans l’ordre de la grâce pour faire en peu de temps, avec
douceur et facilité, des opérations surnaturelles: se vider de
soi-même, se remplir de Dieu, et devenir parfait.
La pratique que je veux vous découvrir est un de ces
secrets de grâce, inconnu du grand nombre des chrétiens, connu
de peu de dévôts, et pratiqué et goûté d’un bien plus petit
nombre. Pour commencer à découvrir cette pratique, voici une
quatrième vérité qui est une suite de la troisième.
[«Nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même»]
83. Quatrième vérité. – Il est plus parfait, parce qu’il est
plus humble, de n’approcher pas de Dieu par nous-mêmes, sans
prendre un médiateur. Notre fond, comme je viens de montrer,
étant si corrompu, si nous nous appuyons sur nos propres
travaux, industries, préparations, pour arriver à Dieu et lui
plaire, il est certain que toutes nos justices seront
souillées, ou de peu de poids devant Dieu, pour l’engager à
s’unir à nous et à nous exaucer. Car ce n’est pas sans raison
que Dieu nous a donné des médiateurs auprès de sa Majesté: il
a vu notre indignité et incapacité, il a eu pitié de nous, et,
pour nous donner accès à ses miséricordes, il nous a pourvu
des intercesseurs puissants auprès de sa grandeur; en sorte
que négliger ces médiateurs, et s’approcher directement de sa
sainteté, c’est manquer de respect envers un Dieu si haut et
si saint; c’est moins faire de cas de ce Roi des rois qu’on ne
ferait d’un roi ou d’un prince de la terre, duquel on ne
voudrait pas approcher sans quelque ami qui parlât pour soi.
84. Notre-Seigneur est notre avocat et notre médiateur de
rédemption auprès de Dieu le Père; c’est par lui que nous
devons prier avec toute l’Église triomphante et militante;
c’est par lui que nous avons accès auprès de sa Majesté, et
nous ne devons jamais paraître devant lui qu’appuyés et
revêtus de ses mérites, comme le petit Jacob des peaux de
chevreaux devant son père Isaac, pour recevoir sa bénédiction.
85. Mais n’avons-nous point besoin d’un médiateur auprès du
Médiateur même? Notre pureté est-elle assez grande pour nous
unir directement à lui, et par nous-mêmes! N’est-il pas Dieu,
en toutes choses égal à son Père, et par conséquent le Saint
des saints, aussi digne de respect que son Père? Si, par sa
charité infinie, il s’est fait notre caution et notre
médiateur auprès de Dieu son Père, pour l’apaiser et lui payer
ce que nous lui devions, faut-il pour cela que nous ayons
moins de respect et de crainte pour sa majesté et sa sainteté?
Disons donc hardiment, avec saint Bernard, que nous avons
besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même, et que la
divine Marie est celle qui est la plus capable de remplir cet
office charitable; c’est par elle que Jésus-Christ nous est
venu, et c’est par elle que nous devons aller à lui. Si nous
craignons d’aller directement à Jésus-Christ, ou à cause de
sa grandeur infinie, ou à cause de notre bassesse, ou à cause
de nos péchés, implorons hardiment l’aide et l’intercession de
Marie notre Mère: elle est bonne, elle est tendre; il n’y a en
elle rien d’austère ni rebutant, rien de trop sublime et de
trop brillant; en la voyant, nous voyons notre pure nature.
Elle n’est pas le soleil, qui, par la vivacité de ses rayons,
pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse; mais elle
est belle et douce comme la lune, qui reçoit la lumière du
soleil et la tempère pour la rendre conforme à notre petite
portée. Elle est si charitable qu’elle ne rebute personne de
ceux qui demandent son intercession, quelque pécheurs qu’ils
soient; car, comme disent les saints, il n’a jamais été ouï
dire, depuis que le monde est monde, qu’aucun ait eu recours à
la Sainte Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été
rebuté. Elle est si puissante que jamais elle n’a été refusée
dans ses demandes; elle n’a qu’à se montrer devant son Fils
pour le prier: aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit; il est
toujours amoureusement vaincu par les mamelles et les
entrailles et les prières de sa très chère Mère.
86. Tout ceci est tiré de saint Bernard et de saint
Bonaventure; en sorte que, selon eux, nous avons trois degrés
à monter pour aller à Dieu: le premier, qui est le plus proche
de nous et le plus conforme à notre capacité, est Marie; le
second est Jésus-Christ; et le troisième est Dieu le Père.
Pour aller à Jésus, il faut aller à Marie, c’est notre
médiatrice d’intercession; pour aller au Père éternel, il faut
aller à Jésus, c’est notre médiateur de rédemption. Or, par la
dévotion que je dirai ci-après, c’est l’ordre qu’on garde
parfaitement.
[«Il nous est très difficile de conserver les grâces et les
trésors reçus de Dieu»]
87. Cinquième vérité. – Il est très difficile, vu notre
faiblesse et fragilité, que nous conservions en nous les
grâces et les trésors que nous avons reçus de Dieu:
1 Parce que nous avons ce trésor, qui vaut mieux que le
ciel et la terre, dans des vases fragiles: Habemus thesaurum
istum in vasis fictilibus, dans un corps corruptible, dans une
âme faible et inconstante, qu’un rien trouble et abat.
88. 2 Parce que les démons, qui sont de fins larrons,
veulent nous surprendre à l’impourvu pour nous voler et
dévaliser; ils épient jour et nuit le moment favorable pour
cela; ils tournoient incessamment pour nous dévorer, et nous
enlever en un moment, par un péché, tout ce que nous avons pu
gagner de grâces et de mérites en plusieurs années. Leur
malice, leur expérience, leurs ruses et leur nombre doivent
nous faire infiniment craindre ce malheur, vu que des
personnes plus pleines de grâces, plus riches en vertus, plus
fondées en expérience et plus élevées en sainteté, ont été
surprises, volées et pillées malheureusement. Ah! combien a-t-
on vu de cèdres du Liban et d’étoiles du firmament tomber
misérablement et perdre toute leur hauteur et leur clarté en
peu de temps! D’où vient cet étrange changement? Ce n’a pas
été faute de grâce, qui ne manque à personne, mais faute
d’humilité: ils se sont crus capables de garder leurs trésors;
ils se sont fiés et appuyés sur eux-mêmes; ils ont cru leur
maison assez sûre, et leurs coffres assez forts pour garder le
précieux trésor de la grâce, et c’est à cause de cet appui
imperceptible qu’ils avaient en eux-mêmes (quoiqu’il leur
semblât qu’ils s’appuyaient uniquement sur la grâce de Dieu),
que le Seigneur très juste a permis qu’ils ont été volés, en
les délaissant à eux-mêmes. Hélas! s’ils avaient connu la
dévotion admirable que je montrerai dans la suite, ils
auraient confié leur trésor à une Vierge puissante et fidèle,
qui le leur aurait gardé comme son bien propre, et même s’en
serait fait un devoir de justice.
89. 3 Il est difficile de persévérer dans la justice à cause
de la corruption étrange du monde. Le monde est maintenant si
corrompu qu’il est comme nécessaire que les coeurs religieux
en soient souillés, sinon par sa boue, du moins par sa
poussière; en sorte que c’est une espèce de miracle quand une
personne demeure ferme au milieu de ce torrent impétueux sans
être entraînée, au milieu de cette mer orageuse sans être
submergée ou pillée par les pirates et les corsaires, au
milieu de cet air empesté, sans en être endommagée; c’est la
Vierge uniquement fidèle dans laquelle le serpent n’a jamais
eu de part, qui fait ce miracle à l’égard de ceux et celles
[qui l’aiment] de la belle manière.
MARQUES DE LA VÉRITABLE DÉVOTION A MARIE
90. Ces cinq vérités présupposeées, il faut maintenant plus
que jamais faire un bon choix de la vraie dévotion à la Très
Sainte Vierge: car il y a plus que jamais de fausses
dévotions à la Sainte Vierge, qu’il est facile de prendre pour
de véritables dévotions. Le diable, comme un faux monnayeur et
un trompeur fin et expérimenté, a déjà tant trompé et damné
d’âmes par une fausse dévotion à la Très Sainte Vierge, qu’il
se sert tous les jours de son expérience diabolique pour en
damner beaucoup d’autres, en les amusant et endormant dans le
péché, sous prétexte de quelques prières mal dites et de
quelques pratiques extérieures qu’il leur inspire. Comme un
faux monnayeur ne contrefait ordinairement que l’or et
l’argent et fort rarement les autres métaux, parce qu’ils n’en
valent pas la peine, ainsi l’esprit malin ne contrefait pas
tant les autres dévotions que celles de Jésus et de Marie, la
dévotion à la Sainte Communion et la dévotion à la Sainte
Vierge, parce qu’elles sont, parmi les autres dévotions, ce
que sont l’or et l’argent parmi les métaux.
91. Il est donc très important de connaître, premièrement,
les fausses dévotions à la Très Sainte Vierge pour les éviter,
et la véritable pour l’embrasser; secondement, parmi tant de
pratiques différentes de la vraie dévotion à la Sainte
Vierge, quelle est la plus parfaite, la plus agréable à la
Sainte Vierge, la plus glorieuse à Dieu et la plus
sanctifiante pour nous, afin de nous y attacher.
FAUX DÉVOTS ET FAUSSES DÉVOTIONS A LA SAINTE VIERGE
92. Je trouve sept sortes de faux dévots et de fausses
dévotions à la Sainte Vierge, savoir: 1 les dévots critiques;
2 les dévots scrupuleux; 3 les dévots extérieurs; 4 les
dévots présomptueux; 5 les dévots insconstants; les dévots
hypocrites; 7 les dévots intéressés.
Les dévots critiques
93. Les dévots critiques sont, pour l’ordinaire, des savants
orgueilleux, des esprits forts et suffisants, qui ont au fond
quelque dévotion à la Sainte Vierge, mais qui critiquent
presque toutes les pratiques de dévotion à la Sainte Vierge
que les gens simples rendent simplement et saintement à cette
bonne Mère, parce qu’elles ne reviennent pas à leur fantaisie.
Ils révoquent en doute tous les miracles et histoires
rapportés par des auteurs dignes de foi, ou tirés des
chroniques des ordres religieux, qui font foi des miséricordes
et de la puissance de la Très Sainte Vierge. Ils ne sauraient
voir qu’avec peine des gens simples et humbles à genoux devant
un autel ou image de la Sainte Vierge, quelquefois dans le
coin d’une rue pour y prier Dieu; et ils les accusent
d’idolâtrie, comme s’ils adoraient le bois ou la pierre; ils
disent que, pour eux, ils n’aiment point ces dévotions
extérieures et qu’ils n’ont pas l’esprit si faible que
d’ajouter foi à tant de contes et historiettes qu’on débite de
la Sainte Vierge. Quand on leur rapporte les louanges
admirables que les saints Pères donnent à la Sainte Vierge, ou
ils répondent qu’ils ont parlé en orateurs, par exagération,
ou ils donnent une mauvaise explication à leurs paroles.
Ces sortes de faux dévots et de gens orgueilleux et
mondains sont beaucoup à craindre et ils font un tort infini à
la dévotion à la Très Sainte Vierge, et en éloignent les
peuples d’une manière efficace, sous prétexte d’en détruire
les abus.
Les dévots scrupuleux
94. Les devôts scrupuleux sont des gens qui craignent de
déshonorer le Fils en honorant la Mère, d’abaisser l’un en
élevant l’autre. Ils ne sauraient souffrir qu’on donne à la
Sainte Vierge des louanges très justes, que lui ont données
les saints Pères; ils ne souffrent qu’avec peine qu’il y ait
plus de monde à genoux devant un autel de la Sainte Vierge que
devant le Saint-Sacrement, come si l’un était contraire à
l’autre; comme si ceux qui prient la Sainte Vierge ne priaient
pas Jésus-Christ! Ils ne veulent pas qu’on parle si souvent de
la Sainte Vierge et qu’on s’adresse si souvent à elle.
Voici quelques sentences qui leur sont ordinaires: A quoi
bon tant de chapelets, tant de confréries et de dévotions
extérieures à la Sainte Vierge. Il y a en cela bien de
l’ignorance. C’est faire une mômerie de notre religion.
Parlez-moi de ceux qui sont dévots à Jésus-Christ (ils le
nomment souvent sans se découvrir, je le dis par parenthèse):
il faut recourir à Jésus-Christ, il est notre unique
médiateur; il faut prêcher Jésus-Christ, voilà le solide!
Ce qu’ils disent est vrai dans un sens; mais par rapport
à l’application qu’ils en font, pour empêcher la dévotion à la
Très Sainte Vierge, il est très dangereux, et un fin piège du
malin, sous prétexte d’un plus grand bien; car jamais on
n’honore plus Jésus-Christ que lorsqu’on honore plus la Très
Sainte Vierge, puisqu’on ne l’honore qu’afin d’honorer plus
parfaitement Jésus-Christ, puisqu’on ne va à elle que comme à
la voie pour trouver le terme où on va, qui est Jésus.
95. La Sainte Église, avec le Saint-Esprit, bénit la Sainte
Vierge la première, et Jésus-Christ le second: Benedicta tu in
mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, Jesus. Non pas
parce que la Sainte Vierge soit plus que Jésus-Christ ou égale
à lui: ce serait une hérésie intolérable; mais c’est que pour
bénir plus parfaitement Jésus-Christ, il faut auparavant bénir
Marie. Disons donc avec tous les vrais dévots de la Sainte
Vierge, contre ses faux dévots scrupuleux: O Marie, vous êtes
bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de votre
ventre, Jésus.
Les dévots extérieurs
96. Les dévots extérieurs sont des personnes qui font
consister toute la dévotion à la Très Sainte Vierge en des
pratiques extérieures; qui ne goûtent que l’extérieur de la
dévotion à la Très Sainte Vierge, parce qu’ils n’ont point
d’esprit intérieur; qui diront force chapelet à la hâte,
entendront plusieurs messes sans attention, iront aux
processions sans dévotion, se mettront de toutes ses
confréries sans amendement de leur vie, sans violence à leurs
passions et sans imitation des vertus de cette Vierge très
sainte. Ils n’aiment que le sensible de la dévotion, sans en
goûter le solide; s’ils n’ont pas de sensibilités dans leurs
pratiques, ils croient qu’ils ne font plus rien, ils se
détractent, ils quittent tout cela, ou il font tout à baton
rompu. Le monde est plein de ces sortes de dévots extérieurs,
et il n’y a pas de gens plus critiques des personnes d’oraison
qui s’appliquent à l’intérieur comme à l’essentiel, sans
mépriser l’extérieur de modestie qui accompagne toujours la
vraie dévotion.
Les dévots présomptueux
97. Les dévots présomptueux sont des pécheurs abandonnés à
leurs passions, ou des amateurs du monde, qui, sous le beau
nom de chrétien et de dévot à la Sainte Vierge, cachent ou
l’orgueil, ou l’avarice, ou l’impureté, ou l’ivrognerie, ou la
colère, ou le jurement, ou la médisance, ou l’injustice, etc.;
qui dorment en paix dans leurs mauvaises habitudes, sans se
faire beaucoup de violence pour se corriger, sous prétexte
qu’ils sont dévots à la Vierge; qui se promettent que Dieu
leur pardonnera, qu’ils ne mourront pas sans confession, et
quils ne seront pas damnés, parce qu’ils disent leur chapelet,
parce qu’ils jeûnent le samedi, parce qu’ils sont de la
confrérie du Saint Rosaire ou Scapulaire, ou de ses
congrégations, parce qu’ils portent le petit habit ou la
petite chaîne de la Sainte Vierge, etc.
Quand on leur dit que leur dévotion n’est qu’une illusion
du diable et qu’une présomption pernicieuse capable de les
perdre, ils ne le veulent pas croire; ils disent que Dieu est
bon et miséricordieux; qu’il ne nous a pas faits pour nous
damner; qu’il n’y a homme qui ne pèche; qu’ils ne mourront pas
sans confession; qu’un bon peccavi à la mort suffit; de plus
qu’ils sont dévots à la Sainte Vierge; qu’ils portent le
scapulaire; qu’ils disent tous les jours sans reproche et sans
vanité sept Pater et sept Ave en son honneur; qu ‘ils disent
même quelquefois le chapelet et l’office de la Sainte Vierge;
qu’ils jeûnent, etc. Pour confirmer ce qu’ils disent et
s’aveugler davantage, ils apportent quelques histoires qu’ils
ont entendues ou lues en des livres, vraies ou fausses,
n’importe pas, qui font foi que des personnes mortes en péché
mortel, sans confession, parce qu’elles avaient, pendant leur
vie, dit quelques prières ou fait quelques pratiques de
dévotion à la Sainte Vierge, ou ont été ressucitées pour se
confesser, ou leur âme a demeuré miraculeusement dans leur
corps jusqu’à la confession, ou par la miséricorde de la
Sainte Vierge, ont obtenu de Dieu, à leur mort, la contrition
et le pardon de leur péchés, et par là ont été sauvés, et
qu’ils espèrent la même chose.
98. Rien n’est si damnable, dans le christianisme, que cette
présomption diabolique; car peut-on dire avec vérité qu’on
aime et qu’on honore la Sainte Vierge, lorsque, par ses
péchés, on pique, on perce, on crucifie et on outrage
impitoyablement Jésus-Christ son Fils? Si Marie se faisait une
loi de sauver par sa miséricorde ces sortes de gens, elle
autoriserait le crime, elle aiderait à crucifier et outrager
son Fils; qui l’oserait jamais penser?
99. Je dis qu’abuser ainsi de la dévotion à la Très Sainte
Vierge, qui, après la dévotion à Notre-Seigneur au Très Saint-
Sacrement, est la plus sainte et la plus solide, c’est
commettre un horrible sacrilège, qui, après le sacrilège de
l’indigne communion, est le plus grand et le moins
pardonnable.
J’avoue que, pour être vraiment dévot à la Sainte Vierge,
il n’est pas absolument nécessaire d’être si saint qu’on évite
tout péché, quoiqu’il fût à souhaiter; mais il faut du moins
(qu’on remarque bien ce que je vais dire):
Premièrement être dans une sincère résolution d’éviter au
moins tout péché mortel, qui outrage la Mère aussi bien que le
Fils;
Secondement se faire violence pour éviter le péché;
Troisièmement, se mettre des confréries, réciter le
chapelet, le saint rosaire ou autres prières, jeûner le
samedi, etc.
100. Cela est merveilleusement utile à la conversion d’un
pécheur, même endurci; et si mon lecteur est tel, et quand il
aurait un pied dans l’abîme, je le lui conseille, mais à
condition qu’il ne pratiquera ces bonnes oeuvres que dans
l’intention d’obtenir de Dieu, par l’intercession de la Sainte
Vierge, la grâce de la contrition et du pardon de ses péchés,
et de vaincre ses mauvaises habitudes, et non pas pour
demeurer paisiblement dans l’état du péché, contre les remords
de sa conscience, l’exemple de Jésus-Christ et des saints, et
les maximes du saint Evangile.
Les dévots inconstants
101. Les dévots inconstants sont ceux qui sont dévots à la
Sainte Vierge par intervalles et par boutades: tantôt ils sont
fervents et tantôt ils sont tièdes, tantôt ils paraissent
prêts de tout faire pour son service, et puis, peu après, ils
ne sont plus les mêmes. Ils embrasseront d’abord toutes les
dévotions de la Sainte Vierge; il se mettront de ses
confréries, et puis il n’en pratiquent point les règles avec
fidélité; ils changent comme la lune, et Marie les met sous
ses pieds, avec le croissant, parce qu’ils sont changeants et
indignes d’être comptés parmi les serviteurs de cette Vierge
fidèle, qui ont la fidélité et la constance pour partage. Il
vaut mieux ne pas se charger de tant de prières et pratiques
de dévotion, et en faire peu avec amour et fidélité, malgré le
monde, le diable et la chair.
Les dévots hypocrites
102. Il y a encore de faux dévots à la Sainte Vierge, qui sont
des dévots hypocrites, qui couvrent leurs péchés et leurs
mauvaises habitudes sous le manteau de cette Vierge fidèle,
afin de passer aux yeux des hommes pour ce qu’ils ne sont pas.
Les dévots intéressés
103. Il y a encore des dévots intéressés, qui ne recourent à
la Sainte Vierge que pour gagner quelque procès, pour éviter
quelque péril, pour guérir d’une maladie, ou pour quelque
autre besoin de la sorte, sans quoi ils l’oublieraient; et les
uns et les autres sont de faux dévots, qui ne sont point de
mise devant Dieu ni sa sainte Mère.
104. Prenons donc bien garde d’être du nombre des dévots
critiques, qui ne croient rien et critiquent tout; des dévots
scrupuleux, qui craignent d’être trop dévots à la Sainte
Vierge, par respect à Jésus-Christ; des dévots extérieurs, qui
font consister toute leur dévotion en des pratiques
extérieures; des dévots présomptueux, qui, sous prétexte de
leur fausse dévotion à la Sainte Vierge, croupissent dans
leurs péchés; des dévots inconstants, qui, par légèreté,
changent leurs pratiques de dévotion, ou les quittent tout à
fait à la moindre tentation; des dévots hypocrites, qui se
mettent des confréries et portent les livrées de la Sainte
Vierge afin de passer pour bons; et enfin des dévots
intéressés, qui n’ont recours à la Sainte Vierge que pour être
délivrés des maux du corps ou obtenir des biens temporels.
MARQUES DE LA VÉRITABLE DÉVOTION A LA SAINTE VIERGE
105. Après avoir découvert et condamné les fausses dévotions à
la Sainte Vierge, il faut en peu de mots établir la véritable,
qui est: 1 intérieure; 2 tendre; 3 sainte; 4 constante et
5 désintéressée.
La vraie dévotion est intérieure
106. Premièrement, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
intérieure, c’est-à-dire elle part de l’esprit et du coeur,
elle vient de l’estime qu’on fait de la Sainte Vierge, de la
haute idée qu’on s’est formée de ses grandeurs, de l’amour
qu’on lui porte.
La vraie dévotion est tendre
107. Secondement, elle est tendre, c’est-à-dire pleine de
confiance en la Très Sainte Vierge, comme d’un enfant dans sa
bonne mère. Elle fait qu’une âme recourt à elle en tous ses
besoin de corps et d’esprit, avec beaucoup de simplicité, de
confiance et de tendresse; elle implore l’aide de sa bonne
Mère en tout temps, en tout lieu et en toute chose: dans ses
doutes, pour être redressée; dans ses tentations, pour être
soutenue; dans ses faiblesses, pour être fortifiée; dans ses
chutes, pour être relevée; dans ses découragements, pour être
encouragée; dans ses scrupules, pour en être ôtée; dans ses
croix, travaux et traverses de la vie, pour être consolée.
Enfin, en tous ses maux de corps et d’esprit, Marie est son
recours ordinaire, sans crainte d’importuner cette bonne Mère
et de déplaire à Jésus-Christ.
La vraie dévotion est sainte
108. Troisièmement, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
sainte, c’est-à-dire qu’elle porte une âme à éviter le péché
et imiter les vertus de la Très Sainte Vierge,
particulièrement son humilité profonde, sa foi vive, son
obéissance aveugle, son oraison continuelle, sa mortification
universelle, sa pureté divine, sa charité ardente, sa patience
héroïque, sa douceur angélique et sa sagesse divine. Ce sont
les dix principales vertus de la Très Sainte Vierge.
La vraie dévotion est constante
109. Quatrièmement la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
constante, elle affermit une âme dans le bien, et elle la
porte à ne pas quitter facilement ses pratiques de dévotion;
elle la rend courageuse à s’opposer au monde, dans ses modes
et maximes; à la chair, dans ses ennuis et ses passions; au
diable, dans ses tentations; en sorte qu’une personne vraiment
dévote à la Sainte Vierge n’est point changeante, chagrine,
scrupuleuse ni craintive. Ce n’est pas qu’elle ne tombe et
qu’elle ne change quelquefois dans la sensibilité de sa
dévotion; mais si elle tombe, elle se relève en tendant la
main à sa bonne Mère; si elle devient sans goût ni dévotion
sensible, elle ne s’en met point en peine: car le juste et le
dévot fidèle de Marie vit de la foi de Jésus et de Marie, et
non des sentiments du corps.
