Toute notre tâche consiste à passer aux actes - Saint Vincent de Paul
« Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson » (Mt 9,38)Il y a bien des gens qui, pour avoir l’extérieur bien composé et l’intérieur rempli de grands sentiments de Dieu, s’arrêtent à cela ; ils se contentent des doux entretiens qu’ils ont avec Dieu dans l’oraison. Ne nous trompons pas : toute notre tâche consiste à passer aux actes.
Et cela est tellement vrai que l’apôtre saint Jean nous déclare qu’il n’y a que nos œuvres qui nous accompagnent dans l’autre vie ;
Alors j’ai entendu une voix qui venait du ciel. Elle disait : « Écris : Heureux, dès à présent, les morts qui meurent dans le Seigneur. Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs peines, car leurs actes les suivent ! » (Ap 14,13).
Faisons donc réflexion à cela ; d’autant plus qu’en ce siècle il y en a beaucoup qui semblent vertueux, et qui en effet le sont, qui néanmoins inclinent à une voie douce et molle plutôt qu’à une dévotion laborieuse et solide. L’Église est comparée à une grande moisson qui requiert des ouvriers, mais des ouvriers qui travaillent.
Il n’y a rien de plus conforme à l’Évangile que d’amasser, d’un côté, des lumières et des forces pour son âme dans l’oraison, dans la lecture et dans la solitude, et d’aller ensuite faire part aux hommes de cette nourriture spirituelle.
C’est faire comme notre Seigneur a fait, et, après lui, ses apôtres ; c’est joindre l’office de Marthe à celui de Marie ; c’est imiter la colombe, qui digère à moitié la pâture qu’elle a prise et puis met le reste par son bec dans celui de ses petits pour les nourrir.
Voilà comme nous devons faire, voilà comme nous devons témoigner à Dieu par nos œuvres comme nous l’aimons. Toute notre tâche consiste à passer aux actes.
Marguerite Rutan une intrépide fille de Saint Vincent
Bienheureuse Marguerite
Texte extrait du journal Sud Ouest du 16 mars 2010
Le 19 juin 2011, plus de deux cents ans après sa décapitation, sœur Marguerite Rutan, première supérieure de l’hôpital, sera béatifiée par l’émissaire du pape dans les arènes de la ville. Sous l’égide de Mgr Breton, un comité permanent et 15 « animateurs de chantiers » préparent la béatification de sœur Marguerite Rutan.
Il fut un temps où l’on suppliciait dans les arènes les chrétiens qui refusaient d’abjurer leur foi. Dimanche 19 juin à Dax, presque deux millénaires plus tard, les catholiques ont à nouveau rendez-vous dans les arènes, mais pas pour des jeux du cirque nouveau genre. Plus habituée à accueillir des corridas, des courses landaises ou des concerts, l’enceinte à ciel ouvert servira de cadre à la béatification de sœur Marguerite Rutan, célébrée par le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints au Vatican.
Entre 5 000 et 8 000 personnes
Le 1er juillet dernier, le pape Benoît XVI a en effet ratifié le décret reconnaissant officiellement le martyre de sœur Marguerite Rutan, décapitée à Dax sous la Terreur le 9 avril 1794. Et, depuis septembre, sous l’égide de Mgr Philippe Breton, l’évêque des Landes, le diocèse d’Aire et Dax prépare cet évènement d’envergure, auquel devraient participer entre 5 000 et 8 000 personnes. « C’est une manifestation tout à fait exceptionnelle », souligne Mgr Breton, qui a repris le flambeau rallumé par son prédécesseur, Mgr Robert Sarrabère. « Depuis son élection, Benoît XVI a trouvé normal que la première étape vers la canonisation ait lieu là où la personne concernée a vécu sa vie. »
La première de ces béatifications délocalisées s’était déroulée le 16 septembre 2007 en la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Religieuse clarisse née en Dordogne et décédée en 1897 au couvent de Talence, sœur Marie-Céline de la Présentation accédait au rang des bienheureux. Le 5 juillet 2009 à Castres, elle était suivie de près par Jeanne-Émilie de Villeneuve, sœur de l’Immaculée Conception morte en 1854. Née à Metz le 23 avril 1736, Marguerite Rutan aura dû attendre encore plus longtemps que ses deux consœurs pour être béatifiée. Et bien plus longtemps encore que son coreligionnaire JeanPaul II, dont la béatification sera célébrée un mois et demi avant la sienne, le 1er mai prochain, à Rome. À croire que, même en cette matière, l’inégalité hommes-femmes prévaut, à en juger par le parcours sinueux qu’a suivi le dossier de Marguerite Rutan jusqu’à la signature papale ! « Les coureurs cyclistes crèvent leurs pneus sur les pavés de Paris-Roubaix. Fréquenter les tapis rouges sous les ors des palais apostoliques présente autant de difficultés », commente avec humour le père Alfred Brettes, chancelier du diocèse d’Aire et Dax, qui peut parler pendant des heures de la bienheureuse sortie de l’oubli.