La vraie dévotion est désintéressée
110. Cinquièmement enfin, la vraie dévotion à la Sainte Vierge
est désintéressée, c’est-à-dire qu’elle inspire à une âme de
ne se point rechercher, mais Dieu seul dans sa sainte Mère. Un
vrai dévot de Marie ne sert pas cette auguste Reine par un
esprit de lucre et d’intérêt, ni pour son bien temporel ni
éternel, corporel ni spirituel, mais uniquement parce qu’elle
mérite d’être servie, et Dieu seul en elle; il n’aime pas
Marie précisément parce qu’elle lui fait du bien, ou qu’il en
espère d’elle, mais parce qu’elle est aimable. C’est pourquoi
il l’aime et la sert aussi fidèlement dans les dégoûts et
sécheresses que dans les douceurs et ferveurs sensibles; il
l’aime autant sur le Calvaire qu’aux noces de Cana. Oh! qu’un
tel dévot de la Sainte Vierge, qui ne se recherche en rien
dans les services qu’il lui rend, est agréable et précieux aux
yeux de Dieu et de sa Sainte Mère! Mais qu’il est rare
maintenant! C’est afin qu’il ne soit plus si rare que j’ai mis
la plume à la main pour écrire sur le papier ce que j’ai
enseigné avec fruit en public et en particulier dans mes
missions, pendant bien des années.
111. J’ai déjà dit beaucoup de choses de la Très Sainte
Vierge; mais j’ai encore beaucoup plus à dire, et j’en
omettrai encore infiniment davantage, soit par ignorance,
insuffisance, ou défaut de temps, dans le dessein que j’ai de
former un vrai dévot de Marie et un vrai disciple de Jésus-
Christ.
112. Oh! que ma peine serait bien employée si ce petit écrit,
tombant entre les mains d’une âme bien née, née de Dieu et de
Marie, et non du sang, de la volonte de la chair, ni de la
volonté de l’homme, lui découvrait et inspirait, par la grâce
du Saint-Esprit, l’excellence et le prix de la vraie et solide
dévotion à la Très Sainte Vierge, que je vais décrire
présentement! Si je savais que mon sang criminel pût servir à
faire entrer dans le coeur les vérités que j’écris en
l’honneur de ma chère Mère et souveraine Maîtresse, dont je
suis le dernier des enfants et des esclaves, au lieu d’encre,
je m’en servirais pour former ces caractères, dans l’espérance
que j’ai de trouver de bonnes âmes, qui par leur fidélité à la
pratique que j’enseigne, dédommageront ma chère Mère et
Maîtresse des pertes qu’elle a faites par mon ingratitude et
infidélité.
113. Je me sens plus que jamais animé à croire et à espérer
tout ce que j’ai profondément gravé dans le coeur, et que je
demande à Dieu depuis bien des années, savoir: que tôt ou tard
la Très Sainte Vierge aura plus d’enfants, de serviteurs et
d’esclaves d’amour que jamais, et que par ce moyen, Jésus-
Christ, mon cher Maître, règnera dans les coeurs plus que
jamais.
114. Je prévois bien des bêtes frémissantes, qui viennent en
furie pour déchirer avec leurs dents diaboliques ce petit
écrit et celui dont le Saint-Esprit s’est servi pour l’écrire,
ou du moins pour l’envelopper dans les ténèbres et le silence
d’un coffre, afin qu’il ne paraisse point; ils attaqueront
même et persécuteront ceux et celles qui le liront et
réduiront en pratique. Mais n’importe! mais tant mieux! Cette
vue m’encourage et me fait espérer un grand succès, c’est-à-
dire un grand escadron de braves et vaillants soldats de Jésus
et de Marie, de l’un et l’autre sexe, pour combattre le monde,
le diable et la nature corrompue, dans les temps périlleux qui
vont arriver plus que jamais.
Qui legit, intelligat. Qui potest capere, capiat.
PRINCIPALES PRATIQUES DE DÉVOTION A MARIE
115. Il y a plusieurs pratiques intérieures de la vraie
dévotion à la Très Sainte Vierge, dont voici les principales
en abrégé:
1 L’honorer comme la digne Mère de Dieu, du culte
d’hyperdulie, c’est-à-dire l’estimer et l’honorer par-dessus
tous les autres saints, comme le chef-d’oeuvre de la grâce et
la première après Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme; 2
méditer ses vertus, ses privilèges et ses actions; 3
contempler ses grandeurs; 4 lui faire des actes d’amour, de
louange et de reconnaissance; 5 l’invoquer cordialement; 6
s’offrir et s’unir à elle; 7 faire ses actions en vue de lui
plaire; 8 commencer, continuer et finir toutes ses actions
par elle, en elle, avec elle [et pour elle], afin de les faire
par Jésus-Christ, en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et pour
Jésus-Christ, notre dernière fin. Nous expliquerons cette
dernière pratique.
116. La vraie dévotion à la Sainte Vierge a aussi plusieurs
pratiques extérieures dont voici les principales:
1 S’enrôler dans ses confréries et entrer dans ses
congrégations; 2 entrer dans les religions instituées en son
honneur; 3 publier ses louanges; 4 faire des aumônes, jeûnes
et mortification d’esprit ou de corps en son honneur; 5
porter sur soi ses livrées, comme le saint rosaire ou le
chapelet, le scapulaire ou la chaînette; 6 réciter avec
attention, dévotion et modestie ou le saint rosaire composé de
quinze dizaines d’Ave Maria en l’honneur des quinze principaux
mystères de Jésus-Christ, ou le chapelet de cinq dizaines, qui
est le tiers du rosaire, ou en l’honneur des cinq mystères
joyeux, qui sont: l’Annonciation, la Visitation, la Nativité
de Jésus-Christ, la Purification et le Recouvrement de Jésus-
Christ au Temple; ou en l’honneur des cinq mystères
douloureux, qui sont: l’Agonie de Jésus-Christ au jardin des
Olives, sa Flagellation, son Couronnement d’épines, son
Portement de Croix et son Crucifement; ou en l’honneur des
cinq mystères glorieux, qui sont: la Résurrection de Jésus-
Christ, son Ascension, la Descente du Saint-Esprit ou la
Pentecôte, l’Assomption de la Sainte Vierge en corps et en âme
dans le ciel, et son Couronnement par les trois personnes de
la très sainte Trinité. On peut dire aussi un chapelet de six
ou sept dizaines en l’honneur des années qu’on croit que la
Sainte Vierge a vécu sur la terre; ou la petite couronne de la
Sainte Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en
l’honneur de sa couronne de douze étoiles ou privilèges; ou
l’office de la Sainte Vierge, si universellement reçu et
récité dans l’Église; ou le petit psautier de la Sainte
Vierge, que saint Bonaventure a fait en son honneur, et qui
est si tendre et si dévot, qu’on ne peut le réciter sans en
être attendri; ou quatorze Pater et Ave en l’honneur de ses
quatorze allégresses; ou quelques autres prières, hymnes et
cantiques de l’Église, comme le Salve Regina, l’Alma, l’Ave
Regina coelorum, ou le Regina coeli, selon les différents
temps; ou l’Ave maris stella, O gloriosa Domina, etc., ou le
Magnificat ou quelques autres prières de dévotion, dont les
livres sont pleins; 7 chanter et faire chanter en son honneur
des cantiques spirituels; 8 lui faire un nombre de
génuflexions ou révérences, en lui disant par exemple, tous
les matins, soixante ou cent fois: Ave Maria, Virgo fidelis,
pour obtenir de Dieu par elle la fidélité aux grâces de Dieu
pendant la journée; et le soir, Ave Maria, Mater
misericordiae, pour demander pardon à Dieu par elle des péchés
qu’on a commis pendant la journée; 9 avoir soin de ses
confréries, orner ses autels, couronner ou embellir ses
images; 10 porter et faire porter ses images en procession,
et en porter une sur soi, comme une arme puissante contre le
malin; 11 faire faire ses images ou son nom, et les placer ou
dans les églises, ou dans les maisons, ou sur les portes et
entrées des villes, des églises et des maisons; 12 se
consacrer à elle d’une manière spéciale et solennelle.
117. Il y a une quantité d’autres pratiques de la vraie
dévotion à la Très Sainte Vierge, que le Saint-Esprit a
inspirées aux saintes âmes, qui sont très sanctifiantes; on
les pourra lire plus au long dans le Paradis ouvert à
Philagie, composé par le R. Père Paul Barry, de la Compagnie
de Jésus, où il a recueilli un grand nombre de dévotions que
les saints ont pratiquées en l’honneur de la Très Sainte
Vierge, lesquelles dévotions servent merveilleusement à
sanctifier les âmes, pourvu qu’elles soient faites comme il
faut, c’est-à-dire:
1 avec une bonne et droite intention de plaire à Dieu
seul, de s’unir à Jésus-Christ comme à sa fin dernière, et
d’édifier le prochain; 2 avec attention, sans distraction
volontaire; 3 avec dévotion, sans empressement ni négligence;
4 avec modestie et composition de corps respectueuse et
édifiante.
LA PARFAITE PRATIQUE DE DÉVOTION A MARIE
118. Après tout, je proteste hautement qu’ayant lu presque
tous les livres qui traitent de la dévotion à la Très Sainte
Vierge, et ayant conversé familièrement avec les plus saints
et savants personnages de ces derniers temps, je n’ai point
connu ni appris de pratique de dévotion envers la Sainte
Vierge semblable à celle que je veux dire, qui exige d’une âme
plus de sacrifices pour Dieu, qui la vide plus d’elle même et
de son amour-propre, qui la conserve plus fidèlement dans la
grâce, et la grâce en elle, qui l’unisse plus parfaitement et
plus facilement à Jésus-Christ, et enfin qui soit plus
glorieuse à Dieu, sanctifiante pour l’âme et utile au
prochain.
119. Comme l’essentiel de cette dévotion consiste dans
l’intérieur qu’elle doit former, elle ne sera pas également
comprise de tout le monde: quelques-uns s’arrêteront à ce
qu’elle a d’extérieur, et ne passeront pas outre, et ce sera
le plus grand nombre; quelques-uns, en petit nombre, entreront
dans son intérieur, mais ils n’y monteront qu’un degré. Qui
est-ce qui montera au second? Qui parviendra jusqu’au
troisième? Enfin, qui est celui qui y sera par état? Celui-là
seul, à qui l’Esprit de Jésus-Christ révélera ce secret, et y
conduira lui-même l’âme bien fidèle pour avancer de vertus en
vertus, de grâce en grâce, et de lumières en lumières pour
arriver jusqu’à la transformation de soi-même en Jésus-Christ,
et à la plénitude de son âge sur la terre et de sa gloire dans
le ciel.
LA PARFAITE CONSÉCRATION A JÉSUS-CHRIST
120. Toute notre perfection consistant à être conformes, unis
et consacrés à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les
dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et
consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ. Or, Marie étant
la plus conforme à Jésus-Christ de toutes les créatures, il
s’ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui consacre et
conforme le plus une âme à Notre-Seigneur, est la dévotion à
la Très Sainte Vierge, sa sainte Mère, et que plus une âme
sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ.
C’est pourquoi la parfaite consécration à Jésus-Christ
n’est autre chose qu’une parfaite et entière consécration de
soi-même à la Très Sainte Vierge, qui est la dévotion que
j’enseigne; ou autrement une parfaite rénovation des voeux et
promesses du saint baptême.
121. Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la
Très Sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par
elle. Il faut lui donner: 1 notre corps avec tous ses sens et
ses membres; 2 notre âme avec toutes ses puissances; 3 nos
biens extérieurs qu’on appelle de fortune, présents et à
venir; 4 nos biens intérieurs et spirituels, qui sont nos
mérites, nos vertus et nos bonnes oeuvres passées, présentes
et futures: en deux mots, tout ce que nous avons dans l’ordre
de la nature et dans l’ordre de la grâce, et tout ce que nous
pourrons avoir à l’avenir dans l’ordre de la nature, de la
grâce ou de la gloire, et cela sans aucune réserve, pas même
d’un denier, d’un cheveu et de la moindre bonne action, et
cela pour toute l’éternité, et cela sans prétendre ni espérer
aucune autre récompense de son offrande et de son service, que
l’honneur d’appartenir à Jésus-Christ par elle, quand cette
aimable Maîtresse ne serait pas, comme elle est toujours, la
plus libérale et la plus reconnaissante des créatures.
122. Ici, il faut remarquer qu’il y a deux choses dans les
bonnes oeuvres que nous faisons, savoir: la satisfaction et le
mérite, autrement, la valeur satisfactoire ou impétratoire et
la valeur méritoire. La valeur satisfactoire ou impétratoire
d’une bonne oeuvre, c’est une bonne action en tant qu’elle
satisfait à la peine dûe au péché, ou qu’elle obtient quelque
nouvelle grâce; la valeur méritoire, ou le mérite, est une
bonne action en tant qu’elle mérite la grâce et la gloire
éternelle. Or, dans cette consécration de nous-mêmes à la Très
Sainte Vierge, nous lui donnons toute la valeur satisfactoire,
impétratoire et méritoire, autrement les satisfactions et les
mérites de toutes nos bonnes oeuvres: nous lui donnons nos
mérites, nos grâces et nos vertus, non pas pour les
communiquer à d’autres (car nos mérites, grâces et vertus
sont, à proprement parler, incommunicables; et il n’y a eu que
Jésus-Christ qui, en se faisant notre caution auprès de son
Père, nous a pu communiquer ses mérites), mais pour nous les
conserver, augmenter et embellir, comme nous dirons encore;
nous lui donnons nos satisfactions pour les communiquer à qui
bon lui semblera, et pour la plus grande gloire de Dieu.
123. Il s’ensuit de là: 1 que par cette consécration on donne
à Jésus-Christ, de la manière la plus parfaite, puisque c’est
par les mains de Marie, tout ce qu’on peut lui donner, et
beaucoup plus que par les autres dévotions, où on lui donne ou
une partie de son temps, ou une partie de ses bonnes oeuvres,
ou une partie de ses satisfactions et mortifications. Ici tout
est donné et consacré, jusqu’au droit de disposer de ses biens
intérieurs, et les satisfactions qu’on gagne par ses bonnes
oeuvres de jour en jour: ce qu’on ne fait pas même dans aucune
religion. On donne à Dieu dans les religions les biens de
fortune par le voeu de pauvreté, les biens du corps par le
voeu de chasteté, la propre volonté par le voeu d’obéissance,
et quelquefois la liberté du corps par le voeu de clôture;
mais on ne lui donne pas la liberté ou le droit qu’on a de
disposer de la valeur de ses bonnes oeuvres, et on ne se
dépouille pas autant qu’on peut de ce que l’homme chrétien a
de plus précieux et de plus cher, qui sont ses mérites et ses
satisfactions.
124. 2 Il s’ensuit qu’une personne qui s’est ainsi
volontairement consacrée et sacrifiée à Jésus-Christ par Marie
ne peut plus disposer de la valeur d’aucune de ses bonnes
actions: tout ce qu’il souffre, tout ce qu’il pense, dit et
fait de bien, appartient à Marie, afin qu’elle en dispose
selon la volonté de son Fils, et à sa plus grande gloire, sans
cependant que cette dépendance préjudicie en aucune manière
aux obligations de l’état où l’on est pour le présent, et où
on pourra être pour l’avenir: par exemple, aux obligations
d’un prêtre qui, par office ou autrement, doit appliquer la
valeur satisfactoire et impétratoire de la sainte Messe à un
particulier; car on ne fait cette offrande que selon l’ordre
de Dieu et les devoirs de son état.
125. 3 Il s’ensuit qu’on se consacre tout ensemble à la Très
Sainte Vierge et à Jésus-Christ: à la Très Sainte Vierge comme
au moyen parfait que Jésus-Christ a choisi pour s’unir à nous
et nous à lui; et à Notre-Seigneur comme à notre dernière fin,
auquel nous devons tout ce que nous sommes, comme à notre
Rédempteur et à notre Dieu.
126. J’ai dit que cette dévotion pouvait fort bien être
appelée une parfaite rénovation des voeux ou promesses du
saint baptême.
Car tout chrétien, avant son baptème, était l’esclave du
démon, parce qu’il lui appartenait. Il a, dans son baptême,
par sa bouche propre ou par celle de son parrain et de sa
marraine, renoncé solennellement à Satan, à ses pompes et à
ses oeuvres, et a pris Jésus-Christ pour son Maître et
souverain Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d’esclave
d’amour. C’est ce qu’on fait par la présente dévotion: on
renonce (comme il est marqué dans la formule de consécration),
au démon, au monde, au péché et à soi-même, et on se donne
tout entier à Jésus-Christ par les mains de Marie. Et même on
fait quelque chose de plus, car dans le baptême, on parle
ordinairement par la bouche d’autrui, savoir par le parrain et
la marraine, et on ne se donne à Jésus-Christ [que] par
procureur; mais, dans cette dévotion, c’est par soi-même,
c’est volontairement, c’est avec connaissance de cause.
Dans le saint baptême, on ne [se] donne pas à Jésus-
Christ par les mains de Marie, du moins d’une manière
expresse, et on ne donne pas à Jésus-Christ la valeur de ses
bonnes actions; mais, par cette dévotion, on se donne
expressément à Notre-Seigneur par les mains de Marie, et on
lui consacre la valeur de toutes ses actions.
127. Les hommes, dit saint Thomas, font voeu, au saint baptême
de renoncer au diable et à ses pompes: In baptismum vovent
homines abrenuntiare diabolo et pompis ejus. Et ce voeu, dit
saint Augustin, est le plus grand et le plus indispensable :
Votum maximum nostrum quo vovimus nos in Christo esse mansuros
(Epis. 59 ad Paulin). C’est aussi ce que disent les
canonistes: Principuum votum est quod baptismate facimus.
Cependant, qui est-ce qui garde ce grand voeu? Qui est-ce qui
tient fidèlement les promesses du saint baptême? Presque tous
les chrétiens ne faussent-ils pas la fidélité qu’ils ont
promise à Jésus-Christ dans leur baptême? D’où peut venir ce
dérèglement universel, sinon l’oubli où l’on vit des promesses
et des engagements du saint baptême, et de ce que presque
persone ne ratifie par soi-même le contrat d’alliance qu’il a
fait avec Dieu par ses parrains et marraines!
128. Cela est si vrai que le Concile de Sens, convoqué par
l’ordre de Louis le Débonnaire pour remédier aux désordres des
chrétiens qui étaient grands, jugea que la principale cause de
cette corruption dans les moeurs venait de l’oubli et
l’ignorance où l’on vivait des engagements du saint baptême;
et il ne trouva point de meilleur moyen de remédier à un si
grand mal que de porter les chrétiens à renouveler les voeux
et promesses du saint baptême.
129. Le Catéchisme du Concile de Trente, fidèle interprète des
intentions de ce saint concile, exhorte les curés à faire la
même chose et à porter leurs peuples à se ressouvenir qu’ils
sont liés et consacrés à Notre-Seigneur Jésus-Christ comme des
esclaves à leur Rédempteur et Seigneur. Voici ses paroles:
Parochus fidelem populum ad eam rationem cohortabitur ut sciat
[…] aequum esse nos ipsos, non secus ac mancipia Redemptori
nostro et Domino in perpetuum addicere et consecrare (Cat.
Conc. Trid., pte I,c.3).
130. Or, si les Conciles, les Pères et l’expérience même nous
montrent que le meilleur moyen pour remédier aux dérèglements
des chrétiens est de les faire ressouvenir des obligations de
leur baptême et de leur faire renouveler les voeux qu’ils y
ont faits, n’est-il pas raisonnable qu’on le fasse
présentement d’une manière parfaite par cette dévotion et
consécration à Notre-Seigneur par sa sainte Mère? Je dis d’une
manière parfaite, parce qu’on se sert, pour se consacrer à
Jésus-Christ, du plus parfait de tous les moyens, qui est la
Très Sainte Vierge.
131. On ne peut pas objecter que cette dévotion soit nouvelle
ou indifférente: elle n’est pas nouvelle, puisque les
conciles, les Pères et plusieurs auteurs anciens et nouveaux
parlent de cette consécration à Notre-Seigneur ou rénovation
des voeux du saint baptême comme d’une chose anciennement
pratiquée, et qu’ils conseillent à tous les chrétiens; elle
n’est pas indifférente, puisque la principale source des
désordres, et par conséquent de la damnation des chrétiens,
vient de l’oubli et de l’indifférence pour cette pratique.
132. Quelques-uns peuvent dire que cette dévotion, nous
faisant donner à Notre-Seigneur, par les mains de la Très
Sainte Vierge, la valeur de toutes nos bonnes oeuvres, prières
et mortifications et aumônes, elle nous met dans l’impuissance
de secourir les âmes de nos parents, amis et bienfaiteurs.
Je leur répond, premièrement, qu’il n’est pas croyable
que nos amis, parents ou bienfaiteurs souffrent du dommage de
ce que nous nous sommes dévoués et consacrés sans réserve au
service de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère. Ce serait
faire injure à la puissance et à la bonté de Jésus et de
Marie, qui sauront bien assister nos parents, amis et
bienfaiteurs de notre petit revenu spirituel, ou par d’autres
voies.
Secondement, cette pratique n’empêche point qu’on ne prie
pour les autres, soit morts, soit vivants, quoique
l’application de nos bonnes oeuvres dépende de la volonté de
la Très Sainte Vierge; c’est au contraire ce qui nous portera
à prier avec plus de confiance; tout ainsi qu’une personne
riche qui aurait donné tout son bien à un grand prince, afin
de l’honorer davantage, prierait avec plus de confiance ce
prince de faire l’aumône à quelqu’un de ses amis qui la lui
demanderait. Ce serait même faire plaisir à ce prince que de
lui donner l’occasion de témoigner sa reconnaissance envers
une personne qui s’est dépouillée pour le revêtir, qui s’est
appauvrie pour l’honorer. Il faut dire la même chose de Notre-
Seigneur et de la Sainte Vierge: ils ne se laisseront jamais
vaincre en reconnaissance.
133. Quelqu’un dira peut-être: Si je donne à la Très Sainte
Vierge tout la valeur de mes actions pour l’appliquer à qui
elle voudra, il faudra peut-être que je souffre longtemps en
purgatoire.
Cette objection, qui vient de l’amour-propre et de
l’ignorance de la libéralité de Dieu et de sa sainte Mère, se
détruit d’elle-même. Une âme fervente et généreuse qui prise
plus les intérêts de Dieu que les siens, qui donne à Dieu tout
ce qu’elle a, sans réserve, en sorte qu’elle ne peut pas plus,
non plus ultra, qui ne respire que la gloire et le règne de
Jésus-Christ par sa sainte Mère, et qui se sacrifie tout
entière pour le gagner; cette âme généreuse, dis-je, et
libérale, sera-t-elle plus punie en l’autre monde pour avoir
été plus libérale et plus désintéressée que les autres? Tant
s’en faut: c’est à cette âme, comme nous verrons dans la
suite, que Notre-Seigneur et sa sainte Mère sont très libéraux
dans ce monde et dans l’autre, dans l’ordre de la nature, de
la grâce et de la gloire.
134. Il faut maintenant que nous voyions, le plus brièvement
que nous pourrons, les motifs qui nous doivent rendre cette
dévotion recommendable, les effets merveilleux qu’elle produit
dans les âmes fidèles, et les pratiques de cette dévotion.
LES MOTIFS QUI NOUS DOIVENT RENDRE CETTE DÉVOTION RECOMMANDABLE
[Cette dévotion nous livre entièrement au service de Dieu]
135. Premier motif, qui nous montre l’excellence de cette
consécration de soi-même à Jésus-Christ par les mains de
Marie.
Si on ne peut concevoir sur la terre d’emploi plus relevé
que le service de Dieu; si le moindre serviteur de Dieu est
plus riche, plus puissant et plus noble que tout les rois et
les empereurs de la terre, s’ils ne sont pas serviteurs de
Dieu, quelles sont les richesses, la puissance et la dignité
du fidèle et parfait serviteur de Dieu, qui sera dévoué à son
service, entièrement, sans réserve et autant qu’il le peut
être! Tel est un fidèle et amoureux esclave de Jésus en Marie,
qui s’est donné tout entier au service de ce Roi des rois, par
les mains de sa sainte Mère, et qui n’a rien réservé pour soi-
même: tout l’or de la terre et les beautés des cieux ne
peuvent pas le payer.
136. Les autres congrégations, associations et confréries
érigées en l’honneur de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère,
qui font de si grands biens dans le christianisme, ne font pas
donner tout sans réserve; elles ne prescrivent à leurs
associés que de certaines pratiques et actions pour satisfaire
à leur obligations; elles les laissent libres pour toutes les
autres actions et les autres temps de leur vie. Mais cette
dévotion ici fait donner sans réserve à Jésus et à Marie
toutes ses pensées, paroles, actions et souffrances, et tous
les temps de sa vie; en sorte que, soit qu’il veille ou qu’il
dorme, soit qu’il boive ou qu’il mange, soit qu’il fasse les
actions les plus grandes, soit qu’il fasse les plus petites,
il est toujours vrai de dire que ce qu’il fait, quoiqu’il n’y
pense pas, est à Jésus et à Marie en vertu de son offrande, à
moins qu’il ne l’ait expressément rétractée. Quelle
consolation!
137. De plus, comme j’ai déjà dit, il n’y a aucune autre
pratique que celle-ci par laquelle on se défasse facilement
d’une certaine propriété, qui se glisse imperceptiblement dans
les meilleures actions; et notre bon Jésus donne cette grande
grâce en récompense de l’action héroïque et désintéressée
qu’on a faite, en lui faisant, par les mains de sa sainte
Mère, une cession de toute la valeur de ses bonnes oeuvres.
S’il donne un centuple, même en ce monde, à ceux qui, pour son
amour, quittent les biens extérieurs, temporels et
périssables, quel sera le centuple qu’il donnera à celui qui
lui sacrifiera même ses biens intérieurs et spirituels!
138. Jésus, notre grand ami, s’est donné à nous sans réserve,
corps et âme, vertus, grâces et mérites: Se toto totum me
comparavit, dit saint Bernard: Il m’a gagné tout entier en se
donnant tout à moi; n’est-il pas de la justice et de la
reconnaissance que nous lui donnions tout ce que nous pouvons
lui donner? Il a été libéral envers nous le premier; soyons-le
les seconds, et nous l’éprouverons pendant notre vie, à notre
mort et dans toute l’éternité, encore plus libéral: Cum
liberali liberalis erit.
[Cette dévotion nous fait imiter l’exemple donné par Jésus-
Christ et par Dieu lui-même, et pratiquer l’humilité]
139. Second motif, qui nous montre qu’il est juste en soi-même
et avantageux au chrétien de se consacrer tout entier à la
Très Sainte Vierge par cette pratique, afin d’être plus
parfaitement à Jésus-Christ.
Ce bon Maître n’a pas dédaigné de se renfermer dans le
sein de la Sainte Vierge comme un captif et un esclave
amoureux, et de lui être soumis et obéissant pendant trente
années. C’est ici, je le répète, que l’esprit humain se perd,
lorsqu’il fait une sérieuse réflexion à cette conduite de la
Sagesse incarnée, qui n’a pas voulu, quoiqu’elle le pût faire,
se donner directement aux hommes, mais par la Très Sainte
Vierge; qui n’a pas voulu venir au monde à l’âge d’un homme
parfait, indépendant d’autrui, mais comme un pauvre et petit
enfant, dépendant des soins et de l’entretien de sa sainte
Mère. Cette Sagesse infinie, qui avait un désir immense de
glorifier Dieu son Père et de sauver les hommes, n’a point
trouvé de moyen plus parfait et plus court pour le faire que
de se soumettre en toutes choses à la Très Sainte Vierge, non
seulement pendant les huit, dix ou quinze années premières de
sa vie, comme les autres enfants, mais pendant trente ans; et
elle a plus donné de gloire à Dieu son Père, pendant tout ce
temps de soumission et de dépendance de la Très Sainte Vierge,
qu’elle ne lui en eût donné en employant ces trente ans à
faire des prodiges, à prêcher par toute la terre, à convertir
tous les hommes; si autrement, elle l’aurait fait. Oh! oh!
qu’on glorifie hautement Dieu en se soumettant à Marie, à
l’exemple de Jésus!
Ayant devant nos yeux un exemple si visible et si connu
de tout le monde, sommes-nous assez insensés pour croire
trouver un moyen plus parfait et plus court pour glorifier
Dieu que celui de se soumettre à Marie, à l’exemple de son
Fils?
140. Qu’on [se] rappelle ici, pour preuve de la dépendance que
nous devons avoir de la Très Sainte Vierge, ce que j’ai dit
ci-cessus, en rapportant les exemples que nous donnent le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans la dépendance que nous
devons avoir de la Très Sainte Vierge. Le Père n’a donné et ne
donne son Fils que par elle, ne se fait des enfants que par
elle, et ne communique ses grâces que par elle; Dieu le Fils
n’a été formé pour tout le monde et engendré que par elle dans
l’union au Saint-Esprit, et ne communique ses mérites et ses
vertus que par elle; le Saint-Esprit n’a formé Jésus-Christ
que par elle, ne forme les membres de son Corps mystique que
par elle, et ne dispense ses dons et faveurs que par elle.
Après tant et de si pressants exemples de la très Sainte
Trinité, pouvons-nous, sans un extrème aveuglement, nous
passer de Marie, et ne pas nous consacrer à elle, et dépendre
d’elle pour aller à Dieu et pour nous sacrifier à Dieu?
141. Voici quelques passsages latins des Pères, que j’ai
choisi pour prouver ce que je viens de dire:
Duo filii Mariae sunt, homo Deus et homo purus; unius
corporaliter; et alterius spiritualiter mater est Maria (Saint
Bonaventure et Origène).
Haec est voluntas Dei, qui totum nos voluit habere per
Mariam; ac proinde, si quid spei, si quid gratiae, si quid
salutis ab ea noverimus redundare (saint Bernard).
Omnia dona, virtutes et gratiae ipsius Spiritus Sancti,
quibus vult, quando vult, quomodo vult et quantum vult per
ipsius manus administrantur (saint Bernardin).
Qui indignus eras cui daretur, datum est Mariae, ut per
eam acciperes quidquid haberes (saint Bernard).
142. Dieu, voyant que nous sommes indignes de recevoir ses
grâces immédiatement de sa main, dit saint Bernard, il les
donne à Marie, afin que nous ayons par elle tout ce qu’il veut
nous donner: et il trouve aussi sa gloire à recevoir par les
mains de Marie la reconnaissance, le respect et l’amour que
nous lui devons pour ses bienfaits. Il est donc très juste que
nous imitions cette conduite de Dieu, afin, dit le même saint
Bernard, que la grâce retourne à son auteur par le même canal
qu’elle est venue: Ut eodem alveo ad largitorem gratia redeat
quo fluxit.
C’est ce qu’on fait par notre dévotion: on offre et
consacre tout ce qu’on est et tout ce qu’on possède à la Très
Sainte Vierge, afin que Notre-Seigneur reçoive par son
entremise la gloire et la reconnaissance qu’on lui doit. On se
reconnait indigne et incapable d’approcher de sa Majesté
infinie par soi-même: c’est pourquoi on se sert de
l’intercession de la Très Sainte Vierge.
143. De plus, c’est ici une pratique d’une grande humilité,
que Dieu aime par-dessus les autres vertus. Une âme qui
s’élève abaisse Dieu, une âme qui s’humilie élève Dieu. Dieu
résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles: si vous
vous abaissez, vous croyant indigne de paraître devant lui et
de vous approcher de lui, il descend, il s’abaisse pour venir
à vous, pour se plaire en vous, et pour vous élever malgré
vous; mais tout le contraire, quand on s’approche hardiment de
Dieu, sans médiateur, Dieu s’enfuit, on ne peut l’atteindre.
Oh! qu’il aime l’humilité du coeur! C’est à cette humilité
qu’engage cette pratique de dévotion, puisqu’elle apprend à
n’approcher jamais par soi-même de Notre-Seigneur, quelque
doux et miséricordieux qu’il soit, mais à se servir toujours
de l’intercession de la Sainte Vierge, soit pour paraître
devant Dieu, soit pour lui parler, soit pour l’approcher, soit
pour lui offrir quelque chose, soit pour s’unir et consacrer à
lui.
[Cette dévotion nous procure les bons offices de la Sainte
Vierge]
144. Troisième motif. – La Très Sainte Vierge, qui est une
mère de douceur et de miséricorde, et qui ne se laisse jamais
vaincre en amour et en libéralité, voyant qu’on se donne tout
entier à elle pour l’honorer et la servir, en se dépouillant
de ce qu’on a de plus cher pour l’en orner, se donne aussi
tout entière et d’une manière ineffable à celui qui lui donne
tout. Elle le fait s’engloutir dans l’abîme de ses grâces;
elle l’orne de ses mérites; elle l’appuie de sa puissance;
elle l’éclaire de sa lumière; elle l’embrase de son amour;
elle lui communique ses vertus: son humilité, sa foi, sa
pureté, etc.; elle se rend sa caution, son supplément et son
tout envers Jésus. Enfin, comme cette personne consacrée est
toute à Marie, Marie est aussi toute à elle; en sorte qu’on
peut dire de ce parfait serviteur et enfant de Marie ce que
saint Jean l’Evangéliste dit de lui-même, qu’il a pris la Très
Sainte Vierge pour tous ses biens: Accepit eam discipulus in
sua.
145. C’est ce qui produit dans son âme, s’il est fidèle, une
grande défiance, mépris et haine de soi-même, et une grande
confiance et un grand abandon à la Sainte Vierge, sa bonne
maîtresse. Il ne met plus, comme auparavant, son appui en ses
dispositions, intentions, mérites, vertus et bonnes oeuvres,
parce qu’en ayant fait un entier sacrifice à Jésus-Christ par
cette bonne Mère, il n’a plus qu’un trésor où sont tous ses
biens, et qui n’est plus chez lui, et ce trésor est Marie.
C’est ce qui le fait approcher de Notre-Seigneur sans
crainte servile ni scrupuleuse, et le prier avec beaucoup de
confiance; c’est ce qui le fait entrer dans les sentiments du
dévot et savant abbé Rupert, qui, faisant allusion à la
victoire que Jacob remporta sur un ange, dit à la Très Sainte
Vierge ces belles paroles: O Marie, ma Princesse, et Mère
inmaculée d’un Dieu-Homme, Jésus-Christ, je désire lutter avec
cet Homme, savoir le Verbe divin, armé non pas de mes propres
mérites, mais des vôtres: O Domina, Dei Genitrix, Maria, et
incorrupta Mater Dei et hominis, non meis, sed tuis armatus
meritis, cum isto Viro, scilicet Verbo Dei, luctari cupio.
(Rup. prolog. in Cantic.).
Oh! qu’on est puissant et fort auprès de Jésus-Christ
quand on est armé des mérites et de l’intercession d’une
digne Mère de Dieu, qui, comme dit saint Augustin, a
amoureusement vaincu le Tout-Puisant!
146. Comme, par cette pratique, on donne à Notre-Seigneur, par
les mains de sa sainte Mère, toutes ses bonnes oeuvres, cette
bonne Maîtresse les purifie, les embellit et les fait accepter
de son Fils.
1 Elle les purifie de toute la souillure de l’amour-
propre et de l’attache imperceptible à la créature qui se
glisse insensiblement dans les meilleures actions. Dès lors
qu’elles sont entre ses mains très pures et fécondes, ces
mêmes mains, qui n’ont jamais été stériles ni oiseuses, et qui
purifient tout ce qu’elles touchent, ôtent du présent qu’on
lui fait tout ce qui peut y avoir de gâté ou imparfait.
147. 2 Elle les embellit, en les ornant de ses mérites et
vertus. Comme si un paysan, voulant gagner l’amitié et la
bienveillance du roi, allait à la reine et lui présentait une
pomme, qui est tout son revenu, afin que la reine la présentât
au roi. La reine, ayant accepté le pauvre petit présent du
paysan, mettrait cette pomme au milieu d’un grand et beau plat
d’or, et la présenterait ainsi au roi de la part du paysan;
pour lors, la pomme, quoique indigne en elle-même d’être
présentée à un roi, deviendrait un présent digne de sa
Majesté, eu égard au plat d’or où elle est et à la personne
qui la présente.
148. 3 Elle présente ces bonnes oeuvres à Jésus-Christ; car
elle ne garde rien de ce qu’on lui présente, pour soi, en
dernière fin; elle renvoie tout à Jésus-Christ fidèlement. Si
on lui donne, on donne nécessairement à Jésus; si on la loue
et on la glorifie, aussitôt elle loue et glorifie Jésus.
Maintenant, comme autrefois lorsque sainte Elisabeth la loua,
elle chante, quand on la loue et la bénit: Magnificat anima
mea Dominum.
149. 4 Elle fait accepter de Jésus ces bonnes oeuvres,
quelque petit et pauvre que soit le présent pour ce Saint des
saints et ce Roi des rois. Quand on présente quelque chose à
Jésus, par soi-même et appuyé sur sa propre industrie et
disposition, Jésus examine le présent, et souvent il le
rejette à cause de la souillure qu’il contracte par l’amour-
propre; comme autrefois il rejeta les sacrifices des Juifs
tout pleins de leur propre volonté. Mais quand on lui présente
quelque chose par les mains pures et virginales de sa bien-
aimée, on le prend par son faible, s’il m’est permis d’user de
ce terme: il ne considère pas tant la chose qu’on lui donne
que sa bonne Mère qui la présente; il ne regarde pas tant d’où
vient ce présent que celle par qui il vient. Ainsi Marie, qui
n’est jamais rebutée, et toujours bien reçue de son Fils, fait
recevoir agréablement de sa Majesté tout ce qu’elle lui
présente, petit ou grand; il suffit que Marie le présente pour
que Jésus le reçoive et l’agrée. C’est le grand conseil que
donnait saint Bernard à ceux et celles qu’il conduisait à la
perfection. Quand vous voudrez offrir quelque chose à Dieu,
ayez soin de l’offrir par les mains très agréables et très
dignes de Marie, à moins que vous ne vouliez être rejeté:
Modicum quod offere desideras, manibus Mariae offerendum
tradere cura, si non vis sustinere repulsam (Saint Bernard,
Lib. de Aquaed.).
150. N’est-ce pas ce que la nature même inspire aux petits à
l’égard des grands, comme nous avons vu? Pourquoi la grâce ne
nous portera-t-elle pas à faire la même chose à l’égard de
Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus de nous, et devant
lequel nous sommes moins que des atomes; ayant d’ailleurs une
avocate si puissante qu’elle n’est jamais refusée; si
industrieuse qu’elle sait tous les secrets de gagner le coeur
de Dieu; si bonne et charitable qu’elle ne rebute personne
quelque petit et méchant qu’il soit.
Je rapporterai ci-après la figure véritable des vérités
que je dis, dans l’histoire de Jacob et Rébecca.
[Cette dévotion est un excellent moyen de procurer la plus
grande gloire de Dieu]
151. Quatrième motif. – Cette dévotion fidèlement pratiquée
est un excellent moyen pour faire en sorte que la valeur de
toutes nos bonnes oeuvres soit employée à la plus grande
gloire de Dieu. Presque personne n’agit pour cette noble fin,
quoiqu’on y soit obligé, soit parce qu’on ne connait pas où
est la plus grande gloire de Dieu, soit parce qu’on ne la veut
pas. Mais la Très Sainte Vierge, à qui on cède la valeur et le
mérite de ses bonnes oeuvres, connaissant très parfaitement où
est la plus grande gloire de Dieu, et ne faisant rien que pour
la plus grande gloire de Dieu, un parfait serviteur de cette
bonne Maitresse, qui s’est tout consacré à elle, comme nous
avons dit, peut dire hardiment que la valeur de toutes ses
actions, pensées et paroles, est employé à la plus grande
gloire de Dieu, à moins qu’il ne révoque expressément son
offrande. Peut-on trouver rien de plus consolant pour une âme
qui aime Dieu d’un amour pur et sans intérêt, et qui prise
plus la gloire de Dieu et ses intérêts que les siens?
[Cette dévotion est un chemin pour arriver à l’union avec Notre-Seigneur]
152. Cinquième motif. – Cette dévotion est un chemin aisé,
court, parfait et assuré pour arriver à l’union avec Notre-
Seigneur, où consiste la perfection du chrétien.
[Cette dévotion est un chemin aisé]
1 C’est un chemin aisé; c’est un chemin que Jésus-Christ
a frayé en venant à nous, et où il n’y a aucun obstacle pour
arriver à lui. On peut, à la vérité, arriver à l’union divine
par d’autres chemins; mais ce sera par beaucoup plus de croix,
de morts étranges et avec beaucoup plus de difficultés, que
nous ne vaincrons que difficilement. Il faudra passer par des
nuits obscures, par des combats et des agonies étranges, par
sur des montagnes escarpées, par sur des épines très piquantes
et des déserts affreux. Mais par le chemin de Marie, on passe
plus doucement et plus tranquillement.
On y trouve, à la vérité, de grands combats à donner et
de grandes difficultés à vaincre; mais cette bonne Mère et
Maîtresse se rend si proche et si présente à ses fidèles
serviteurs, pour les éclairer dans leurs ténèbres, pour les
éclaircir dans leurs doutes, pour les affermir dans leurs
craintes, pour les soutenir dans leurs combats et leurs
difficultés, qu’en vérité ce chemin virginal pour trouver
Jésus-Christ est un chemin de roses et de miel, à vu les
autres chemins. Il y a eu quelques saints, mais en petit
nombre, comme un saint Ephrem, saint Jean Damascènne, saint
Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure, saint François de
Sales, etc., qui ont passé par ce chemin doux pour aller à
Jésus-Christ, parce que le Saint-Esprit, Epoux fidèle de
Marie, le leur a montré par une grâce singulière; mais les
autres saints, qui sont en plus grand nombre, quoiqu’ils aient
tous eu de la dévotion à la Très Sainte Vierge, n’ont pas
pourtant, ou très peu, entré en cette voie. C’est pourquoi ils
ont passé par des épreuves plus rudes et plus dangereuses.
153. D’où vient donc, me dira quelque fidèle serviteur de
Marie, que les serviteurs fidèles de cette bonne Mère ont tant
d’occasions de souffrir, et plus que les autres qui ne lui
sont pas si dévots? On les contredit, on les persécute, on les
calomnie, on ne les peut souffrir; ou bien ils marchent dans
les ténèbres intérieures et des déserts où il n’y a pas la
moindre goutte de rosée du ciel. Si cette dévotion à la Sainte
Vierge rend le chemin pour trouver Jésus-Christ plus aisé,
d’où vient qu’ils sont les plus crucifiés?
154. Je lui réponds qu’il est bien vrai que les plus fidèles
serviteurs de la Sainte Vierge, étant ses plus grands favoris,
reçoivent d’elle les plus grandes grâces et faveurs du ciel,
qui sont les croix; mais je soutiens que ce sont aussi ces
serviteurs de Marie qui portent ces croix avec plus de
facilité, de mérite et de gloire; et que ce qui arrêteriat
mille fois un autre ou le ferait tomber, ne les arrête pas une
fois et les fait avancer, parce que cette bonne Mère, toute
pleine de grâce et de l’onction du Saint-Esprit, confit toutes
ces croix qu’elle leur taille dans le sucre de sa douceur
maternelle et dans l’onction du pur amour: en sorte qu’ils les
avalent joyeusement comme des noix confites, quoiqu’elles
soient d’elles-mêmes très amères. Et je crois qu’une personne
qui veut être dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et
par conséquent souffir persécution et porter tous les jours sa
croix, ne portera jamais de grandes croix, ou ne les portera
pas joyeusement ni jusqu’à la fin sans une tendre dévotion à
la Sainte Vierge, qui est la confiture des croix: tout de même
qu’une personne ne pourra pas manger sans une grande violence,
qui ne sera pas durable, des noix vertes sans être confites
dans le sucre.
[Cette dévotion est un chemin court]
155. 2 Cette dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin
court pour trouver Jésus-Christ, soit parce qu’on ne s’y égare
point, soit parce que, comme je viens de dire, on y marche
avec plus de joie et de facilité, et, par conséquent, avec
plus de promptitude. On avance plus, en peu de temps de
soumission et de dépendance de Marie, que dans des années
entières de propre volonté et d’appui sur soi-mêne; car un
homme obésissant et soumis à la divine Marie chantera des
victoires signalées sur tous ses ennemis. Ils voudront
l’empêcher de marcher, ou le faire reculer, ou le faire
tomber, il est vrai; mais, avec l’appui, l’aide et la conduite
de Marie, sans tomber, sans reculer et même sans se retarder,
il avancera à pas de géant vers Jésus-Christ, par le même
chemin par lequel il est écrit que Jésus-Christ est venu vers
nous à pas de géant et en peu de temps.
156. Pourquoi pensez-vous que Jésus-Christ a si peu vécu sur
la terre, et qu’en le peu d’années qu’il y a vécu, il a passé
presque toute sa vie dans la soumission et l’obéissance à sa
Mère? Ah! c’est qu’ayant été consommé en peu il a vécu
longtemps et plus longtremps qu’Adam, dont il était venu
réparer les pertes, quoiqu’il ait vécu plus de neuf cents ans;
et Jésus-Christ a vécu longtemps, parce qu’il y a vécu soumis
et bien uni avec sa sainte Mère pour obéir à Dieu son Père;
car: 1 celui qui honore sa mère ressemble à un homme qui
thésaurise, dit le Saint-Esprit, c’est-à-dire que celui qui
honore Marie sa Mère jusqu’à se soumettre à elle, et lui obéir
en toutes choses, deviendra bientôt bien riche, parce qu’il
amasse tous les jours des trésors par le secret de cette
pierre philosophale: Qui honorat matrem, quasi qui
thesaurizat; 2 parce que, selon une interprétation
spirituelle de cette parole du Saint-Esprit: Senectus mea in
misericordia uberi: Ma vieillesse se trouve dans la
miséricorde du sein, c’est dans le sein de Marie, qui a
entouré et engendré un homme parfait et qui a eu la capacité
de contenir Celui que tout l’univers ne comprend ni ne
contient pas, c’est dans le sein de Marie, dis-je, que les
jeunes gens deviennent des vieillards en lumière, en sainteté,
en expérience et en sagesse, et qu’on parvient en peu d’années
jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion est un chemin parfait]
157. 3 Cette pratique de dévotion à la Très Sainte Vierge est
un chemin parfait pour aller et s’unir à Jésus-Christ, puisque
la divine Marie est la plus parfaite et la plus sainte des
pures créatures, et que Jésus-Christ, qui est parfaitement
venu à nous n’a point pris d’autre route de son grand et
admirable voyage. Le Très-Haut, l’Incompréhensible,
l’Inaccessible, Celui qui Est, a voulu venir à nous, petits
vers de terre, qui ne sommes rien. Comment cela s’est-il fait?
Le Très-Haut a descendu parfaitement et divinement par
l’humble Marie jusqu’à nous, sans rien perdre de sa divinité
et sainteté; et c’est par Marie que les très petits doivent
monter parfaitement et divinement au Très-Haut sans rien
appréhender.
L’Incompréhensible s’est laissé comprendre et contenir
parfaitement par la petite Marie, sans rien perdre de son
immensité; c’est aussi par la petite Marie que nous devons
nous laisser contenir et conduire parfaitement sans aucune
réserve.