De Metz à Dax via Pau
Après son noviciat à Paris et un passage à Toulouse, sœur Rutan est envoyée en 1757 à l’hôpital de Pau par la congrégation des Filles de la Charité. Elle le dirige pendant dix ans et s’emploie à éduquer et donner un métier aux « enfants trouvés » au sein de la manufacture de laine des Pyrénées tenue par l’hospice.
De 1767 à 1773, selon les règles de l’ordre fondé par Vincent de Paul et Louise de Marillac, la religieuse est missionnée à Agde, Autun, Brest, Belle-Isle, Fontainebleau, Blangysur-Bresle, Troyes… jusqu’à son arrivée à Dax, en 1779. « Femme de caractère et de décision », elle prend la direction du nouvel hôpital Saint-Eutrope, aujourd’hui hôpital thermal de la sous-préfecture landaise.
De cette époque subsiste la chapelle, construite selon les plans de la religieuse. Jusqu’en 1793, sœur Rutan, aidée de six autres filles de la Charité, s’occupe des « miséreux » et des malades, recueille et éduque les enfants abandonnés, scolarisés dans deux classes, et ouvre des lits pour les filles-mères parvenues au huitième mois de grossesse. Une action sociale avant-gardiste qui lui gagne le cœur de la population. Mais la Révolution française éclate, suivie de la Terreur.
En 1790, les ordres religieux sont supprimés. Deux ans plus tard, les religieuses dacquoises sont accusées de vols et de vouloir « corrompre et ralentir l’esprit révolutionnaire et républicain » des soldats soignés à l’hôpital. En 1793, le couvent des Capucins de Dax devient une prison pour hommes, celui des Carmes un centre de détention pour femmes. C’est là que sœur Rutan finit par être incarcérée. Jugée par un tribunal révolutionnaire, elle est décapitée le jour même, le 20 germinal de l’an II (9 avril 1794), sur la place Poyanne, près du futur hôtel Splendid. Un prêtre réfractaire, Jean Eutrope de Lannelongue, est exécuté en même temps qu’elle.
Oubliée à Rome
Le cas de ce prêtre, comme celui de cinq autres martyrs landais potentiels, est joint à la cause de sœur Rutan lorsque le dossier est réactivé, en 1994, par Mgr Sarrabère. L’abbé Michel Devert, aujourd’hui retiré à Mézos, a travaillé pendant cinq ans sur les archives pour étayer leurs causes. « Il m’a dit avoir passé un contrat avec le Ciel pour ne pas mourir avant la béatification ! » confie Mgr Breton.
Car la messe solennelle du 19 juin conclura un long chemin de croix. Lancé en 1907 dans les Landes, un premier procès, dit informatif, est suivi de deux autres à la demande de Rome… qui oublie d’ouvrir la cause de la religieuse française dans les dix ans réglementaires. Erreur réparée en 1917 par Benoît XV, avant que le dossier ne retombe dans les limbes, jusqu’à une nouvelle piqûre de rappel landaise, en 1999. Le Vatican demandera néanmoins en 2002 la disjonction du cas de Marguerite Rutan des autres dossiers landais.
Béatification
Au final, cette fille de la Charité « qui a donné sa vie radicalement » sera béatifiée dans les arènes dacquoises le 19 juin 2011. En plein débat sur la laïcité, l’évènement ne devrait pas manquer d’échos au-delà du ruedo.