L’Inaccessible s’est approché, s’est uni étroitement,
parfaitement et même personnellement à notre humanité par
Marie, sans rien perdre de sa Majesté; c’est aussi par Marie
que nous devons approcher de Dieu et nous unir à sa Majesté
parfaitement et étroitement, sans craindre d’être rebutés.
Enfin, Celui qui Est a voulu venir à ce qui n’est pas, et
faire que ce qui n’est pas devienne Dieu ou Celui qui Est; il
l’a fait parfaitement en se donnant et se soumettant
entièrement à la jeune Vierge Marie, sans cesser d’être dans
le temps Celui qui Est de toute Eternité: de même, c’est par
Marie que, quoique nous ne soyons rien, nous pouvons devenir
semblables à Dieu par la grâce et la gloire, en nous donnant à
elle si parfaitement et entièrement, que nous ne soyons rien
en nous-mêmes et tout en elle, sans craindre de nous tromper.
158. Qu’on me fasse un chemin nouveau pour aller à Jésus-
Christ, et que ce chemin soit pavé de tous les mérites des
bienheureux, orné de toutes leurs vertus héroïques, éclairé et
embelli de toutes les lumières et beautés des anges, et que
tous les anges et les saints y soient pour y conduire,
défendre et soutenir ceux et celles qui y voudront marcher; en
vérité, en vérité, je dis hardiment, et je dis la vérité, que
je prendrais préférablement à ce chemin, qui serait si
parfait, la voie immaculée de Marie: Posui immaculatam viam,
voie ou chemin sans aucune tache ni souillure, sans péché
originel ni actuel, sans ombres ni ténèbres; et si mon aimable
Jésus, dans la gloire, vient une seconde fois sur la terre
(comme il est certain) pour y régner, il ne choisira point
d’autre voie de son voyage que la divine Marie, par laquelle
il est si sûrement et parfaitement venu la première. La
différence qu’il y aura entre sa première et dernière venue,
c’est que la première a été secrète et cachée, la seconde sera
glorieuse et éclatante; mais toutes deux parfaites, parce que
toutes deux seront par Marie. Hélas! voici un mystère qu’on ne
comprend pas: Hic taceat omnis lingua.
[Cette dévotion est un chemin assuré]
159. 4 Cette dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin
assuré pour aller à Jésus-Christ et acquérir la perfection en
nous unissant à lui:
1 Parce que cette pratique que j’enseigne n’est pas
nouvelle; elle est si ancienne qu’on ne peut, comme dit Mr.
Boudon, mort depuis peu en odeur de sainteté, dans un livre
qu’il a fait de cette dévotion, en marquer précisément les
commencements; il est cependant certain que, depuis plus de
sept cents ans, on en trouve des marques dans l’Église.
Saint Odilon, abbé de Cluny, qui vivait environ l’an
1040, a été un des premiers qui l’a pratiquée publiquement en
France, comme il est marqué dans sa vie.
Le cardinal Pierre Damien rapporte que, l’an 1076, le
bienheureux Marin, son frère, se fit esclave de la Très Sainte
Vierge, en présence de son directeur, d’une manière bien
édifiante: car il se mit la corde au col, et prit la
discipline, et mit sur l ‘autel une somme d’argent pour
marquer son dévouement et consécration à la Sainte Vierge, ce
qu’il continua si fidèlement toute sa vie qu’il mérita à sa
mort d’être visité et consolé par sa bonne Maîtresse, et de
recevoir de sa bouche les promesses du paradis pour récompense
de ses services.
Cesarius Bollandus fait mention d’un illustre chevalier,
Vautier de Birbak, proche parent des ducs de Louvain, qui,
environ l’an 1300, fit cette consécration de soi-même à la
Sainte Vierge.
Cette dévotion a été pratiquée par plusieurs particuliers
jusqu’au XVII siècle, où elle est devenue publique.
160. Le P. Simon de Rojas, de l’Ordre de la Trinité, dit de la
rédemption des captifs, prédicateur du roi Philippe III, mit
en vogue cette dévotion par toute l’Espagne et l’Allemagne; et
obtint, à l’instance de Philippe III, de Grégoire XV, de
grandes indulgences à ceux qui la pratiqueraient.
Le R.P. de Los Rios, de l’Ordre de Saint-Augustin,
s’appliqua avec son intime ami, le Père de Rojas, à étendre
cette dévotion par ses paroles et ses écrits dans l’Espagne et
l’Allemagne; il composa un gros volume intitulé: Hierarchia
Mariana, dans lequel il traite, avec autant de piété que
d’érudition, de l’antiquité, de l’excellence et de la solidité
de cette dévotion.
Les R. Pères Théatins, au siècle dernier, établirent
cette dévotion dans l’Italie, la Sicile et la Savoie.
161. Le R. Père Stanislas Phalacius, de la Compagnie de Jésus,
avança merveilleusement cette dévotion en Pologne.
Le Père de Los Rios, dans son livre cité ci-dessus,
rapporte les noms des princes, princesses, évêques et
cardinaux de différents royaumes qui ont embrassé cette
dévotion.
Le R. Père Cornelius a Lapide, aussi recommendable pour
sa piété que pour sa science profonde, ayant reçu commission
de plusieurs évêques et théologiens d’examiner cette dévotion,
après l’avoir examinée mûrement, lui donna des louanges dignes
de sa piété, et plusieurs autres grands personnages suivirent
son exemple.
Les R.Pères Jésuites, toujours zélés au service de la
Très Sainte Vierge, présentèrent au nom des congréganistes de
Cologne, un petit traité de cette dévotion au duc Ferdinand de
Bavière, pour lors archevêque de Cologne, qui lui donna son
approbation et la permission de le faire imprimer, exhortant
tous les curés et religieux de son diocèse d’avancer autant
qu’ils pourraient cette solide dévotion.
162. Le cardinal de Bérulle, dont la mémoire est en
bénédiction par toute la France, fut un des plus zélés à
étendre en France cette dévotion, malgré toutes les calomnies
et persécutions que lui firent les critiques et les libertins.
Ils l’accusèrent de nouveauté et de superstition; ils
écrivirent et publièrent contre lui un écrit diffamatoire, et
ils se servirent, ou plutôt le démon par leur ministère, de
mille ruses pour l’empêcher d’étendre cette dévotion en
France. Mais ce grand et saint homme ne répondit à leur
calomnie que par sa patience, et à leurs objections contenues
dans leur libelle par un petit écrit où il les réfute
puissamment, en leur montrant que cette dévotion est fondée
sur l’exemple de Jésus-Christ, sur les obligations que nous
lui avons, et sur les voeux que nous avons faits au saint
baptême; et c’est particulièrement par cette dernière raison
qu’il ferme la bouche à ses adversaires, leur faisant voir que
cette cnsécration à la Très Sainte Vierge, et à Jésus-Christ
par ses mains, n’est autre qu’une parfaite rénovation des
voeux ou promesses du baptême. Il dit plusieurs belles choses
sur cette pratique, qu’on peut lire en ses ouvrages.
163. On peut lire dans le livre de Mr. Boudon les différents
papes qui ont approuvé cette dévotion, les théologiens qui
l’ont examinée, et les persécutions qu’elle a eues et
vaincues, et les milliers de personnes qui l’ont embrassée,
sans que jamais aucun pape l’ait condamnée; et on ne le
pourrait pas faire sans renverser les fondements du
christianisme.
Il reste donc constant que cette dévotion n’est point
nouvelle, et que si elle n’est pas commune, c’est qu’elle est
trop précieuse pour être goûtée et pratiquée de tout le monde.
164. 2 Cette dévotion est un moyen assuré pour aller à Jésus-
Christ, parce que le propre de la Sainte Vierge est de nous
conduire sûrement à Jésus-Christ, comme le propre de Jésus-
Christ est de nous conduire sûrement au Père éternel. Et que
les spirituels ne croient pas faussement que Marie leur soit
un empêchement pour arriver à l’union divine. Car, serait-il
possible que celle qui a trouvé grâce devant Dieu pour tout le
monde en général et pour chacun en particulier, fût un
empêchement à une âme pour trouver la grande grâce de l’union
avec lui? Serait-il possible que celle qui a été toute pleine
et surabondante de grâces, si unie et transformée en Dieu,
qu’il a fallu qu’il se soit incarné en elle, empêchât qu’une
âme ne fût parfaitement unie à Dieu?
Il est bien vrai que la vue des autres créatures, quoique
saintes, pourrait peut-être, en de certains temps, retarder
l’union divine; mais non pas Marie comme j’ai dit et dirai
toujours sans me lasser. Une raison pourquoi si peu d’âmes
arrivent à la plenitude de l’âge de Jésus-Christ, c’est que
Marie, qui est, autant que jamais, la Mère de Jésus-Christ et
l’Epouse féconde du Saint-Esprit, n’est pas assez formée dans
leurs coeurs. Qui veut avoir le fruit bien mûr et bien formé
doit avoir l’arbre qui le produit; qui veut avoir le fruit de
vie, Jésus-Christ, doit avoir l’arbre de vie, qui est Marie.
Qui veut avoir en soi l’opération du Saint-Esprit, doit avoir
son Epouse fidèle et indissoluble, la divine Marie, qui le
rend fertile et fécond, comme nous avons dit ailleurs.
165. Soyez donc persuadé que plus vous regarderez Marie en vos
oraisons, contemplations, actions et souffrances, sinon d’une
vue distincte et aperçue, du moins d’une vue générale et
imperceptible, et plus parfaitement vous trouverez Jésus-
Christ qui est toujours avec Marie, grand, puissant, opérant
et incompréhensible, et plus que dans le ciel et en aucune
créature de l’univers. Ainsi, bien loin que la divine Marie,
toute perdue en Dieu, devienne un obstacle aux parfaits pour
arriver à l’union avec Dieu, il n’y a point eu jusqu’ici et il
n’y aura jamais de créature qui nous aidera plus efficacement
à ce grand ouvrage, soit par les grâces qu’elle nous
communiquera à cet effet, personne n’étant rempli de la pensée
de Dieu que par elle, dit un saint: Nemo cogitatione Dei
repletur nisi per te; soit par les illusions et tromperies du
malin esprit dont elle vous garantira.
166. Là où est Marie, là l’esprit malin n’est point; et une
des plus infaillibles marques qu’on est conduit par le bon
esprit, c’est quand on est bien dévot à Marie, qu’on pense
souvent à elle, et qu’on en parle souvent. C’est la pensée
d’un saint qui ajoute que, comme la respiration est une marque
certaine que le corps n’est pas mort, la fréquente pensée et
invocation amoureuse de Marie est une marque certaine que
l’âme n’est pas morte par le péché.
167. Comme c’est Marie seule, dit l’Église et le Saint-Esprit
qui la conduit, qui a seule fait périr toutes les hérésies:
Sola cunctas haereses interemisti in universo mundo; quoique
les critiques en grondent, jamais un fidèle dévot de Marie ne
tombera dans l’hérésie ou illusion du moins formelle; il
pourra bien errer matériellement, prendre le mensonge pour la
vérité, et le malin esprit pur le bon, quoique plus
difficilement qu’un autre; mais il connaîtra tôt ou tard sa
faute et son erreur matérielle; et quand il la connaîtra, il
ne s’opiniâtrera en aucune manière à croire et à soutenir ce
qu’il avait cru véritable.
168. Quiconque donc, sans crainte d’illusion, qui est
ordinaire aux personnes d’oraison, veut avancer dans la voie
de la perfection et trouver sûrement et parfaitement Jésus-
Christ, qu’il embrasse avec grand coeur, corde magno et animo
volenti, cette dévotion à la Très Sainte Vierge, qu’il n’avait
peut-être pas encore connue. Qu’il entre dans le chemin
excellent qui lui était inconnu et que je lui montre:
Excellentiorem viam vobis demonstro.
C’est un chemin frayé par Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée, notre unique chef, le membre en y passant ne peut se
tromper. C’est un chemin aisé, à cause de la plénitude de la
grâce et de l’onction du Saint-Esprit qui le remplit; on ne se
lasse point ni on ne recule point en y marchant. C’est un
chemin court, qui, en peu de temps, nous mène à Jésus-Christ.
C’est un chemin parfait, où il n’y a aucune boue, aucune
poussière, ni la moindre ordure du péché. C’est enfin un
chemin assuré, qui nous conduit à Jésus-Christ et à la vie
éternelle d’une manière droite et assurée, sans détourner à
droite, ni à gauche.
Entrons donc dans ce chemin, et marchons-y jour et nuit,
jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion donne une grande liberté intérieure]
169. Sixième motif. – Cette pratique de dévotion donne une
grande liberté intérieure, qui est la liberté des enfants de
Dieu, aux personnes qui la pratiquent fidèlement. Car, comme
par cette dévotion on se rend esclave de Jésus-Christ, en se
consacrant tout à lui en cette qualité, ce bon Maître, pour
récompense de la captivité amoureuse où on se met: 1 ôte tout
scrupule et crainte servile de l’âme qui n’est capable que de
l’étrécir et captiver et embrouiller; 2 il élargit le coeur
par une sainte confiance en Dieu, le faisant regarder comme
son père; 3 il lui inspire un amour tendre et filial.
170. Sans m’arrêter à prouver cette vérité par des raisons, je
me contente de rapporter un trait d’histoire que j’ai lu dans
la Vie de la Mère Agnès de Jésus, religieuse Jacobine, du
couvent de Langeac, en Auvergne, et qui mourut en odeur de
sainteté au même lieu, l’an 1634. N’ayant encore que sept ans
et souffrant de grandes peines d’esprit, elle entendit une
voix qui lui dit que, si elle voulait être délivrée de toutes
ses peines et protégée contre tous ses ennemis, elle se fît au
plus tôt l’esclave de Jésus et de sa sainte Mère. Elle ne fut
pas plus tôt de retour à la maison qu’elle se donna tout
entière à Jésus et à sa sainte Mère en cette qualité,
quoiqu’elle ne sût pas auparavant ce que c’était que cette
dévotion; et, ayant trouvé une chaine de fer, elle se la mit
sur ses reins et la porta jusqu’à la mort. Et après cette
action, toutes ses peines et scrupules cessèrent, et elle se
trouva dans une grande paix et dilatation de coeur, ce qui
l’engagea à enseigner cette dévotion à plusieurs autres qui y
ont fait de grands progrès, entre autres à Mr. Olier,
instituteur du Séminaire de Saint-Sulpice, et à plusieurs
prêtres et ecclésiastiques du même séminaire… Un jour, la
Sainte Vierge lui apparut et lui mit au col une chaîne d’or
pour lui témoigner la joie qu’elle avait qu’elle se fût faite
l’esclave de son Fils et la sienne: et sainte Cécile, qui
accompagnait la Sainte Vierge, lui dit: Heureux ceux qui sont
les fidèles esclaves de la Reine du ciel, car il jouiront de
la véritable liberté: Tibi servire libertas.
[Cette dévotion procure de grands biens au prochain]
171. Septième motif. – Ce qui peut encore nous engager à
embrasser cette pratique, ce sont les grands biens qu’en
recevra notre prochain, car par cette pratique on exerce
envers lui la charité d’une manière éminente, puisqu’on lui
donne, par les mains de Marie, tout ce qu’on a de plus cher,
qui est la valeur satisfactoire et impétratoire de toutes ses
bonnes oeuvres, sans excepter la moindre bonne pensée et la
moindre petite souffrance; on consent que tout ce qu’on a
acquis, et ce qu’on acquerra, jusqu’à la mort, de
satisfactions soit, selon la volonté de la Sainte Vierge,
employé ou à la conversion des pécheurs ou à la délivrance des
âmes du purgatoire.
N’est-ce pas là aimer son prochain parfaitement? N’est-ce
pas là être le véritable disciple de Jésus-Christ, qu’on
reconnait par la charité? N’est-ce pas là le moyen de
convertir les pécheurs, sans crainte de la vanité, et de
délivrer les âmes du purgatoire, sans presque faire rien autre
que ce que chacun est obligé de faire dans son état?
172. Pour connaître l’excellence de ce motif, il faudrait
connaître quel bien c’est que de convertir un pécheur ou
délivrer une âme du purgatoire: bien infini, qui est plus
grand que de créer le ciel et la terre, puisqu’on donne à une
âme la possession de Dieu. Quand, par cette pratique, on ne
délivrerait qu’une âme du purgatoire en toute sa vie, ou qu’on
ne convertirait qu’un pécheur, n’en serait-ce pas assez pour
engager tout homme vraiment charitable à l’embrasser?
Mais il faut remarquer que nos bonnes oeuvres, passant
par les mains de Marie, reçoivent une augmentation de pureté,
et par conséquent de mérite et de valeur satisfactoire et
impétratoire: c’est pourquoi elles deviennent beaucoup plus
capables de soulager les âmes du purgatoire et de convertir
les pécheurs que si elles ne passaient pas par les mains
virginales et libérales de Marie. Le peu qu’on donne par la
Sainte vierge, sans propre volonté, en vérité devient bien
puissant pour fléchir la colère de Dieu et pour attirer sa
miséricorde; et il se trouvera peut-être à la mort qu’une
personne bien fidèle à cette pratique aura, par ce moyen,
délivré plusieurs âmes du purgatoire et converti plusieurs
pécheurs, quoiqu’elle n’ait fait que des actions de son état
assez ordinaires. Quelle joie à son jugement! Quelle gloire
dans l’éternité!
[Cette dévotion est un moyen admirable de persévérance]
173. Huitième motif. – Enfin, ce qui nous engage plus
puissamment, en quelque manière, à cette dévotion à la Très
Sainte Vierge, c’est que c’est un moyen admirable pour
persévérer dans la vertu et être fidèle. Car d’où vient est-ce
que la plupart des conversions des pécheurs ne sont pas
durables? D’où vient est-ce qu’on retombe si aisément dans le
péché? D’où vient est-ce que la plupart des justes, au lieu
d’avancer de vertu en vertu et acquérir de nouvelles grâces,
perdent souvent le peu de vertus et de grâces qu’ils ont? Ce
malheur vient, comme j’ai montré ci-devant, de ce que l’homme,
étant si corrompu, si faible et si inconstant, se fie à lui-
même, s’appuie sur ses propres forces et se croit capable de
garder le trésor de ses grâces, de ses vertus et mérites.
Par cette dévotion, on confie à la Sainte Vierge, qui est
fidèle, tout ce qu’on possède; on la prend pour la dépositaire
universelle de tous ses biens de nature et de grâce. C’est à
sa fidélité que l’on se fie; c’est sur sa puissance que l’on
s’appuie, c’est sur sa miséricorde et sa charité que l’on se
fonde, afin qu’elle conserve et augmente nos vertus et
mérites, malgré le diable, le monde et la chair, qui font
leurs efforts pour nous les enlever. On lui dit, comme un bon
enfant à sa mère, et un fidèle serviteur à sa maîtresse:
Depositum custodi: Ma bonne Mère et Maîtresse, je reconnais
que j’ai jusqu’ici plus reçu de grâces de Dieu par votre
intercession que je ne mérite, et que ma funeste expérience
m’apprend que je porte ce trésor en un vaisseau très fragile
et que je suis trop faible et trop misérable pour les
conserver en moi-même: adolescentulus sum ego et contemptus;
de grâce, recevez en dépôt tout ce que je possède, et me le
conservez par votre fidélité et votre puissance. Si vous me
gardez, je ne perdrai rien; si vous me soutenez, je ne
tomberai point; si vous me protégez, je suis à couvert de mes
ennemis.
174. C’est ce que dit saint Bernard en termes formels, pour
nous inspirer cette pratique: Lorsqu’elle vous soutient, vous
ne tombez point; lorsqu’elle vous protège, vous ne craignez
point; lorsqu’elle vous conduit, vous ne vous fatiguez point;
lorsqu’elle vous est favorable, vous arrivez au port du salut:
Ipsa tenente, non corruis; ipsa protegente, non metuis; ipsa
duce, non fatigaris; ipsa propitia, pervenis (Serm. super
Missus). Saint Bonaventure semble encore dire la même chose en
des termes plus formels: La Sainte Vierge, dit-il, n’est pas
seulement retenue dans la plénitude des saints; mais elle
retient encore et garde les saints dans leur plénitude, afin
qu’elle ne diminue point; elle empêche que leurs vertus ne se
perdent, que leurs mérites ne périssent, que leurs grâces ne
se perdent,que les démons ne leur nuisent; enfin, elle empêche
que Notre-Seigneur ne les châtie quand ils pêchent: Virgo non
solum in plenitudine sanctorum detinetur, sed etiam in
plenitudine sanctos detinet, ne plenitudo minuatur; detinet
merita ne pereant; detinet gratias ne effluant; detinet
daemones ne noceant; detinet Filium ne peccatores percutiat.
175. La Très Sainte Vierge est la Vierge fidèle qui, par sa
fidélité à Dieu, répare les pertes qu’a faites Eve l’infidèle
par son infidélité, et qui obtient la fidélité à Dieu et la
persévérance à ceux et celles qui s’attachent à elle. C’est
pourquoi un saint la compare à une ancre ferme, qui les
retient et les empêche de faire naufrage dans la mer agitée de
ce monde où tant de personnes périssent faute de s’attacher à
cette ancre ferme: Nous attachons, dit-il, les âmes à votre
espérance comme à une ancre ferme: Animas ad spem tuam sicut
ad firmam anchoram alligamus. C’est à elle que les saints qui
se sont sauvés se sont le plus attachés et ont attaché les
autres, afin de persévérer dans la vertu. Heureux donc et
mille fois heureux les chrétiens qui, maintenant, s’attachent
fidèlement et entièrement à elle comme à une ancre ferme. Les
effets de l’orage de ce monde ne les feront point submerger,
ni perdre leurs trésors célestes. Heureux ceux et celles qui
entrent dans elle comme dans l’arche de Noé! Les eaux du
déluge de péchés, qui noient tant de monde, ne leur nuiront
point, car: Qui operantur in me non peccabunt: Ceux qui sont
en moi pour travailler à leur salut ne pécheront point, dit-
elle avec la Sagesse. Heureux les enfants infidèles de la
malheureuse Eve qui s’attachent à la Mère et Vierge fidèle,
qui demeure toujours fidèle et ne se dément jamais: Fidelis
permanet, se ipsam negare non potest, et qui aime toujours
ceux qui l’aiment: Ego diligentes me diligo, non seulement
d’un amour affectif, mais d’un amour effectif et efficace, en
les empêchant, par une grande abondance de grâces, de reculer
dans la vertu ou de tomber dans le chemin en perdant la grâce
de son Fils.
176. Cette bonne Mère reçoit toujours, par pure charité, tout
ce qu’on lui donne en dépôt; et, quand elle l’a une fois reçu
en qualité de dépositaire, elle est obligée par justice, en
vertu du contrat de dépôt, de nous le garder; tout comme une
personne à qui j’aurais confié mille écus en dépôt serait
obligée de me les garder, en sorte que si, par sa négligence,
mes mille écus venaient à être perdus, elle en serait
responsable en bonne justice. Mais non, jamais la fidèle Marie
ne laissera perdre par sa négligence ce qu’on lui aura confié:
le ciel et la terre passeraient plutôt qu’elle fût négligente
et infidèle envers ceux qui se fient en elle.
177. Pauvres enfants de Marie, votre faiblesse est extrème,
votre inconstance est grande, votre fond est bien gâté. Je
l’avoue, vous êtes tirés de la même masse corrompue des
enfants d’Adam et d’Eve; mais ne vous découragez pas pour
cela; mais consolez-vous; mais réjouissez-vous: voici le
secret que je vous apprends, secret inconnu de presque tous
les chrétiens même les plus dévots.
Ne laissez pas votre or et votre argent dans vos coffres,
qui ont déjà été enfoncés par l’esprit malin qui vous a volé,
et qui sont trop petits, trop faibles et trop vieux pour
contenir un trésor si grand et si précieux. Ne mettez pas
l’eau pure et claire de la fontaine dans vos vaisseaux tout
gâtés et infectés par le péché; si le péché n’y est plus, son
odeur y est encore; l’eau en sera gâtée. Ne mettez pas vos
vins exquis dans vos anciens tonneaux qui ont été remplis de
mauvais vins: ils en seraient gâtés et en danger d’être
répandus.
178. Quoique vous m’entendiez, âmes prédestinées, je parle
plus ouvertement. Ne confiez pas l’or de votre charité,
l’argent de votre pureté, les eaux des grâces célestes, ni les
vins de vos mérites et vertus à un sac percé, à un coffre
vieux et brisé, à un vaisseau gâté et corrompu comme vous
êtes; autrement vous serez pillés par les voleurs, c’est-à-
dire les démons qui cherchent et épient, nuit et jour, le
temps propre pour le faire; autrement, vous gâterez, par votre
mauvaise odeur d’amour de vous-même, de confiance en vous-même
et de propre volonté, tout ce que Dieu vous donne de plus pur.
Mettez, versez dans le sein et le coeur de Marie tous vos
trésors, toutes vos grâces et vertus: c’est un vaisseau
d’esprit, c’est un vaisseau d’honneur, c’est un vaisseau
insigne de dévotion: Vas spirituale, vas honorabile, vas
insigne devotionis. Depuis que Dieu même en personne s’est
enfermé avec toutes ses perfections dans ce vaisseau, il est
devenu tout spirituel et la demeure spirituelle des âmes les
plus spirituelles; il est devenu honorable, et le tròne
d’honneur des plus grands princes de l’éternité; il est devenu
insigne en dévotion, et le séjour des plus illustres en
douceur, en grâces et en vertus; il est enfin devenu riche
comme une maison d’or, fort comme une tour de David et pur
comme une tour d’ivoire.
179. Oh! qu’un homme qui a tout donné à Marie, qui se confie
et perd en tout et pour tout en Marie, est heureux! Il est
tout à Marie, et Marie est tout à lui. Il peut dire hardiment
avec David: Haec facta est mihi: Marie est faite pour moi; ou,
avec le Disciple bien-aimé: Accepi eam in mea. Je l’ai prise
pour tout mon bien, ou, avec Jésus-Christ: Omnia mea tua sunt,
et omnia tua mea sunt: Tout ce que j’ai est à vous, et tout ce
que vous avez est à moi.
180. Si quelque critique, qui lira ceci, s’imagine que je
parle ici par exagération et par une dévotion outrée, hélas il
ne m’entend pas, soit parce qu’il est un homme charnel, qui ne
goûte point les choses de l’esprit, soit parce qu’il est du
monde, qui ne peut recevoir le Saint-Esprit, soit parce qu’il
est orgueilleux et critique, qui condamne et méprise tout ce
qu’il n’entend pas. Mais les âmes qui ne sont pas nées du
sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de
l’homme, mais de Dieu et de Marie, me comprennent et me
goûtent; et c’est pour elles aussi que j’écris ceci.
181. Cependant je dis pour les uns et les autres, en reprenant
ma matière interrompue, que la divine Marie, étant la plus
honnête et la plus libérale de toutes les pures créatures,
elle ne se laisse jamais vaincre en amour et en libéralité; et
pour un oeuf, dit un saint, qu’on lui donne, elle donne un
boeuf; c’est-à-dire, pour peu qu’on lui donne, elle donne
beaucoup de ce qu’elle a reçu de Dieu; et, par conséquent, si
une âme se donne à elle sans réserve, elle se donne à cette
âme sans réserve, si on met toute sa confiance en elle sans
présomption, travaillant de son côté à acquérir les vertus et
à dompter ses passions.
182. Que les fidèles serviteurs de la Sainte Vierge disent
donc hardiment avec saint Jean Damascène: « Ayant confiance en
vous, ô Mère de Dieu, je serai sauvé; ayant votre protection,
je ne craindrai rien; avec votre secours, je combattrai et
mettrai en fuite mes ennemis: car votre dévotion est une arme
de salut que Dieu donne à ceux qu’il veut sauver: Spem tuam
habens, o Deipara, servabor; defensionem tuam possidens, non
timebo; persequar inimicos meos et in fugam vertam, habens
protectionem tuam et auxilium tuum; nam tibi devotum esse est
arma quaedam salutis quae Deus his dat quos vult salvos fieri »
(Joan. Damas., ser. de Annuntiat).
FIGURE BIBLIQUE DE CETTE PARFAITE DÉVOTION: REBECCA ET JACOB
183. De toutes les vérités que je viens de décrire par rapport
à la Très Sainte Vierge et à ses enfants et serviteurs, le
Saint-Esprit nous donne, dans l’Ecriture Sainte, une figure
admirable dans l’histoire de Jacob, qui reçut la bénédiction
de son père Isaac par les soins et l’industrie de Rébecca sa
mère.
La voici comme le Saint-Esprit la rapporte. Ensuite j’y
ajouterai son explication.
[Histoire de Jacob]
184. Esaü ayant vendu à Jacob son droit d’aînesse, Rébecca,
mère des deux frères, qui aimait tendrement Jacob, lui assura
cet avantage, plusieurs années après, par une adresse toute
sainte et toute pleine de mystères. Car Isaac, se sentant fort
vieux et voulant bénir ses enfants avant de mourir, appela son
fils Esaü qu’il aimait, lui commanda d’aller à la chasse pour
avoir de quoi manger, afin qu’il le benît ensuite. Rébecca
avertit promptement Jacob de ce qui se passait et lui commanda
d’aller prendre deux chevreaux dans le troupeau. Lorsqu’il les
eut donné à sa mère, elle en prépara à Isaac, ce qu’elle
savait qu’il aimait; elle revêtit Jacob des habits d’Esaü,
qu’elle gardait, et couvrit ses mains et son cou de la peau
des chevreaux, a fin que son père, qui ne voyait plus, pût, en
entendant la parole de Jacob, croire au moins, par le poil de
ses mains, que c’était Esaü son frère. Isaac, en effet, ayant
été surpris de sa voix, qu’il croyait être la voix de Jacob,
le fit approcher de lui, et ayant touché le poil des peaux
dont il s’était couvert les mains, il dit que la voix, à la
vérité, était la voix de Jacob, mais que les mains étaient les
mains d’Esaü. Après qu’il eut mangé et qu’il eut s enti, en
baisant Jacob, l’odeur de ses habits parfunés, il le bénit et
lui souhaita la rosée du ciel et la fécondité de la terre; il
l’établit le maître de tous ses frères, et finit sa
bénédiction par ces paroles: « Que celui qui vous maudira soit
maudit lui-même, et que celui qui vous bénira soit comblé de
bénédictions ».
A peine Isaac avait achevé ces paroles qu’Esaü entre et
apporte à manger ce qu’il avait pris à la chasse, afin que son
père le bénît ensuite. Ce saint patriarche fut surpris d’un
étonnement incroyable lorsqu’il reconnut ce qui venait de se
passer; mais bien loin de rétracter ce qu’il avait fait, il le
confirma, au contraire, parce qu’il voyait trop sensiblement
le doigt de Dieu en cette conduite. Esaü alors jeta des
rugissements, comme marque l’Ecriture Sainte, et, accusant
hautement la tromperie de don frère, il demanda à son père
s’il n’avait qu’une seule bénédiction: étant en ce point,
comme le remarquent les saint Pères, l’image de ceux qui,
étant bien aises d’allier Dieu avec le monde, veulent jouir
tout ensemble des consolations du ciel et de celles de la
terre. Isaac, touché des cris d’Esaü, le bénit enfin, mais
d’une bénédiction de la terre, et en l’assujetissant à son
frère: ce qui lui fit concevoir une haine si envenimée contre
Jacob, qu’il n’attendait plus que la mort de son père pour le
tuer et Jacob n’aurait pu éviter la mort si sa chère mère
Rébecca ne l’en eût garanti par ses industries et les bons
conseils qu’elle lui donna et qu’il suivit.
[Interprétation de l’histoire de Jacob]
185. Auparavant d’expliquer cette histoire, qui est si belle,
il faut remarquer que, selon tous les saints Pères et les
interprètes de l’Ecriture Sainte, Jacob est la figure de
Jésus-Christ et des prédestinés, et Esaü celle des réprouvés.
Il ne faut qu’examiner les actions et la conduite de l’un et
de l’autre pour en juger.
1 Esaü, l’aîné, était fort et robuste de corps et
industrieux à tirer de l’arc et à prendre beaucoup de gibier à
la chasse.
2 Il ne restait quasi point à la maison, et, ne mettant
sa confiance qu’en sa force et son adresse, il ne travaillait
qu’au dehors.
3 Il ne se mettait pas beaucoup en peine de plaire à sa
mère Rébecca, et il ne faisait rien pour cela.
4 Il était si gourmand, et aimait tant sa bouche, qu’il
vendit son droit d’aînesse pour un plat de lentilles.
5 Il était, comme Caïn, plein d’envie contre son frère
Jacob et il le persécutait à outrance.
186. Voilà la conduite que gardent les réprouvés tous les
jours.
1 Ils se fient en leur force et leurs industries pour
les affaires temporelles; ils sont très forts, très habiles et
très éclairés pour les choses de la terre, mais très faibles
et très ignorants dans les choses du ciel: In terrenis fortes,
in coelestibus debiles. C’est pourquoi:
187. 2 Ils ne demeurent point ou très peu chez eux, dans leur
maison propre, c’est-à-dire dans leur intérieur, qui est la
maison intérieure et essentielle que Dieu a donné à chaque
homme pour y demeurer à son exemple: car Dieu demeure toujours
chez soi. Les réprouvés n’aiment point la retraite, ni la
spiritualité, ni la dévotion intérieure, et ils traitent de
petits esprits, de bigots et de sauvages ceux qui sont
intérieurs et retirés du monde, et qui travaillent plus au
dedans qu’au dehors.
188. 3 Les réprouvés ne se soucient guère de la dévotion à la
Sainte Vierge, la Mère des prédestinés; il est vrai qu’ils ne
la haïssent pas formellement, ils lui donnent quelquefois des
louanges, ils disent qu’ils l’aiment et ils pratiquent même
quelque dévotion en son honneur; mais, au reste, ils ne
sauraient souffrir qu’on l’aime tendrement, parce qu’ils n’ont
point pour elle les tendresses de Jacob; ils trouvent à redire
aux pratiques de dévotion auxquelles ses bons enfants et
serviteurs se rendent fidèles pour gagner son affection, parce
qu’ils ne croient pas que cette dévotion leur soit nécessaire
au salut, et que, pourvu qu’ils ne haïssent pas formellement
la Sainte Vierge, ou qu’ils ne méprisent pas ouvertement sa
dévotion, c’en est assez, et ils ont gagné les bonnes grâces
de la Sainte Vierge, ils sont ses serviteurs, en récitant et
marmottant quelques oraisons en son honneur, sans tendresse
pour elle ni amendement pour eux-mêmes.
189. 4 Les réprouvés vendent leur droit d’aînesse, c’est-à-
dire les plaisirs du paradis pour un plat de lentilles, c’est-
à-dire pour les plaisirs de la terre. Ils rient, ils boivent,
ils mangent, ils se divertissent, ils jouent, ils dansent,
etc., sans se mettre en peine, comme Esaü, de se rendre dignes
de la bénédiction du Père céleste. En trois mots, ils ne
pensent qu’à la terre, ils n’aiment que la terre, ils ne
parlent et n’agissent que pour la terre et ses plaisirs,
vendant pour un petit moment de plaisir, pour une vaine fumée
d’honneur, et pour un morceau de terre dure, jaune ou blanche,
la grâce baptismale, leur robe d’innocence, leur héritage
céleste.
190. 5 Enfin, les réprouvés haïssent et persécutent tous les
jours les prédestinés, ouvertement ou secrètement; ils les
méprisent, ils les critiquent, ils les contrefont, ils les
injurient, ils les volent, ils les trompent, ils les
appauvrissent, ils les chassent, ils les réduisent dans la
poussière; tandis qu’ils font fortune, qu’ils prennent leurs
plaisirs, qu’ils sont en belle passe, qu’ils s’enrichissent,
qu’ils s’agrandissent et vivent à leur aise.
191. 1 Jacob, le cadet, était d’une faible complexion, doux
et paisible, et demeurait ordinairement à la maison pour
gagner les bonnes grâces de sa mère Rébecca, qu’il aimait
tendrement; s’il sortait dehors, ce n’était pas par sa propre
volonté, ni par la confiance qu’il eût en son industrie, mais
pour obéir à sa mère.
192. 2 Il aimait et honorait sa mère: c’est pourquoi il se
tenait à la maison auprès d’elle; il n’était pas plus content
que lorsqu’il la voyait; il évitait tout ce qui pouvait lui
déplaire: ce qui augmentait en Rébecca l’amour qu’elle lui
portait.
193. 3 Il était soumis en toutes choses à sa chère mère, il
lui obéissait entièrement en toutes choses, promptement sans
tarder, et amoureusement sans se plaindre; au moindre signe de
sa volonté, le petit Jacob courait et travaillait. Il croyait
tout ce qu’elle lui disait, sans raisonner: par exemple, quand
elle lui dit qu’il allât chercher deux chevreaux, et qu’il les
lui apportât pour apprêter à manger à son père Isaac, Jacob ne
lui répliqua point qu’il y en avait assez d’un pour apprêter
une fois à manger à un seul homme; mais, sans raisonner, il
fit ce qu’elle lui avait dit.
194. 4 Il avait une grande confiance en sa chère mère; comme
il ne s’appuyait point du tout sur son savoir-faire, il
s’appuyait uniquement sur les soins et la protection de sa
mère; il la réclamait en tous ses besoins, et il la consultait
en tous ses doutes: par exemple, quand il lui demanda si, au
lieu de la bénédiction, il ne recevrait point la malédiction
de son père, il la crut et se confia en elle, quand elle lui
dit qu’elle prenait sur elle cette malédiction.
195. 5 Enfin, il imitait selon sa portée les vertus qu’il
voyait en sa mère; et il semble qu’une des raisons pourquoi il
demeurait sédentaire à la maison, c’était pour imiter sa chère
mère, qui était si vertueuse, et pour s’éloigner des mauvaises
compagnies, qui corrompent les moeurs. Par ce moyen, il se
rendit digne de recevoir la double bénédiction de son père.
196. Voilà aussi la conduite que gardent tous les jours les
prédestinés:
1 Ils sont sédentaires à la maison avec leur mère,
c’est-à-dire, ils aiment la retraite, ils sont intérieurs, ils
s’appliquent à l’oraison, mais à l’exemple et dans la
compagnie de leur Mère, la Sainte Vierge, dont toute la
gloire est au-dedans, et qui, pendant toute sa vie, a aimé la
retraite et l’oraison. Il est vrai qu’ils paraissent
quelquefois au dehors dans le monde; mais c’est par obéissance
à la volonté de Dieu et à celle de leur chère Mère, pour
remplir les devoirs de leur état. Quelques grandes choses en
apparence qu’ils fassent au dehors, ils estiment encore
beaucoup plus celles qu’ils font au dedans d’eux-mêmes, dans
leur intérieur, en compagnie de la Très Sainte Vierge, parce
qu’ils y font le grand ouvrage de leur perfection, auprès
duquel tous les autres ouvrages ne sont que des jeux
d’enfants. C’est pourquoi, tandis quelquefois que leurs frères
et soeurs travaillent pour le dehors avec beaucoup de force,
d’industrie et de succès, dans la louange et approbation du
monde, ils connaissent, par la lumière du Saint-Esprit, qu’il
y a beaucoup plus de gloire, de bien et de plaisir à demeurer
caché dans la retraite avec Jésus-Christ, leur modèle, dans
une entière et parfaite soumission à leur Mère, que de faire
par soi-même des merveilles de nature et de grâce dans le
monde, comme tant d’Esaü et de réprouvés. Gloria et divitiae
in domo ejus: la gloire pour Dieu et les richesses pour
l’homme se trouvent dans la maison de Marie.
Seigneur Jésus, que vos tabernacles sont aimables! Le
passereau a trouvé une maison pour se loger et la tourterelle
un nid pour mettre ses petits. Oh! qu’heureux est l’homme qui
demeure dans la maison de Marie, où vous avez le premier fait
votre demeure! C’est en cette maison des prédestinés qu’il
reçoit son secours de vous seul, et qu’il a disposé des
montées et des degrés de toutes les vertus dans son coeur,
pour s’élever à la perfection dans cette vallée de larmes!
Quam dilecta tabernacula, etc.
197. 2 Ils aiment tendrement et honorent véritablement la
Très Sainte Vierge comme leur bonne Mère et Maîtresse. Ils
l’aiment non seulement de bouche, mais en vérité; ils
l’honorent non seulement à l’extérieur, mais dans le fond du
coeur; ils évitent, comme Jacob, tout ce qui lui peut
déplaire, et pratiquent avec ferveur tout ce qu’ils croient
pouvoir leur acquérir sa bienveillance. Ils lui apportent et
lui donnent, non deux chevreaux, comme Jacob à Rébecca, mais
leur corps et leur âme, avec tout ce qui en dépend, figurés
par les deux chevreaux de Jacob, afin: 1 qu’elle les reçoive
comme une chose qui lui appartient; 2 afin qu’elle les tue et
les fasse mourir au péché et à eux-mêmes, en les écorchant et
dépouillant de leur propre peau et de leur amour-propre, et,
par ce moyen, pour plaire à Jésus, son Fils, qui ne veut pour
ses amis et disciples que des morts à eux-mêmes; 3 afin
qu’elle les apprête au goût du Père céleste, et à sa plus
grande gloire, qu’elle connaît mieux qu’aucune créature; 4
afin que, par ses soins et ses intercessions, ce corps et
cette âme, bien purifiés de toute tache, bien morts, bien
dépouil lés et bien apprêtés, soient un mets délicat, digne de
la bouche et de la bénédiction du Père céleste. N’est-ce pas
ce que feront les personnes prédestinées qui goûteront et
pratiqueront la consécration parfaite à Jésus-Christ par les
mains de Marie, que nous leur enseignons, pour témoigner à
Jésus et à Marie un amour effectif et courageux?
Les réprouvés disent assez qu’ils aiment Jésus, qu’ils
aiment et qu’ils honorent Marie, mais non pas de leur
substance, mais non pas jusqu’à leur sacrifier leurs corps
avec ses sens et leur âme avec ses passions, comme les
prédestinés.
198. 3 Ils sont soumis et obéissants à la Sainte Vierge,
comme à leur bonne Mère à l’exemple de Jésus-Christ, qui, de
trente et trois ans qu’il a vécu sur la terre, en a employé
trente à glorifier Dieu son Père, par une parfaite et entière
soumission à sa sainte Mère. Ils lui obéissent en suivant
exactement ses conseils, comme le petit Jacob ceux de Rébecca,
à qui elle dit: Acquiesce consiliis meis. Mon fils suivez mes
conseils; ou comme les conviés des noces de Cana, auxquels la
Sainte Vierge dit: Quodcumque dixerit vobis facite: Faites
tout ce que mon Fils vous dira. Jacob, pour avoir obéi à sa
mère, reçut la bénédiction comme par miracle, quoique
naturellement il ne dût pas l’avoir; les conviés aux noces de
Cana, pour avoir suivi le conseil de la Sainte Vierge, furent
honorés du premier miracle de Jésus-Christ, qui y convertit
l’eau en vin, à la prière de sa sainte Mère. De même, tous
ceux qui, jusqu’à la fin des siècles, recevront la bénédiction
du Père céleste et seront honorés des merveilles de Dieu, ne
recevront ces grâces qu’en conséquence de leur parfaite
obéisssance à Marie. Les Esaü, au contraire, perdent leur
bénédiction, faute de soumission à la Sainte Vierge.
199. 4 Ils ont une grande confiance dans la bonté et la
puissance de la Très Sainte Vierge, leur bonne Mère; ils
réclament sans cesse son secours; ils la regardent comme leur
étoile polaire, pour arriver à bon port; ils lui découvrent
leurs peines et leurs besoins avec beaucoup d’ouverture de
coeur; ils s’attachent à ses mamelles de miséricorde et de
douceur, pour avoir le pardon de leurs péchés par son
intercession ou pour goûter ses douceurs maternelles dans
leurs peines et leurs ennuis. Ils se jettent même, se cachent
et se perdent d’une manière admirable dans son sein amoureux
et virginal, pour y être embrasés du pur amour, pour y être
purifiés des moindres taches et pour y trouver pleinement
Jésus, qui y réside comme dans son plus glorieux trône. Oh!
quel bonheur! Ne croyez pas, dit l’abbé Guerric, qu’il y ait
plus de bonheur d’habiter dans le sein d’Abraham que dans le
sein de Marie, puisque le Seigneur y a placé son trône: Ne
credideris majoris esse felicitatis habitare in sinu Abrahae
quam in sinu Mariae, cum in eo Dominus posuerit thronum suum.
Les réprouvés, au contraire, mettent tout leur confiance
en eux-mêmes, ne mangeant, avec l’enfant prodigue, que ce que
mangent les cochons, ne se nourrissant avec les crapauds que
de la terre et n’aimant que les choses visibles et
extérieures, avec les mondains, ils ne goûtent point les
douceurs du sein et des mamelles de Marie; ils ne sentent
point un certain appui et une certaine confiance que les
prédestinés sentent pour la Sainte Vierge, leur bonne Mère.
Ils aiment misérablement leur faim au dehors, comme dit saint
Grégoire, parce qu’ils ne veulent pas goûter la douceur qui
est toute préparée au dedans d’eux-mêmes et au dedans de Jésus
et de Marie.
200. 5 Enfin, les prédestinés gardent les voies de la Sainte
Vierge, leur bonne Mère, c’est-à-dire: ils l’imitent, et c’est
en cela qu’ils sont vraiment heureux et dévots, et qu’ils
portent la marque infaillible de leur prédestination, comme
leur dit cette bonne Mère: Beati qui custodiunt vias meas:
c’est-à-dire, bienheureux ceux qui pratiquent mes vertus et
qui marchent sur les traces de ma vie, avec le secours de la
divine grâce. Ils sont heureux dans ce monde, pendant leur
vie, par l’abondance des grâces et des douceurs que je leur
communique de ma plénitude, et plus abondamment qu’aux autres
qui ne m’imitent pas de si près; ils sont heureux dans leur
mort, qui est douce et tranquille, et à laquelle j’assiste
ordinairement, pour les conduire moi-même dans les joies de
l’éternité; enfin, ils seront heureux dans l’éternité, parce
que jamais aucun de mes bons serviteurs, qui a imité mes
vertus pendant sa vie, n’a été perdu.
Les réprouvés, au contraire, sont malheureux pendant leur
vie, à leur mort et dans l’éternité, parce qu’ils n’imitent
point la Très Sainte Vierge dans ses vertus, se contentant de
se mettre quelquefois de ses confréries, de réciter quelques
prières en son honneur ou de faire quelque autre dévotion
extérieure.
O Sainte Vierge, ma bonne Mère, qu’heureux sont ceux, je
le répète avec les transports de mon coeur, qu’heureux sont
ceux et celles qui, ne se laissant point séduire par une
fausse dévotion envers vous, gardent fidèlement vos voies, vos
conseils et vos ordres! Mais que malheureux et maudits sont
ceux qui, abusant de votre dévotion, ne gardent pas les
commandements de votre Fils: Maledicti omnes qui declinant a
mandatis tuis.
[Devoirs charitables que la Saine Vierge rend à ses fidèles
serviteurs]
201. Voici présentement les devoirs charitables que la Sainte
Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ces
fidèles serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière
que j’ai dit, et selon la figure de Jacob.
1. Elle les aime.
Ego diligentes me diligo: J’aime ceux qui m’aiment. Elle
les aime: 1. parce qu’elle est leur Mère véritable: or, une
mère aime toujours son enfant, le fruit de ses entrailles; 2.
elle les aime par reconnaissance, parce qu’effectivement ils
l’aiment comme leur bonne Mère; 3. elle les aime parce
qu’étant prédestinés, Dieu les aime: Jacob dilexi, Esau autem
odio habui, 4. elle les aime parce qu’ils se sont tout
consacrés à elle, et qu’ils sont sa portion et son héritage:
In Israel haereditare.
202. Elle les aime tendrement, et plus tendrement que toutes
les mères ensemble. Mettez, si vous pouvez, tout l’amour
naturel que les mères de tout le monde ont pour leurs enfants,
dans un même coeur d’une mère pour un enfant unique:
certainement cette mère aimera beaucoup cet enfant; cependant,
il est vrai que Marie aime encore plus tendrement ses enfants
que cette mère n’aimerait le sien.
Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais avec
efficace. Son amour pour eux est actif et effectif, comme
celui et plus que celui de Rébecca pour Jacob. Voici ce que
cette bonne Mère, dont Rébecca n’était que la figure, fait
pour obtenir à ses enfants la bénédiction du Père céleste:
203. 1 Elle épie, comme Rébecca, les occasions favorables de
leur faire du bien, de les agrandir et enrichir. Comme elle
voit clairement en Dieu tous les biens et tous les maux, les
bonnes et les mauvaises fortunes, elle dispose de loin les
choses pour exempter de toutes sortes de maux ses serviteurs
et les combler de toutes sortes de biens; en sorte que, s’il y
a une bonne fortune à faire en Dieu, par la fidélité d’une
créature à quelque haut emploi, il est sûr que Marie procurera
cette bonne fortune à quelqu’un de ses bons enfants et
serviteurs, et leur donnera la grâce pour en venir à bout avec
fidélité: Ipsa procurat negocia nostra, dit un saint.
204. 2 Elle leur donne de bons conseils, comme Rébecca à
Jacob: Fili mio, acquiesce consiliis meis: Mon fils, suis mes
conseils. Et, entre autres conseils, elle leur inspire de lui
apporter deux chevreaux, c’est-à-dire leur corps et leur âme,
de les lui consacrer pour en faire un ragoût qui soit agréable
à Dieu, et de faire tout ce que Jésus-Christ, son Fils, a
enseigné par ses paroles et ses exemples. Si ce n’est pas par
elle-même qu’elle leur donne ces conseils, c’est par le
ministère des anges, qui n’ont pas de plus grand honneur et
plaisir que d’obéir à quelqu’un de ses commandements pour
descendre sur terre et secourir quelqu’un de ses serviteurs.
205. 3 Quand on lui a apporté et consacré son corps et son
âme et tout ce qui en dépend, sans rien excepter, que fait
cette bonne Mère? Ce que fit autrefois Rébecca aux deux
chevreaux que lui apporta Jacob: 1. elle les tue et fait
mourir à la vie du vieil Adam; 2. elle les écorche et
dépouille de leur peau naturelle, de leurs inclinations
naturelles, de leur amour-propre et propre volonté et de toute
attache à la créature; 3. elle les purifie de leurs taches et
ordures et péchés; 4. elle les apprête au goût de Dieu et à sa
plus grande gloire. Comme il n’y a qu’elle qui sait
parfaitement ce goût divin et cette plus grande gloire du
Très-Haut, il n’y a qu’elle qui, sans se tromper, peut
accommoder et apprêter notre corps et notre âme à ce goût
infiniment relevé et à cette gloire infiniment cachée.
206. 4 Cette bonne Mère, ayant reçu l’offrande parfaite que
nous lui avons faite de nous-mêmes et de nos propres mérites
et satisfactions, par la dévotion dont j’ai parlé, et nous
ayant dépouillés de nos vieux habits, elle nous approprie et
nous rend dignes de paraître devant notre Père céleste. 1.
Elle nous revêt des habits propres, neufs, précieux et
parfumés d’Esaü l’aîné, c’est-à-dire de Jésus-Christ, son
Fils, qu’elle garde dans sa maison, c’est-à-dire qu’elle a
dans sa puissance, étant la trésorière et la dispensatrice
unique et éternelle des mérites et des vertus de son Fils,
Jésus-Christ, qu’elle donne et communique à qui elle veut,
quand elle veut, comme elle veut et autant qu’elle veut, comme
nous avons vu ci-devant. 2. Elle entoure le cou et les mains
de ses serviteurs des peaux de chevreaux tués et écorchés;
c’est-à-dire, elle les orne des mérites et de la valeur de
leurs propres actions. Elle tue et mortifie, à la vérité, tout
ce qu’il y a d’impur et d’imparfait en leurs personnes; mais
elle ne perd et ne dissipe pas tout le bien que la grâce y a
fait; elle le garde et l’augmente pour en faire l’ornement et
la force de leur cou et de leurs mains; c’est-à-dire pour les
fortifier à porter le joug du Seigneur, qui se porte sur le
cou, et opérer de grandes choses pour la gloire de Dieu et le
salut de leurs pauvres frères. 3. Elle donne un nouveau parfum
et une nouvelle grâce à ces habits et ornements en leur
communiquant ses propres habits; ses mérites et ses vertus,
qu’elle leur a légués en mourant, par testament, comme dit un
sainte religieuse du siècle dernier, morte en odeur de
sainteté, et qui l’a su par révélation; en sorte que tous ses
domestiques, ses fidèles serviteurs et esclaves sont
doublement vêtus, des habits de son Fils et des siens propres:
Omnes domestici ejus vestiti sunt duplicibus: c’est pourquoi
ils n’ont rien à craindre du froid de Jésus-Christ, blanc,
comme la neige, que les réprouvés tout nus et dépouillés des
mérites de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge ne pourront
soutenir.
207. 5 Elle leur fait enfin obtenir la bénédiction du Père
céleste, quoique, n’étant que les puînés et les enfants
adoptifs, ils ne dussent pas naturellement l’avoir. Avec ces
habits tout neufs, très précieux et de très bonne odeur, et
avec leur corps et leur âme bien préparés et apprêtés, ils
s’approchent en confiance du lit de repos de leur Père
céleste. Il entend et distingue leur voix, qui est celle du
pécheur; il touche leurs mains couvertes de peaux; il sent la
bonne odeur de leurs habits; il mange avec joie de ce que
Marie, leur Mère, lui a apprêté; et reconnaissant en eux les
mérites et la bonne odeur de son Fils et de sa sainte Mère: 1.
il leur donne sa double bénédiction; bénédiction de la rosée
du ciel: De rore coelesti, c’est-à-dire de la grâce divine qui
est semence de la gloire: Benedixit nos omni benedictione
spirituali in Christo Jesu; bénédiction de la graisse de la
terre: De pinguedine terrae, c’est-à-dire que ce bon Père leur
donne leur pain quotidien et une suffisante abondance des
biens de ce monde; 2. il les rend maîtres de leurs autres
frères, les réprouvés: non pas que cette primauté paraisse
toujours dans ce monde qui passe en un instant, où souvent les
réprouvés dominent: Peccatores effabuntur et gloriabuntur.
Vidi impium superexaltatum et elevatum; mais elle est pourtant
véritable, et elle paraîtra manifestement dans l’autre monde,
à toute éternité, où les justes, comme dit le Saint-Esprit,
domineront et commanderont aux mations: Dominabuntur populis.
3. Sa Majesté, non contente de les bénir en leurs personnes et
en leurs biens, bénit encore tous ceux qui les béniront, et
maudit tout ceux qui les maudiront et persécuteront.
[Elle les entretient de tout]
208. Le second devoir de charité que la Sainte Vierge exerce
envers ses fidèles serviteurs, c’est qu’elle les entretient de
tout pour le corps et pour l’âme. Elle leur donne des habits
doublés, comme nous venons de voir; elle leur donne à manger
les mets les plus excellents de la table de Dieu; elle leur
donne à manger le pain de vie, qu’elle a formé; A
generationibus meis implemini: mes chers enfants, leur dit-
elle, sous le nom de la Sagesse, remplissez-vous de mes
générations, c’est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j’ai
mis au monde pour vous. – Venite, comedite panem meum et
bibite vinum quod miscui vobis; comedite, et bibite, et
inebriamini, carissimi: Venez, leur répète-t-elle en un autre
endroit, manger mon pain, qui est Jésus, et buvez le vin de
son amour, que je vous ai mêlé avec le lait de mes mamelles.
Comme c’est elle qui est la trésorière et la dispensatrice des
dons et des grâces du Très-Haut, elle en donne une bonne
portion, et la meilleure, pour nourrir et entretenir ses
enfants et serviteurs. Ils sont engraissés du pain vivant, ils
sont enivrés du vin qui germe les vierges. Ils sont portés à
la mamelle: Ad ubera portabimini. Ils ont tant de facilité à
porter le joug de Jésus-Christ qu’ils n’en sentent pas la
pesanteur, à cause de l’huile de la dévotion dont elle le fait
pourrir: Jugum eorum putrescere faciet a facie olei.
[3. Elle les conduit et dirige]
209. Le troisième bien que la Sainte Vierge fait à ses fidèles
serviteurs, c’est qu’elle les conduit et dirige selon la
volonté de son Fils. Rébecca conduisait son petit Jacob et lui
donnait de temps en temps de bons avis, soit pour attirer sur
lui la bénédiction de son père, soit pour éviter la haine et
la persécution de son frère Esaü. Marie, qui est l’étoile de
la mer, conduit tous ses fidèles serviteurs à bon port; elle
leur montre les chemins de la vie éternelle; elle leur fait
éviter les pas dangereux; elle les conduit par la main dans
les sentiers de la justice; elle les soutient quand ils sont
prêts de tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle
les reprend, en mère charitable, quand ils manquent; et
quelquefois même, elle les châtie amoureusement. Un enfant
obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice
éclairée, peut-il s’égarer dans les chemins de l’éternité?
Ipsam sequens, non devias. En la suivant, dit saint Bernard,
vous ne vous égarez point. Ne craignez pas qu’un véritable
enfant de Marie soit trompé par le malin et tombe en quelque
hérésie formelle. Là où est la conduite de Marie, là ni le
malin esprit avec ses illusions, ni les hérétiques avec leurs
finesses ne se trouvent: Ipsa tenente, non corruis.
[4. Elle les défend et protège]
210. Le quatrième bon office que la Sainte Vierge rend à ses
enfants et fidèles serviteurs, c’est qu’elle les défend et
protège contre leurs ennemis. Rébecca, par ses soins et ses
industries, délivra Jacob de tous les dangers où il se trouva,
et particulièrement de la mort que son frère Esaü lui aurait
apparemment donnée par la haine et l’envie qu’il lui portait,
comme autrefois Caïn à son frère Abel. Marie, la bonne Mère
des prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection,
comme une poule ses poussins; elle parle, elle s’abaisse à
eux, elle condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met
autour d’eux et les accompagne comme une armée rangée en
bataille: ut castrorum acies ordinata. Un homme entouré d’une
armée bien rangée de cent mille hommes, peut-il craindre ses
ennemis? Un fidèle serviteur de Marie, entouré de sa
protection et de sa puissance impériale, a encore moins à
craindre. Cette bonne Mère et Princesse puissante des cieux
dépêcherait plutôt des bataillons de millions d’anges pour
secourir un de ses serviteurs qu’il ne fût jamais dit qu’un
fidèle serviteur de Marie, qui s’est confié en elle, a
succombé à la malice, au nombre et à la force de ses ennemis.
[5. Elle intercède pour eux]
211. Enfin, le cinquième et le plus grand bien que l’aimable
Marie procure à ses fidèles dévots, c’est qu’elle intercède
pour eux auprès de son Fils, et l’apaise par ses prières, et
elle les unit à lui d’un lien très intime et les y conserve.
Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père; et le bon
homme le toucha, l’embrassa, et le baisa même avec joie, étant
content et rassasié des viandes bien apprêtées qu’il lui avait
apportées; et ayant senti avec beaucoup de contentement les
parfums exquis de ses vêtements, il s’écria: Ecce odor filii
mei sicut odor agri pleni, cui benedixit Dominus: Voici
l’odeur de mon fils, qui est comme l’odeur d’un champ plein,
que le Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l’odeur charma le
coeur du père, n’est autre que l’odeur des vertus et des
mérites de Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le
Père a semé, come un grain de froment des élus, son Fils
unique.
Oh! qu’un enfant parfumé de la bonne odeur de Marie est
bienvenu auprès de Jésus-Christ, qui est le Père du siècle à
venir! Oh! qu’il lui est promptement et parfaitement uni! Nous
l’avons montré plus au long ci-devant. [152-168]
212. De plus, après qu’elle a comblé ses enfants et ses
fidèles serviteurs de ses faveurs, qu’elle leur a obtenu la
bénédiction du Père céleste et l’union avec Jésus-Christ, elle
les conserve en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux; elle les
garde et elle les veille toujours, de peur qu’ils ne perdent
la grâce de Dieu et ne tombent dans les pièges de leurs
ennemis: In plenitudine sanctos detinet: Elle retient les
saints dans leur plénitude, et les y fait persévérer jusqu’à
la fin, comme nous avons vu. [173-182]
Voilà l’explication de cette grande et ancienne figure de
la prédestination et réprobation, si inconnue et si pleine de
mystères.
LES EFFETS MERVEILLEUX QUE CETTE DÉVOTION PRODUIT DANS UNE ÂME QUI Y EST FIDÈLE.
213. Mon cher frère, soyez persuadé que si vous vous rendez
fidèle aux pratiques intérieures, que je vous marquerai ci-
après: [226-256, 257-265]
[Connaissance et mépris de soi-même]
1 Par la lumière que le Saint-Esprit vous donnera par
Marie, sa chère Epouse, vous connaîtrez votre mauvais fonds,
votre corruption et votre incapacité à tout bien, si Dieu n’en
est le principe comme auteur de la nature ou de la grâce, et,
en suite de cette connaissance, vous vous mépriserez, vous ne
penserez à vous qu’avec horreur. Vous vous regarderez comme un
limaçon qui gâte tout de sa bave, ou comme un crapaud qui
empoisonne tout de son venin, ou comme un serpent malicieux
qui ne cherche qu’à tromper. Enfin l’humble Marie vous fera
part de sa profonde humilité, qui fera que vous vous
mépriserez, vous ne mépriserez personne et vous aimerez le
mépris.
[Participation à la foi de Marie]
214. 2 La Sainte Vierge vous donnera part à sa foi, qui a été
plus grande sur la terre que la foi de tous les patriarches,
les prophètes, les apôtres et tous les saints. Présentement
qu’elle est régnante dans les cieux, elle n’a plus cette foi,
parce qu’elle voit clairement toutes choses en Dieu, par la
lumière de la gloire; mais cependant, avec l’agrément du Très-
Haut, elle ne l’a pas perdue en entrant dans la gloire; elle
l’a gardée pour la garder dans l’Église militante à ses plus
fidèles seviteurs et servantes. Plus donc vous gagnerez la
bienveillance de cette auguste Princesse et Vierge fidèle,
plus vous aurez de pure foi dans toute votre conduite: une foi
pure, qui fera que vous ne vous soucierez guère du sensible et
de l’extraordinaire; une foi vive et animée par la charité,
qui fera que vous ne ferez vos actions que par le motif du pur
amour; une foi ferme et inébranlable comme un rocher, qui fera
que vous demeurerez ferme et constant au milieu des orages et
des tourmentes; une foi agissante et perçante, qui, comme un
mystérieux passe-partout, vous donnera entrée dans les
mystères de Jésus-Christ, dans les fins dernières de l’homme
et dans le coeur de Dieu même; une foi courageuse, qui vous
fera entreprendre et venir à bout de grandes choses pour Dieu
et le salut des âmes, sans hésiter; enfin, une foi qui sera
votre flambeau enflammé, votre vie divine, votre trésor caché
de la divine Sagesse, et votre arme toute-puissante dont vous
vous servirez pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et
l’ombre de la mort, pour embraser ceux qui sont tièdes et qui
ont besoin de l’or embrasé de la charité, pour donner vie à
ceux qui sont morts par le péché, pour toucher et renverser,
par vos paroles douces et puissantes, les coeurs de marbre et
les cèdres du Liban, et enfin pour résister au diable et à
tous les ennemis du salut.
[Grâce du pur amour]
215. 3 Cette Mère de la belle dilection ôtera de votre coeur
tout scrupule et toute crainte servile déréglée: elle
l’ouvrira et l’élargira pour courir dans les commandements de
son Fils, avec la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour
y introduire le pur amour, dont elle a le trésor; en sorte que
vous ne vous conduirez plus, tant que vous avez fait, par
crainte à l’égard de Dieu charité, mais par le pur amour. Vous
le regarderez comme votre bon Père, auquel vous tâcherez de
plaire incesamment, avec qui vous converserez confidemment,
comme un enfant avec son bon père. Si vous venez, par malheur,
à l’offenser, vous vous en humilierez aussitôt devant lui,
vous lui en demanderez pardon humblement, vous lui tendrez la
main simplement et vous vous en relèverez amoureusement, sans
trouble ni inquiétude, et continuerez à marcher vers lui sans
découragement.
[Grande confiance en Dieu et en Marie]
216. 4 La Sainte Vierge vous remplira d’une grande confiance
en Dieu et en elle-même: 1 parce que vous n’approcherez plus
de Jésus-Christ par vous-même, mais toujours par cette bonne
Mère; 2 parce que, lui ayant donné tous vos mérites, grâces
et satisfactions, pour en disposer à sa volonté, elle vous
communiquera ses vertus et elle vous revêtira de ses mérites,
en sorte que vous pourrez dire à Dieu avec confiance: Voici
Marie votre servante: qu’il me soit fait selon votre parole:
Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum; 3 parce
que, vous étant donné à elle tout entier, corps et âme, elle
qui est libérale avec les libéraux et plus libérale que les
libéraux mêmes, se donnera à vous par retour d’une manière
merveilleuse, mais véritalble; en sorte que vous pourrez lui
dire hardiment: Tuus sum ego, salvum me fac: Je suis à vous,
Sainte Vierge, sauvez-moi; ou comme j’ai déjà dit, avec le
Disciple bien-aimé: Accepi te in mea: Je vous ai prise, sainte
Mère, pour tous mes biens. Vous pourrez encore dire, avec
saint Bonaventure: Ecce Domina salvatrix mea, fiducialiter
agam, et non timebo, quia fortitudo mea, et laus mea in Domino
es tu…; et en un autre endroit: Tuus totus ego sum, et omnia
mea tua sunt, o Virgo gloriosa, super omnia benedicta; ponam
te ut signaculum super cor meum, quia fortis est ut mors
dilectio tua (S. Bon. In psal. min. B.V.) Ma chère Maîtresse
et salvatrice, j’agirai avec confiance et je ne craindrai
point, parce que vous êtes ma force et ma louange dans le
Seigneur… Je suis tout vôtre, et tout ce que j’ai vous
appartient; ô glorieuse Vierge, bénite par-dessus toutes
choses créées, que je vous mette comme un cachet sur mon
coeur, parce que votre dilection est forte comme la mort! Vous
pourriez dire à Dieu dans les sentiments du Prophète: Domine,
non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei; neque
ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me; si non
humiliter sentiebam, sed exaltavi animam; sicut ablactatus
super matre sua, ita retributio in anima mea: Seigneur, ni mon
coeur, ni mes yeux n’ont aucun sujet de s’élever et de
s’enorgueillir, ni de rechercher les choses grandes et
merveilleuses; et, avec cela, je ne suis pas encore humble,
mais j’ai relevé et encouragé mon âme par la confiance; je
suis comme un enfant sevré des plaisirs de la terre et appuyé
sur le sein de ma mère; et c’est sur ce sein qu’on me comble
de biens. 4 Ce qui augmentera encore votre confiance en elle,
c’est que, lui ayant donné en dépôt tout ce que vous avez de
bon pour le donner ou le garder, vous aurez moins de confiance
en vous et beaucoup plus en elle, qui est votre trésor. Oh!
quelle confiance et quelle consolation pour une âme qui peut
dire que le trésor de Dieu, où il a mis tout ce qu’il a de
plus précieux, est le sien aussi! Ipsa est thesaurus Domini:
Elle est, dit un saint, le trésor du Seigneur.
[Communication de l’âme et de l’esprit de Marie]
217. 5 L’âme de la Sainte Vierge se communiquera à vous pour
glorifier le Seigneur; son esprit entrera en la place du vôtre
pour se réjouir en Dieu, son salutaire, pourvu que vous vous
rendiez fidèle aux pratiques de cette dévotion. Sit in
singulis anima Mariae ut magnificet Dominum; sit in singulis
spiritus Mariae ut exultet in Deo (S. Amb): Que l’âme de Marie
soit en chacun pour y glorifier le Seigneur; que l’eprit de
Marie soit en chacun, pour s’y réjouir en Dieu. Ah! quand
viendra cet heureux temps, dit un saint homme de nos jours qui
était tout perdu en Marie, ah! quand viendra cet heureux temps
où la divine Marie sera établie maîtresse et souveraine dans
les coeurs, pour les soumettre pleinement à l’empire de son
grand et unique Jésus. Quand est-ce que les âmes respireront
autant Marie que les corps respirent l’air? Pour lors, des
choses merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le
Saint-Esprit, trouvant sa chère Epouse comme reproduite dans
les âmes, y surviendra abondamment et les remplira de ses
dons, et particulièrement du don de sa sagesse, pour opérer
des merveilles de grâces. Mon cher frère, quand viendra ce
temps heureux et ce siècle de Marie, où plusieurs âmes
choisies et obtenues du Très-Haut par Marie, se perdant elles-
mêmes dans l’abîme de son intérieur, deviendront des copies
vivantes de Marie, pour aimer et glorifier Jésus-Christ? Ce
temps ne viendra que quand on connaîtra et on pratiquera la
dévotion que j’enseigne: Ut adveniat regnum tuum, adveniat
regnum Mariae.
[Transformation des âmes en Marie à l’image de Jésus-Christ]
218. 6 Si Marie, qui est l’arbre de vie, est bien cultivée en
votre âme par la fidélité aux pratiques de cette dévotion,
elle portera son fruit en son temps; et ce fruit n’est autre
que Jésus-Christ. Je vois tant de dévots et dévotes qui
cherchent Jésus-Christ, les uns par une voie et une pratique,
les autres par l’autre; et souvent après qu’ils ont beaucoup
travaillé pendant la nuit, ils peuvent dire: Per totam noctem
laborantes, nihil cepimus: Quoique nous ayons travaillé
pendant toute la nuit, nous n’avons rien pris. Et on peut leur
dire: Laborastis multum, et intulistis parum: Vous avez
beaucoup travaillé, et vous avez peu gagné. Jésus-Christ est
encore bien faible chez vous. Mais par la voie immaculée de
Marie et cette pratique divine que j’enseigne, on travaille
pendant le jour, on travaille dans un lieu saint, on travaille
peu. Il n’y a point de nuit en Marie, puisqu’il n’y a point eu
de péché ni même la moindre ombre. Marie est un lieu saint, et
le Saint des saints, où les saints sont formés et moulés.
219. Remarquez, s’il vous plait, que je dis que les saints
sont moulés en Marie. Il y a une grande différence entre faire
une figure en relief, à coups de marteau et de ciseau, et
faire une figure en la jetant en moule: les sculpteurs et
statuaires travaillent beaucoup à faire les figures dans la
première manière, et il leur faut beaucoup de temps; mais à
les faire dans la seconnde manière, ils travaillent peu et les
font en fort peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte
Vierge forma Dei: le moule de Dieu: Si formam Dei te appellem,
digna existis: le moule propre à former et mouler des dieux.
Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé en
Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lui: à peu de frais et en peu
de temps, il deviendra dieu, puisqu’il est jeté dans le même
moule qui a formé un Dieu.
220. Il me semble que je puis fort bien comparer des
directeurs et personnes dévotes qui veulent former Jésus-
Christ en soi ou dans les autres par d’autres pratiques que
celle-ci, à des sculpteurs qui, mettant leur confiance dans
leur savoir-faire, leurs industries et leur art, donnent une
infinité de coups de marteau et de ciseau à une pierre dure,
ou une pièce de bois mal polie, pour en faire l’image de
Jésus-Christ; et quelquefois ils ne réussissent pas à exprimer
Jésus-Christ au naturel, soit faute de connaissance et
d’expérience de la personne de Jésus-Christ, soit à cause de
quelque coup mal donné, qui a gâté l’ouvrage. Mais, pour ceux
qui embrassent ce secret de la grâce que je leur présente, je
les compare avec raison à des fondeurs et mouleurs qui, ayant
trouvé le beau moule de Marie, où Jésus-Christ a été
naturellement et divinement formé, sans se fier à leur propre
industrie, mais uniquement à la bonté du moule, se jettent et
se perdent en Marie pour devenir le portrait au naturel de
Jésus-Christ.
221. O la belle et véritable comparaison! Mais qui la
comprendra? Je désire que ce soit vous, mon cher frère. Mais
souvenez-vous qu’on ne jette en moule que ce qui est fondu et
liquide: c’est-à-dire qu’il faut détruire et fondre en vous le
vieil Adam, pour devenir le nouveau en Marie.
[La plus grande gloire de Jésus-Christ]
222. 7 Par cette pratique, bien fidèlement observée, vous
donnerez à Jésus-Christ plus de gloire en un mois de temps que
par aucune autre, quoique plus difficile, en plusieurs années.
– Voici les raisons de ce que j’avance:
1 Parce que, faisant vos actions par la Sainte Vierge,
comme cette pratique enseigne, vous quittez vos propres
intentions et opérations, quoique bonnes et connues, pour vous
perdre, pour ainsi dire, dans celles de la Très Sainte Vierge,
quoiqu’elles vous soient inconnues; et, par là, vous entrez en
participation de la sublimité de ses intentions, qui ont été
si pures, qu’elle a plus donné de gloire à Dieu par la moindre
de ses actions, par exemple en filant sa quenouille, en
faisant un point d’aiguille, qu’un saint Laurent sur son gril,
par son cruel martyre, et même que tous les saints par leurs
actions les plus héroïques: ce qui fait que, pendant son
séjour ici-bas, elle a acquis un comble si ineffable de grâces
et de mérites, qu’on compterait plutôt les étoiles du
firmament, les gouttes d’eau de la mer et les sables du
rivage, que ses mérites et ses grâces, et qu’elle a donné plus
de gloire à Dieu que tous les anges et les saints ne lui ont
donné ni ne lui en donneront. O prodige de Marie! vous n’êtes
capable que de faire des prodiges de grâces dans les âmes qui
veulent bien se perdre en vous.
223. 2 Parce qu’une âme, par cette pratique, ne comptant pour
rien tout ce qu’elle pense ou fait d’elle-même, et ne mettant
son appui et sa complaisance que dans les dispositions de
Marie, pour approcher de Jésus-Christ, et même pour lui
parler, elle pratique beaucoup plus l’humilité que les âmes
qui agissent par elles-mêmes, et qui ont un appui et une
complaisance imperceptible dans leurs dispositions; et, par
conséquent, elle glorifie plus hautement Dieu, qui n’est
parfaitement glorifié que par les humbles et les petits de
coeur.
224. 3 Parce que la Sainte Vierge, voulant bien, par une
grande charité, recevoir en ses mains virginales le présent de
nos actions, elle leur donne une beauté et un éclat admirable;
elle les offre elle-même à Jésus-Christ, et sans difficulté,
que Notre-Seigneur en est plus glorifié que si nous les
offrions par nos mains criminelles. [146-149]
225. 4 Enfin, parce que vous ne pensez jamais à Marie, que
Marie, en votre place, ne pense à Dieu; vous ne louez ni
n’honorez jamais Marie, que Marie avec vous ne loue et
n’honore Dieu. Marie est toute relative à Dieu, et je
l’appellerais fort bien la relation de Dieu, qui n’est que par
rapport à Dieu, ou l’écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que
Dieu. Si vous dites Marie, elle dit Dieu. Sainte Elisabeth
loua Marie et l’appela bienheureuse de ce qu’elle avait cru;
Marie, l’écho fidèle de Dieu, entonna: Magnificat anima mea
Dominum: Mon âme glorifie le Seigneur. Ce que Marie a fait en
cette occasion, elle le fait tous les jours; quand on la loue,
on l’aime, on l’honore ou on lui donne, Dieu est loué, Dieu
est aimé, Dieu est honoré, on donne à Dieu par Marie et en Marie.
PRATIQUES PARTICULIÈRES DE CETTE DÉVOTION.
Pratiques Extérieures
226. Quoique l’essentiel de cette dévotion consiste dans
l’intérieur, elle ne laisse pas d’avoir plusieurs pratiques
extérieures qu’il ne faut pas négliger: Haec oportuit facere
et illa non omittere, soit parce que les pratiques extérieures
bien faites aident les intérieures, soit parce qu’elles font
ressouvenir l’homme, qui se conduit toujours par les sens, de
ce qu’il a fait ou doit faire; soit parce qu’elles sont
propres à édifier le prochain qui les voit, ce que ne font pas
celles qui sont purement intérieures. Qu’aucun mondain donc,
ni critique, ne mette ici le nez pour dire que la vraie
dévotion est dans le coeur, qu’il faut éviter ce qui est
extérieur, qu’il peut y avoir de la vanité, qu’il faut cacher
sa dévotion, etc. Je leur réponds avec mon Maître: Que les
hommes voient vos bonnes oeuvres, afin qu’ils glorifient votre
Père qui est dans les cieux; non pas, dit saint Grégoire,
qu’on doive faire ses actions et dévotions extérieures pour
plaire aux hommes et en tirer quelque louange, ce serait
vanité; mais on les fait quelquefois devant les hommes, dans
la vue de plaire à Dieu et de le faire glorifier par là, sans
se soucier des mépris ou des louanges des hommes.
Je ne rapporterai qu’en abrégé quelques pratiques
extérieures, que je n’appelle pas extérieures parce qu’on les
fait sans intérieur, mais parce qu’elles ont quelque chose
d’extérieur, pour les distinguer de celles qui sont purement
intérieures.
[Consécration après exercices préparatoires]
227. Première pratique. – Ceux et celles qui voudront entrer
en cette dévotion particulière, qui n’est point érigée en
confrérie, quoiqu’il le fût à souhaiter, après avoir, comme
j’ai [dit] dans la première partie de cette préparation au
Règne de Jésus-Christ, employé douze jours au moins à se vider
de l’esprit du monde contraire à celui de Jésus-Christ,
emploieront trois semaines à se remplir de Jésus-Christ par la
Très Sainte Vierge. Voici l’ordre qu’ils pourront garder:
228. Pendant la première semaine, ils emploieront toutes leurs
oraisons et actions de piété à demander la connaissance d’eux-
mêmes et la contrition de leurs péchés: et ils feront tout en
esprit d’humilité. Pour cela, ils pourront, s’ils veulent,
méditer ce que j’ai dit de notre mauvais fond et ne se
regarder, les six jours de cette semaine, que comme des
escargots, limaçons, crapauds, cochons et serpents et boucs;
ou bien ces trois paroles de saint Bernard: Cogita quid
fueris, semen putridum; quid sis, vas stercorum; quid futurus
sis, esca vermium. Ils prieront Notre-Seigneur et son Saint-
Esprit de les éclairer, par ces paroles: Domine, ut videam; ou
Noverim me; ou Veni, Sancte Spiritus, et diront tous les jours
les litanies du Saint-Esprit et l’oraison qui suit, marqués
dans la première partie de cet ouvrage. Ils auront recours à
la Très Sainte Vierge, et lui demanderont cette grande grâce
qui doit être le fondement des autres, et pour cela ils diront
tous les jours, l’Ave maris stella, et ses litanies.
229. Pendant la seconde semaine, ils s’appliqueront dans
toutes leurs oraisons et oeuvres de chaque journée, à
connaître la Très Sainte Vierge. Ils demanderont cette
connaissance au Saint-Esprit. Ils pourront lire et méditer ce
que nous en avons dit. Ils réciteront, comme la première
semaine, les litanies du Saint-Esprit et l’Ave maris Stella,
et, de plus, un rosaire tous les jours, ou du moins un
chapelet, à cette intention.
230. Ils emploieront la troisième semaine à connaître Jésus-
Christ. Ils pourront lire et méditer ce que nous en avons dit,
et dire l’oraison de saint Augustin, qui est mis vers le
commencement de cette seconde partie. [VD 67] Ils pourront,
avec le même saint, dire et répéter cent et cent fois par
jour: Noverim te: Seigneur, que je vous connaisse! ou bien,
Domine, ut videam: Seigneur, que je voie qui vous êtes! Ils
réciteront, comme aux autres semaines précédentes, les
litanies du Saint-Esprit et l’Ave maris Stella, et ajouteront
tous les jours les litanies [du Saint-Nom] de Jésus.
231. Au bout de ces trois semaines, ils se confesseront et
communieront à l’intention de se donner à Jésus-Christ, en
qualité d’esclaves d’amour, par les mains de Marie. Et, après
la communion, qu’ils tâcheront de faire selon la méthode qui
est ci-après, ils réciteront la formule de leur consécration,
qu’ils trouveront aussi ci-après; il faudra qu’ils l’écrivent
ou la fassent écrire, si elle n’est imprimée, et qu’ils la
signent le même jour qu’ils l’auront faite.
232. Il sera bon que, ce jour, ils payent quelque tribut à
Jésus-Christ et à sa sainte Mère, soit pour pénitence de leur
infidélité passée aux voeux de leur baptême, soit pour
protester de leur dépendance du domaine de Jésus et de Marie.
Or, ce tribut sera selon la dévotion et la capacité d’un
chacun: comme un jeûne, une mortification, une aumône, un
cierge; quand ils ne donneraient qu’une épingle en hommage,
avec un bon coeur, c’en est assez pour Jésus, qui ne regarde
que la bonne volonté.
233. Tous les ans au moins, le même jour, ils renouvelleront
la même consécration, observant les mêmes pratiques pendant
trois semaines.
Ils pourront même, tous les mois et tous les jours,
renouveler tout ce qu’ils ont fait, par ce peu de paroles:
Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt: Je suis tout à
vous, et tout ce que j’ai vous appartient, ô mon aimable
Jésus, par Marie, votre sainte Mère.
[Récitation de la petite couronne de la Sainte Vierge]
234. Deuxième pratique. – Ils réciteront tous les jours de
leur vie, sans pourtant aucune gêne, la petite couronne de la
Très Sainte Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en
l’honneur des douze privilèges et grandeurs de la Très Sainte
Vierge. Cette pratique est fort ancienne et elle a son
fondement dans l’Ecriture Sainte. Saint Jean vit une femme
couronnée de douze étoiles, revêtue du soleil, et tenant la
lune sous ses pieds, laquelle femme, selon les interprètes,
est la Très Sainte Vierge.
235. Il y a plusieurs manières de la bien dire qu’il serait
trop long de rapporter: le Saint-Esprit les apprendra à ceux
et celles qui seront les plus fidèles à cette dévotion.
Cependant, pour la dire tout simplement, il faut d’abord dire:
Dignare me laudare te, Virgo sacrata; da mihi virtutem contra
hostes tuos; ensuite on dira le Credo, puis un Pater, puis
quatre Ave Maria et un Gloria Patri; encore un Pater, quatre
Ave, un Gloria Patri; ainsi du reste. A la fin, on dit: Sub
tuum praesidium.
[Port de petites chaînes de fer]
236. Troisième pratique. – Il est très louable, et très
glorieux et très utile à ceux et celles qui se seront ainsi
faits les esclaves de Jésus en Marie, qu’ils portent pour
marque de leur esclavage amoureux de petites chaînes de fer
bénites d’une bénédiction propre qui est ci-après.
Ces marques extérieures, à la vérité, ne sont pas
essentielles, et une personne peut fort bien s’en passer,
quoiqu’elle ait embrassé cette dévotion; cependant, je ne puis
m’empêcher de louer beaucoup ceux et celles qui, après avoir
secoué les chaînes honteuses de l’esclavage du diable, où le
péché originel et peut-être les péchés actuels les avaient
engagés, se sont volontairement mis sous le glorieux esclavage
de Jésus-Christ, et se glorifient, avec saint Paul, d’être
dans les chaînes pour Jésus-Christ, chaînes mille fois plus
glorieuses et précieuses, quoique de fer et sans éclat, que
tous les colliers d’or des empereurs.
237. Quoique autrefois il n’y eût rien de plus infâme que la
croix, à présent ce bois ne laisse pas d’être la chose la plus
glorieuse du christianisme. Disons le même des fers de
l’esclavage. Il n’y avait rien de plus ignominieux parmi les
anciens, et même encore à présent parmi les païens; mais,
parmi les chrétiens, il n’y a rien de plus illustre que les
chaînes de Jésus-Christ, parce qu’elles nous délivrent et
préservent des liens infâmes du péché et du démon; parce
qu’elles mettent en liberté, et nous lient à Jésus-Christ et à
Marie, non pas par contrainte et par force, comme des forçats,
mais par charité et amour, comme des enfants: Traham eos in
vinculis caritatis (Osée 4,11): je les attirerai à moi, dit
Dieu par la bouche d’un prophète, par des chaînes de charité,
qui, par conséquent, sont fortes comme la mort, et, en quelque
sorte, plus fortes, en ceux qui seront fidèles à porter
jusqu’à la mort ces marques glorieuses. Car, quoique la mort
détruise leur corps en les réduisant en pourriture, elle ne
détruira point les liens de leur esclavage, qui, étant de fer,
ne se corrompent pas aisément; et peut-être qu’au jour de la
résurrection des corps, au grand jugement dernier, ces
chaînes, qui lieront encore leurs os, feront une partie de
leur gloire, et seront changées en chaînes de lumière et de
gloire. Heureux donc mille fois les esclaves illustres de
Jésus en Marie, qui porteront leurs chaînes jusqu’au tombeau!
238. Voici les raisons pourquoi on porte ces chaînettes:
Premièrement, c’est pour faire ressouvenir le chrétien
des voeux et engagements de son baptême, de la rénovation
parfaite qu’il en a faite par cette dévotion, et de l’étroite
obligation où il est de s’y rendre fidèle. Comme l’homme, qui
se conduit souvent plus par les sens que par la pure foi,
s’oublie facilement de ses obligations envers Dieu, s’il n’a
quelque chose extérieur qui les lui remette en mémoire, ces
petites chaînes servent merveilleusement au chrétien pour le
faire ressouvenir des chaînes du péché et de l’esclavage du
démon, dont le saint baptême l’a délivré, et de la dépendance
de Jésus-Christ qu’il lui a vouée dans le saint baptême, et de
la ratification qu’il en a faite par rénovation de ses voeux;
et une des raisons pourquoi si peu de chrétiens pensent à
leurs voeux du saint baptême, et vivent avec autant de
libertinage que s’ils n’avaient rien promis à Dieu, comme les
païens, c’est qu’ils ne portent aucune marque extérieure qui
les en fasse ressouvenir.
239. Secondement, c’est pour montrer qu’on ne rougit point de
l’esclavage et servitude de Jésus-Christ, et qu’on renonce à
l’esclavage funeste du monde, du péché et du démon.
Troisièmement, c’est pour se garantir et préserver des
chaînes d’iniquité. Car, ou il faut que nous portions des
chaînes d’iniquité, ou des chaînes de charité et de salut:
Vincula peccatorun; in vinculis charitatis.
240. Ah, mon cher frère, brisons les chaînes des péchés et des
pécheurs, du monde et des mondains, du diable et de ses
suppôts, et rejetons loin de nous leur joug funeste:
Dirumpamus vincula eorum et projiciamus a nobis jugum ipsorum.
Mettons nos pieds, pour me servir des termes du Saint-Esprit,
dans ses fers glorieux, et notre cou dans ses colliers: Injice
pedem tuum in compedes illius, et in torques illius collum
tuum (Eccli, 27). Soumettons nos épaules, et portons la
Sagesse, qui est Jésus-Christ, et ne nous ennuyons point de
ses chaînes: Subjice humerum tuum et porta illam, et ne
accedieris vinculis ejus (Eccli 6,25). Vous noterez que le
Saint-Esprit, avant de dire ces paroles, y prépare l’âme, afin
qu’elle ne rejette pas son conseil important. Voici ses
paroles: Audi, fili, et accipe consilium intellectus, et ne
abjicias consilium meum (Eccli 6): Ecoute mon fils, et reçois
un conseil d’entendement, et ne rejette pas mon conseil.
241. Vous voulez bien, mon très cher ami, que je m’unisse au
Saint-Esprit, pour vous donner le même conseil: Vincula illius
aligatura salutis (Eccli,6): ses chaînes sont des chaînes de
salut. Comme Jésus-Christ en croix doit attirer tout à lui,
bon gré mal gré, il attirera les réprouvés par les chaînes de
leurs péchés, pour les enchaîner comme des forçats et des
diables à son ire éternelle et à sa justice vengeresse; mais
il attirera, particulièrement en ces derniers temps, les
prédestinés par des chaînes de charité: Omnia traham ad
meipsum. Traham eos in vinculis charitatis (Osée, 4).
242. Ces esclaves amoureux de Jésus-Christ ou enchaînés de
Jésus-Christ, vincti Christi, peuvent porter leurs chaînes, ou
à leur cou, ou à leurs bras, ou autour de leurs reins, ou à
leurs pieds. Le Père Vincent Caraffa, septième général de la
Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté l’an 1643,
portait, pour marque de sa servitude, un cercle de fer aux
pieds, et disait que sa douleur était qu’il n’en pouvait pas
traîner publiquement la chaîne. La Mère Agnès de Jésus, dont
nous avons parlé, portait une chaîne de fer autour de ses
reins. Quelques autres l’ont portée au cou, pour pénitence des
colliers de perles qu’elles avaient portés dans le monde.
Quelques-uns l’ont portée à leur bras, pour se faire souvenir,
dans les travaux de leurs mains, qu’ils sont esclaves de
Jésus-Christ.
[Dévotion spéciale au mystère de l’Incarnation]
243. Quatrième pratique. – Ils auront une singulière dévotion
pour le grand mystère de l’Incarnation du Verbe, le 25 de
mars, qui est le propre mystère de cette dévotion, parce que
cette dévotion a été inspirée du Saint-Esprit: 1. pour honorer
et imiter la dépendance ineffable que Dieu le Fils a voulu
avoir de Marie, pour la gloire de Dieu son Père et pour notre
salut, laquelle dépendance paraît particulièrement dans ce
mystère où Jésus-Christ est captif et esclave dans le sein de
la divine Marie, et où il dépend d’elle pour toutes choses; 2.
pour remercier Dieu des grâces incomparables qu’il a faites à
Marie et particulièrement de l’avoir choisie pour sa très
digne Mère, lequel choix a été fait dans ce mystère: ce sont
là les deux principales fins de l’esclavage de Jésus en Marie.
244. Remarquez, s’il vous plait, que je dis ordinairement:
l’esclave de Jésus en Marie, l’esclavage de Jésus en Marie. On
peut, à la vérité, comme plusieurs ont fait jusqu’ici, dire
l’esclave de Marie, l’esclavage de la Sainte Vierge; mais je
crois qu’il vaut mieux qu’on se dise l’esclave de Jésus en
Marie, comme le conseilla Monsieur Tronson, supérieur général
du Séminaire de Saint-Sulpice, renommé pour sa rare prudence
et sa piété consommée, à un ecclésiastique qui le consultait
sur ce sujet: En voici les raisons:
245. 1 Comme nous sommes dans un siècle orgueilleux, où il y
a un grand nombre de savants enflés, d’esprits forts et
critiques, qui trouvent à redire dans les pratiques de piété
les mieux établies et les plus solides, pour ne pas leur
donner une occasion de critique sans nécessité, il vaut mieux
dire l’esclavage de Jésus-Christ en Marie, et se dire
l’esclave de Jésus-Christ que l’esclave de Marie; prenant la
dénomination de cette dévotion, plutôt de sa fin dernière, qui
est Jésus-Christ, que du chemin et du moyen pour arriver à
cette fin, qui est Marie; quoiqu’on puisse, dans la vérité,
faire l’un et l’autre sans scrupule, ainsi que je fais. Par
exemple, un homme qui va d’Orléans à Tours, par le chemin
d’Amboise, peut fort bien dire qu’il va à Amboise et qu’il va
à Tours; qu’il est voyageur d’Amboise et voyageur de Tours;
avec cette différence, cependant, qu’Amboise n’est que sa
route droite pour aller à Tours, et que Tours seul est sa fin
dernière et terme de son voyage.
246. 2 Comme le principal mystère qu’on célèbre et qu’on
honore en cette dévotion est le mystère de l’Incarnation, où
on ne peut voir Jésus-Christ qu’en Marie, et incarné dans son
sein, il est plus à propos de dire l’esclavage de Jésus en
Marie, de Jésus résidant et règnant en Marie, selon cette
belle prière de tant de grands hommes: O Jésus, vivant en
Marie, venez et vivez en nous, en votre esprit de sainteté,
etc.
247. 3 Cette manière de parler montre davantage l’union
intime qu’il ya a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si
intimement, que l’un est tout dans l’autre: Jésus est tout en
Marie, et Marie toute en Jésus; ou plutôt, elle n’est plus,
mais Jésus tout seul en elle; et on séparerait plutôt la
lumière du Soleil, que Marie de Jésus. En sorte qu’on peut
nommer Notre-Seigneur Jésus de Marie, et la Sainte Vierge
Marie de Jésus.
248. Le temps ne me permettant pas de m’arrêter ici pour
expliquer les excellences et les grandeurs du mystère de Jésus
vivant et règnant en Marie, ou de l’Incarnation du Verbe, je
me contenterai de dire en trois mots que c’est ici le premier
mystère de Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé et le
moins connu; que c’est en ce mystère que Jésus, de concert
avec Marie, dans son sein, qui est pour cela appelé des saints
aula sacramentorum, la salle des secrets de Dieu, a choisi
tous les élus; que c’est en ce mystère qu’il a opéré tous les
mystères de sa vie qui ont suivi, par l’acceptation qu’il en
fit: Jesus ingrediens mundum dicit: Ecce venio ut faciam,
voluntatem tuam etc.; et, par conséquent, que ce mystère est
un abrégé de tous les mystères, qui renferme la volonté et la
grâce de tous; enfin, que ce mystère est le trône de la
miséricorde, de la libéralité et de la gloire de Dieu. Le
trône de sa miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut
approcher de Jésus que par Marie, on ne peut voir Jésus ni lui
parler que par l’entremise de Marie. Jésus, qui exauce
toujours sa chère Mère, y accorde toujours sa grâce et sa
miséricorde aux pauvres pécheurs: Adeamus ergo cum fiducia ad
thronum gratiae. C’est le trône de sa libéralité pour Marie,
parce que, tandis que ce nouvel Adam a demeuré dans ce vrai
paradis terrestre, il y a opéré tant de merveilles en cachette
que ni les anges, ni les hommes ne les comprennent point;
c’est pourquoi les saints appellent Marie la magnificence de
Dieu: Magnificentia Dei, comme si Dieu n’était magnifique
qu’en Marie: Solummodo ibi magnificus [est] Dominus. C’est le
trône de sa gloire pour son Père, parce que c’est en Marie que
Jésus-Christ a parfaitement calmé son Père, irrité contre les
hommes; qu’il a parfaitement réparé la gloire que le péché lui
avait ravie, et que, par le sacrifice qu’il y a fait de sa
volonté et de lui-même, il lui a donné plus de gloire que
jamais ne lui avaient donné tous les sacrifices de l’ancienne
loi, et enfin qu’il lui a donné une gloire infinie, que
jamais il n’avait encore reçue de l’homme.
[Grande dévotion à l’Ave Maria et au chapelet]
249. Cinquième pratique. – Ils auront une grande dévotion à
dire l’Ave Maria, ou la Salutation angélique, dont peu de
chrétiens, quoique éclairés, connaissent le prix, le mérite,
l’excellence et la nécessité. Il a fallu que la Sainte Vierge
ait apparu plusieurs fois à de grands saints fort éclairés
pour leur en montrer le mérite, comme à saint Dominique, à
saint Jean de Capistran, au bienheureux Alain de la Roche. Ils
ont composé des livres entiers des merveilles et de l’efficace
de cette prière pour convertir les pécheurs; ils ont publié
hautement, ils ont prêché publiquement que le salut du monde
ayant commencé par l’Ave Maria, le salut de chacun en
particulier était attaché à cette prière; que c’est cette
prière qui a fait porter à la terre sèche et stérile le fruit
de vie, et que c’est cette même prière, bien dite, qui doit
faire germer en nos âmes la parole de Dieu et porter le fruit
de vie, Jésus-Christ; que l’Ave Maria est une rosée céleste
qui arrose la terre, c’est-à-dire l’âme pour la faire porter
son fruit en son temps; et qu’une âme qui n’est pas arrosée
par cette prière ou rosée céleste ne porte point de fruit et
ne donne que des ronces et des épines, et est prête d’être
maudite.
250. Voici ce que la Très Sainte Vierge révéla au bienheureux
Alain de la Roche, comme il est marqué dans son livre De
dignitate Rosarii, et depuis par Cartagena: Sache, mon fils,
et fais-le connaître à tous, qu’un signe probable et prochain
de la damnation éternelle est d’avoir de l’aversion, de la
tiédeur et de la négligence à dire la Salutation angélique,
qui a réparé tout le monde: Scias enim et secure intelligas et
inde late omnibus patefacias, quod videlicet signum probabile
est et propinquum aeternae damnationis horrere et attediari ac
negligere Salutationem angelicam, totius mundi reparativam (De
dignit., cap 11). Voilà des paroles bien consolantes et bien
terribles, qu’on aurait peine à croire si nous n’en avions
pour garants ce saint homme et saint Dominique devant lui, et
depuis plusieurs grands personnages, avec l’expérience de
plusieurs siècles. Car on a toujours remarqué que ceux qui
portent la marque de la réprobation, comme tous les hérétiques
et impies, orgueilleux et mondains, haïssent ou méprisent
l’Ave Maria et le chapelet. Les hérétiques apprennent et
récitent encore le Pater, mais non pas l’Ave Maria, ni le
chapelet; c’est leur horreur: ils porteraient plutôt un
serpent sur eux qu’un chapelet. Les orgueilleux aussi, quoique
catholiques, comme ayant les mêmes inclinations que leur père
Lucifer, méprisent ou n’ont que de l’indifférence pour l’Ave
Maria, et regardent le chapelet comme un dévotion de
femmelette qui n’est bonne que pour les ignorants et ceux qui
ne savent point lire. Au contraire, on a vu, par expérience,
que ceux et celles qui ont d’ailleurs de grandes marques de
prédestination aiment, goûtent et récitent avec plaisir l’Ave
Maria; et que plus ils sont à Dieu, et plus ils aiment cette
prière. C’est ce que la Sainte Vierge dit aussi au bienheureux
Alain, en suite des paroles que je viens de citer.
251. Je ne sais pas comment cela se fait ni pourquoi, mais
cela est pourtant vrai; et je n’ai pas un meilleur secret,
pour connaître si une personne est de Dieu, que d’examiner si
elle aime à dire l’Ave Maria et le chapelet. Je dis: elle
aime; car il peut arriver qu’une [personne] soit dans
l’impossibilité naturelle ou même surnaturelle de le dire,
mais elle l’aime toujours et elle l’inspire aux autres.
252. AMES PREDESTINEES, ESCLAVES DE JESUS EN MARIE, apprenez
que l’Ave Maria est la plus belles de toutes les prières après
le Pater; c’est le plus parfait compliment que vous puissiez
faire à Marie, puisque c’est le compliment que le Très-Haut
lui envoya faire par un archange pour gagner son coeur; et il
fut si puissant sur son coeur, par les charmes secrets dont il
est plein, que Marie donna son consentement à l’Incarnation du
Verbe, malgré sa profonde humilité. C’est par ce compliment
aussi que vous gagnerez infailliblement son coeur, si vous le
dites comme il faut.
253. L’Ave Maria bien dit, c’est-à-dire avec attention,
dévotion et modestie, est, selon les saints, l’ennemi du
diable, qui le met en fuite, et le marteau qui l’écrase, la
sanctification de l’âme, la joie des anges, la mélodie des
prédestinés, le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de
Marie et la gloire de la Très Sainte Trinité. L’Ave Maria est
une rosée céleste qui rend l’âme féconde; c’est un baiser
chaste et amoureux qu’on donne à Marie, c’est une rose
vermeille qu’on lui présente, c’est une perle précieuse qu’on
lui offre, c’est un coup d’ambroisie et de nectar divin qu’on
lui donne. Toutes ces comparaisons sont des saints.
254. Je vous prie donc instamment, par l’amour que je vous
porte en Jésus et en Marie, de ne vous pas contenter de
réciter la petite couronne de la Sainte Vierge, mais encore
votre chapelet, et même, si vous en avez le temps, votre
rosaire, tous les jours, et vous bénirez, à l’heure de votre
mort, le jour et l’heure que vous m’avez cru; et, après avoir
semé dans les bénédictions de Jésus et de Marie, vous
recueillerez des bénédictions éternelles dans le ciel: Qui
seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet. [2 Co
9,6]
[Récitation du Magnificat]
255. Sixième pratique. – Pour remercier Dieu des grâces qu’il
a faites à la Très Sainte Vierge, ils diront souvent le
Magnificat, à l’exemple de la bienheureuse Marie d’Oignies et
de plusieurs autres saints. C’est la seule prière et le seul
ouvrage que la Sainte Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus
a fait en elle, car il parlait par sa bouche. C’est le plus
grand sacrifice de louange que Dieu ait reçu dans la loi de
grâce. C’est d’un côté le plus humble et le plus
reconnaissant, et de l’autre le plus sublime et le plus relevé
de tous les cantiques: il y a dans ce cantique des mystères si
grands et si cachés, que les anges en ignorent. Gerson, qui a
été un docteur si pieux et si savant, après avoir employé une
grande partie de sa vie à composer des traités si pleins
d’érudition et de piété sur les matières les plus difficiles,
n’entreprit qu’en tremblant, vers la fin de sa vie,
d’expliquer le Magnificat, afin d’en couronner tous ses
ouvrages. Il nous rapporte, dans un volume in-folio qu’il en a
composé, plusieurs choses admirable du beau et divin cantique.
Entre autres choses, il dit que la Très Sainte Vierege le
récitait souvent elle-même, et particulièrement après la
Sainte Communion, pour action de grâces. Le savant Benzonius,
en expliquant le même Magnificat, rapporte plusieurs miracles
opérés par sa vertu, et il dit que les diables tremblent et
s’enfuient quand ils entendent ces paroles du Magnificat:
Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente
cordis sui.
[Le mépris du monde]
256. Septième pratique. – Les fidèles serviteurs de Marie
doivent beaucoup mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et
se servir des pratiques de mépris du monde que nous avons
données dans la première partie.
Pratiques particulières et intérieures pour ceux qui veulent
devenir parfaits.
257. Outre les pratiques extérieures qu’on vient de rapporter,
lesquelles il ne faut pas omettre par négligence ni mépris,
autant que l’état et condition de chacun le permet, voici des
pratiques intérieures bien sanctifiantes pour ceux que le
Saint-Esprit appelle à une haute perfection.
C’est en quatre mots, de faire toutes ses actions PAR
MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR MARIE, afin de les faire
plus parfaitement par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en
Jésus et pour Jésus.
[Faire toutes ses actions par Marie]
258. 1 Il faut faire ses actions par Marie, c’est-à-dire
qu’ils faut qu’ils obéissent en toutes choses à la Très Sainte
Vierge, et qu’ils se conduisent en toutes choses par son
esprit, qui est le Saint-Esprit de Dieu. Ceux qui sont
conduits de l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu: Qui spiritu
Dei aguntur, ii sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par
l’esprit de Marie sont enfants de Marie, et, par conséquent,
enfants de Dieu, comme nous avons montré, et parmi tant de
dévots à la Sainte Vierge, il n’y a de vrais et fidèles dévots
que ceux qui se conduisent par son esprit. J’ai dit que
l’esprit de Marie était l’esprit de Dieu, parce qu’elle ne
s’est jamais conduite par son propre esprit, mais toujours par
l’esprit de Dieu, qui s’en est tellement rendu le maître qu’il
est devenu son propre esprit. C’est pourquoi saint Ambroise
dit: Sit in singulis, etc.: Que l’âme de Marie soit en chacun
pour glorifier le Seigneur; que l’esprit de Marie soit en
chacun pour se réjouir en Dieu. Qu’une âme est heureuse quand,
à l’exemple d’un bon frère Jésuite, nommé Rodriguez, mort en
odeur de sainteté, elle est toute possédée et gouvernée par
l’esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et
prudent, humble et courageux, pur et fécond!
259. Afin que l’âme se laisse conduire par cet esprit de
Marie, il faut: 1 Renoncer à son propre esprit, à ses propres
lumières et volontés avant de faire quelque chose: par
exemple, avant de faire oraison, dire ou entendre la sainte
Messe, communier, etc.; parce que les ténèbres de notre propre
esprit et la malice de notre propre volonté et opération, si
nous les suivons, quoiqu’elles nous paraissent bonnes,
mettraient obstacle à l’esprit de Marie. 2 Il faut se livrer
à l’esprit de Marie pour en être mus et conduits de la manière
qu’elle voudra. Il faut se mettre et se laisser entre ses
mains virginales, comme un instrument entre les mains de
l’ouvrier, comme un luth entre les mains d’un bon joueur. Il
faut se perdre et s’abandonner en elle, comme un pierre qu’on
jette dans la mer: ce qui se fait simplement et en un instant,
par une seule oeillade de l’esprit, par un petit mouvement de
la volonté, ou verbalement, en disant, par exemple: Je renonce
à moi, je me donne à vous, ma chère Mère. Et quoiqu’on ne
sente aucune douceur sensible dans cet acte d’union, il ne
laisse pas d’être véritable: tout comme si on disait ce qu’à
Dieu ne plaise: Je me donne au diable, avec autant de
sincérité, quoiqu’on le dît sans changement sensible, on n’en
serait pas moins véritablement au diable. 3 Il faut, de temps
en temps, pendant son action et après l’action, renouveler le
même acte d’offrande et d’union; plus on le fera, et plus tôt
on se sanctifiera, et plus tôt on arrivera à l’union à Jésus-
Christ, qui suit toujours nécessairement l’union à Marie,
puisque l’esprit de Marie est l’esprit de Jésus.
[Faire toutes ses actions avec Marie]
260. 2 Il faut faire ses actions avec Marie: c’est-à-dire
qu’il faut, dans ses actions, regarder Marie comme un modèle
accompli de toute vertu et perfection que le Saint-Esprit a
formé dans un pure créature, pour imiter selon notre petite
portée. Il faut donc qu’en chaque action nous regardions comme
Marie l’a faite ou la ferait, si elle était en notre place.
Nous devons pour cela examiner et méditer les grandes vertus
qu’elle a pratiquées pendant sa vie, particulièrement: 1. sa
foi vie, par laquelle elle a cru sans hésiter la parole de
l’ange; elle a cru fidèlement et constamment jusqu’au pied de
la croix sur le Calvaire; 2. son humilité profonde, qui l’a
fait se cacher, se taire, se soumettre à tout et se mettre la
dernière; 3. sa pureté toute divine, qui n’a jamais ni n’aura
jamais de pareille sous le ciel, enfin toutes ses autres
vertus.
Qu’on se souvienne, je le répète une deuxième fois, que
Marie est le grand et l’unique moule de Dieu, propre à faire
des images vivantes de Dieu, à peu de frais et en peu de
temps; et qu’une âme qui a trouvé ce moule, et qui s’y perd,
est bientôt changée en Jésus-Christ, que ce moule représente
au naturel.
[Faire toutes ses actions en Marie]
261. 3 Il faut faire ses actions en Marie.
Pour bien comprendre cette pratique il faut savoir:
1 Que la Très Sainte Vierge est le vrai paradis
terrestre du nouvel Adam, et que l’ancien paradis terrestre
n’en était que la figure. Il y a donc, dans ce paradis
terrestre, des richesses, des beautés, des raretés et des
douceurs inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a
laissées. C’est en ce paradis qu’il a pris ses complaisances
pendant neuf mois, qu’il a opéré ses merveilles et qu’il a
étalé ses richesses avec la magnificence d’un Dieu. Ce très
saint lieu n’est composé que d’une terre vierge et immaculée,
dont a été formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache
ni souillure, par l’opération du Saint-Esprit, qui y habite.
C’est en ce paradis terrestre où est véritablement l’arbre de
vie qui a porté Jésus-Christ, le fruit de vie; l’arbre de
science du bien et du mal qui a donné la lumière au monde. Il
y a, en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu
et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent
tous les jours des fruits d’un goût divin; il y a des
parterres émaillés de belles et différentes fleurs des vertus,
qui jettent une odeur qui embaume même les anges. Il y a dans
ce lieu des prairies vertes d’espérance, des tours imprenables
de force, des maisons charmantes de confiance, etc. Il n’y a
que le Saint-Esprit qui puisse faire connaître la vérité
cachée sous ces figures de choses matérielles. Il y a encore
en ce lieu un air pur, sans infection, de pureté; un beau
jour, sans nuit, de l’humanité sainte; un beau soleil, sans
ombre, de la Divinité; une fournaise ardente et continuelle de
charité, où tout le fer qui [y] est mis est embrasé et changé
en or; il y a un fleuve d’humilité qui sourd de la terre et
qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu
enchanté; ce sont les quatre vertus cardinales.
262. [2] Le Saint-Esprit, par la bouche des saints Pères,
appelle aussi la Sainte Vierge: 1. la porte orientale, par où
le grand prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde; il y
est entré la première fois par elle, et il viendra la seconde;
2. le sanctuaire de la Divinité, le repos de la très Sainte
Trinité, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l’autel de Dieu,
le temple de Dieu, le monde de Dieu. Toutes ces différentes
épithètes et louanges sont très véritables, par rapport aux
différentes merveilles de grâces que le Très-Haut a faites en
Marie. Oh! quelles richesses! Oh! quelle gloire! Oh! quel
plaisir! Oh! quel bonheur de pouvoir entrer et demeurer en
Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprème!
263. Mais qu’il est difficile à des pécheurs comme nous sommes
d’avoir la permission et la capacité et la lumière pour entrer
dans un lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un
chérubin, comme l’ancien paradis terrestre, mais par le Saint-
Esprit même qui s’en est rendu le maître absolu, de laquelle
il dit: Hortus conclusus soror mea sponsa, hortus conclusus,
fons signatus. Marie est fermée; Marie est scellée; les
misérables enfants d’Adam et d’Eve, chassés du paradis
terrestre, ne peuvent entrer à celui-ci que par une grâce
particulière du Saint-Esprit, qu’ils doivent mériter.
264. Après que, par sa fidélité, on a obtenu cette insigne
grâce, il faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec
complaisance, s’y reposer en paix, s’y appuyer avec confiance,
s’y cacher avec assurance et s’y perdre sans réserve, afin que
dans ce sein virginal:
1. l’âme soit nourrie du lait de sa grâce et de sa miséricorde maternelle;
2. y soit délivrée de ses troubles, craintes et scrupules;
3. y soit en sûreté contre tous ses ennemis, le démon, le monde et le péché, qui
n’y ont jamais eu entrée: c’est pourquoi elle dit que ceux qui
opèrent en elle ne pècheront point: Qui operantur in me, non
peccabunt, c’est-à-dire ceux qui demeurent en la Sainte Vierge
en esprit ne feront point de péché considérable;
4. afin qu’elle soit formée en Jésus-Christ et que Jésus-Christ soit
formé en elle: parce que son sein est, comme disent les Pères,
la salle des sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les
élus ont été formés: Homo et homo natus est in ea.
[Faire toutes ses actions pour Marie]
265. 4 Enfin il faut faire toutes ses actions pour Marie,
Car, comme on s’est tout livré à son service, il est juste
qu’on fasse tout pour elle comme un valet, un serviteur et un
esclave; non pas qu’on la prenne pour la dernière fin de ses
services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin
prochaine et son milieu mystérieux, et son moyen aisé pour
aller à lui. Ainsi qu’un bon serviteur et esclave, il ne faut
pas demeurer oisif; mais il faut, appuyé de sa protection,
entreprendre et faire de grandes choses pour cette auguste
Souveraine. Il faut défendre ses privilèges quand on les lui
dispute; il faut soutenir sa gloire quand on l’attaque; il
faut attirer tout le monde, si on peut, à son service et à
cette vraie et solide dévotion; il faut parler et crier contre
ceux qui abusent de sa dévotion pour outrager son Fils; il ne
faut prétendre d’elle, pour récompense de ses petits services,
que l’honneur d’appartenir à une si aimable Princesse, et le
bonheur d’être par elle uni à Jésus, son Fils, d’un lien
indissoluble dans le temps et l’éternité.
GLOIRE A JÉSUS EN MARIE !
GLOIRE A MARIE EN JÉSUS !
GLOIRE A DIEU SEUL !
[SUPPLEMENT]
MANIÈRE DE PRATIQUER CETTE DÉVOTION DANS LA SAINTE COMMUNION
AVANT LA COMMUNION
266. 1 Vous vous humilierez profondément devant Dieu. 2 Vous
renoncerez à votre fond tout corrompu et à vos dispositions,
quelques bonnes que votre amour-propre vous les fasse voir. 3
Vous renouvellerez votre consécration en disant: Tuus totus
ego sum, et omnia mea tua sunt: Je suis tout à vous ma chère
Maîtresse, avec tout ce que j’ai. 4 Vous supplierez cette
bonne Mère de vous prêter son coeur, pour y recevoir son Fils
dans ses mêmes dispositions. Vous lui représenterez qu’il y va
de la gloire de son Fils de n’être pas mis dans un coeur aussi
souillé que le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait
pas de lui ôter de sa gloire ou de le perdre; mais si elle
veut venir habiter chez vous pour recevoir son Fils, elle le
peut par le domaine qu’elle a sur les coeurs; et que son Fils
sera par elle bien reçu sans souillure et sans danger d’être
outragé ni perdu: Deus in medio ejus non commovebitur. Vous
lui direz confidemment que tout ce que vous lui avez donné de
votre bien est peu de chose pour l’honorer, mais que, par la
sainte communion, vous voulez lui faire le même présent que le
Père éternel lui a fait, et qu’elle en sera plus honorée que
si vous lui donniez tous les biens du monde; et qu’enfin
Jésus, qui l’aime uniquement, désire encore prendre en elle sa
complaisance et son repos, quoique dans votre âme plus sale et
plus pauvre que l’étable, où Jésus ne fit pas difficulté de
venir parce qu’elle y était. Vous lui demanderez son coeur par
ces tendres paroles: Accipio te in mea omnia. Praebe mihi cor
tuum, o Maria!
DANS LA COMMUNION
267. 2 Prêt de recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous
lui direz trois fois: Domine, non sum dignus, etc., comme si
vous disiez, la première fois, au Père éternel, que vous
n’êtes pas digne, à cause de vos mauvaises pensées et
ingratitudes à l’égard d’un si bon Père, de recevoir son Fils
unique, mais que voici Marie, sa servante: Ecce ancilla
Domini, qui fait pour vous, et qui vous donne une confiance et
espérance singulière auprès de sa Majesté: Quoniam
singulariter in spe constituisti me.
268. Vous direz au Fils: Domine, non sum dignus, etc., que
vous n’êtes pas digne de le recevoir à cause de vos paroles
inutiles et mauvaises et votre infidélité en son service; mais
cependant que vous le priez d’avoir pitié de vous parce que
vous l’introduirez dans la maison de sa propre Mère et de la
vôtre, et que vous ne le laisserez point aller qu’il ne soit
venu loger chez elle: Tenui eum, nec dimittam, donec
introducam illum in domum matris meae, et in cubiculum
genitrix meae (Cant 3,4). Vous le prierez de se lever et de
venir dans le lieu de son repos et dans l’arche de sa
sanctification: Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca
santificationis tuae. [Vous lui direz] que vous ne mettez
aucunement votre confiance dans vos mérites, votre force et
vos préparations, comme Esaü, mais dans celles de Marie, votre
chère Mère, comme le petit Jacob dans les soins de Rébecca;
que, tout pécheur et Esaü que vous êtes, vous osez vous
approcher de sa sainteté, appuyé et orné des mérites et vertus
de sa sainte Mère.
269. Vous direz au Saint-Esprit: Domine, non sum dignus, que
vous n’êtes pas digne de recevoir le chef-d’oeuvre de sa
charité, à cause de la tiédeur et iniquité de vos actions et
de vos résistances à ses inspirations, mais que toute votre
confiance est Marie, sa fidèle Epouse; et dites avec saint
Bernard: Haec maxima mea fiducia; haec tota ratio spei meae.
Vous pourrez même le prier de survenir encore en Marie, son
Épouse indissoluble; que son sein est aussi pur et son cœur
aussi embrasé que jamais; et que sans sa descente dans votre
âme, ni Jésus ni Marie n’y seront point formés, ni dignement
logés.
APRÈS LA COMMUNION
270. Après la sainte communion, étant intérieurement
recueilli, et les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ
dans le coeur de Marie. Vous le donnerez à sa Mère, qui le
recevra amoureusement, le placera honorablement, l’adorera
profondément, l’aimera parfaitement, l’embrassera étroitement,
et lui rendra, en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui
nous sont inconnus dans nos ténèbres épaisses.
271. Ou bien vous vous tiendrez profondément humilié dans
votre coeur, en la présence de Jésus résidant en Marie. Ou
vous vous tiendrez comme un esclave à la porte du palais du
Roi, où il est à parler à la Reine; et tandis qu’ils se
parlent l’un à l’autre, sans avoir besoin de vous, vous irez
en esprit au ciel et par toute la terre, prier les créatures
de remercier, adorer et aimer Jésus et Marie en votre place:
Venite, adoremus, venite, etc.
272. Ou bien, vous demanderez vous-même à Jésus en union de
Marie, l’avènement de son règne sur la terre par sa sainte
Mère, ou la divine sagesse, ou l’amour divin, ou le pardon de
vos péchés, ou quelque autre grâce, mais toujours par Marie et
en Marie; disant en vous regardant de travers: Ne respicias,
Domine, peccata mea. Seigneur, ne regardez pas mes péchés; sed
oculi tui videant aequitates Mariae: mais que vos yeux ne
regardent en moi que les vertus et mérites de Marie. Et en
vous souvenant de vos péchés, vous ajouterez: Inimicus homo
hoc fecit: C’est moi, qui suis le plus [grand] ennemi que j’ai
sur les bras, qui ai fait ces péchés; ou bien: Ab homine
iniquo et doloso erue me, ou bien: Te oportet crescere, me
autem minui: Mon Jésus, il faut que vous croissiez dans mon
âme et que je décroisse. Marie, il faut que vous croissiez
chez moi, et que je sois moins que je n’ai été. Crescite et
multiplicamini: O Jésus et Marie, croissez en moi, et
multipliez-vous au dehors dans les autres.
273. Il y a une infinité d’autres pensées que le Saint-Esprit
fournit, et vous fournira si vous êtes bien intérieur,
mortifié et fidèle à cette grande et sublime dévotion que je
viens de vous enseigner. Mais souvenez-vous que plus vous
laisserez agir Marie dans votre communion, et plus Jésus sera
glorifié; et vous laisserez plus agir Marie pour Jésus, et
Jésus en Marie, que vous vous humilierez plus profondément et
vous les écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en
peine de voir, goûter, ni sentir; car le juste vit partout de
la foi, et particulièrement dans la sainte communion, qui est
une action de foi: Justus meus ex fide vivit.