La poésie du Moyen-Age a parfois heureusement conservé ce que le crible de l’histoire n’a pas retenu. C’est ainsi que nous connaissons les grandes lignes de la vie de Sainte Tarcisse grâce à un poème en vers latins en l’honneur de Charlemagne, attribué au moine Colomban, et composé vers le début du IXème siècle.
Sainte Tarcisse priez pour nous
Tarcisse appartenait à l’illustre famille des Ferréol, qui possédait des biens considérables dans la Gaule Narbonnaise et dans les Cévennes.
Le fils de Ferréol 1er, connu sous le nom de Tonance Ferréol II, naquit vers 420 après Jésus-Christ, dans la villa de Trévidon d’où, selon Sidoine Apollinaire, on apercevait le Mont Lozère « qui surpasse le Caucase de Scythie », et le Tarn « dont l’onde transparente et rapide nourrit des poissons à la chair ferme et délicieuse ».
Ferréol II qui, comme son frère, mérita d’être élevé, vers 450 à la dignité de préfet des Gaules épousa une fille de l’empereur Avitus, soeur de Papianilla, femme de Saint Sidoine Apollinaire, qui devait, par la suite, être appelé par le peuple à monter sur le siège épiscopat de Clermont.
Ces liens de parenté de Sidoine Apollinaire avec Ferréol II, nous ont valu quelque renseignements précieux sur la famille de Sainte Tarcisse. Ils viennent confirmer ceux du poème du moine Colonban, mais ils y ajoutent quelques détails sur la sagesse avec laquelle Ferréol II administra les Gaules et sur ses négociations habiles avec le roi des Goths, Thorismond, qu’il décida à abandonner la région d’Arles et à retourner à Toulouse.
Après un voyage à Rome où il alla appuyer les plaintes du peuple contre Arvandus, son successeur dans la préfecture des Gaules, Ferréol II se retira dans la ville de Prusian, puis dans celle de Trévidon dans l’Aquitaine qui n’était pas encore occupée par les Wisigoths et où il devait mourir vers 490. Il laissait deux fils : Roricius, Évêque d’Uzès de 505 à 507, et Ferréol III, qui épousa Industria que Clovis aurait eue d’une autre femme que Sainte Clotilde.
A son tour, Ferréol III eut cinq fils : Ansbert, Déochaire, Evêque d’Arisiturq, Firmin, Evêque d’Uzès, Aigulfe, évêque de Metz et Gamardus.
Depuis la route Ansbert, créé duc d’Austrasie, s’établit vers 530 à Metz, capitale du royaume de Thiérry, l’un des fils de Clovis, qui possédait en outre Cahors, le Rouergue et l’Auvergne. Il y remplit auprès du souverain les fonctions de maire du palais.
Il épousa Blithilde, fille de Clotaire 1er, roi de France et petite fille de Clovis, et il en eut quatre enfants : Saint Mondéric, qui devait succéder à son oncle Saint Déothaire sur le siège Episcopal d’Arisitum, situé, croit-on, au Vigan, Saint Ferréol, qui fut élevé par Saint Firmin et lui succèda sur le siège épiscopal d’Uzès, Arnold, et Sainte Tarcisse.
D’après le moine Colomban, Arnold aurait eu deux enfants, Saint Chloud, Evêque de Metz, et Anségise qui, de son mariage avec Begga, fille de Pépin de Landen, eut un fils, Pépin d’Héristal, de qui descendrait directement Charlemagne, par Charles Martel et Pépin le Bref.
Encore que l’on puisse contester certains détails de cette généalogie, elle n’en demeure pas moins historique dans les grandes lignes, comme le fait observer l’abbé Servières, et prouve que Sainte Tarcisse s’inscrit dam une phalange d’ancêtres aussi nobles que saints.
Saint Ferréol, second fils d’Ansbert étant né en 521, la date de la naissance de sa soeur, Sainte Tarcisse, ne peut être antérieure à 523, ni postérieure à 530 ; il est donc possible qu’elle soit née à Trévidon, avant que son père partit pour Metz.
Dès son plus jeune âge, la Providence veilla sur elle. Un jour que sa nourrice l’avait laissée seule dans sa chambre, nous dit un manuscrit de la fin du XVIIème siècle trouvé à Conques et qui s’inspire du « Sanctoral » de Bernard Guy, évêque de Lodève, en 1324, dont il ne rate que des fragments à la Bibliothèque Nationale, un incendie éclate à l’intérieur du palais, les serviteurs s’étant précipités pour sauver l’enfant, la trouvèrent saine et sauve au milieu des flammes, ses petites mains tendues et ses yeux levés vers le ciel. A dater de ce jour, ils ne doutèrent pas qu’elle fut promise à la plus haute destinée.
Et le biographe de Conques ajoute que, dès l’âge de raison, « elle commença à répandre sa lumière dans tout le royaume comme un soleil à son midi ».
Il se laisse entraîner, bien sûr, par son élan poétique. Le cardinal Pitra est plus objectif lorsqu’il écrit que le palais mérovingien devint alors « le foyer d’un mouvement civilisateur qui allait rapidement transformer un peuple barbare ». Une école fut fondée à Metz, à l’ombre de la chapelle royale de Saint-Martin, et ses maîtres, Avitus et Apollinaire virent accourir vers eux de nombreux nobles gallo-romains, dépositaires de la foi et de la science que les envahisseurs avaient mises en péril.
On y enseignait les sept arts libéraux, qui allaient constituer, pendant près de douze siècles, la base de l’enseignement : la grammaire, la dialectique, la rhétorique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie et la musique. Les femmes elles-mêmes cédaient à l’attrait de ces études : on citait les écrits de Sulpicia, les leçons de Fassica. Au dire de Venante Fortunat, Sainte Radegonde de Poitiers, veuve de Clotaire1er, lisait les Pères grecs et latins.
Le petit pont
Les maître les plus éminents ne manquèrent donc pas à Sainte Tarcisse. Elle devait les étonner par la rapidité et l’éclat de ses progrès. Elle acquit surtout une connaissance parfaite des Livres Saints. Ainsi, lentement, elle s’élevait vers le Créateur, dont l’amour embrasait si intensément son âme qu’il devint, comme pour Sainte Thérèse « un abîme dont elle n’aurait pu sonder la profondeur ».
Est-il, dès lors, surprenant que Tarcisse ait songé à se consacrer toute entière à Dieu par le voeu de virginité ?
Cependant sa radieuse et rare beauté, sa grâce, la noblesse de son maintien et sa brillante culture attiraient tous la regards et lui gagnaient tous les coeurs. Un jeune prince de Germanie demanda sa main à ses parents et fut agréé. Mais aux instances les plus pressantes, Tarcisse opposa le plus ferme refus. Avoua-t-elle à son père la décision qu’elle avait prise ?
C’est possible, mais ce n’est pas certain. Si elle l’avait fait, le maire du palais aurait pu songer à demander à l’autorité épiscopale l’annulation de ce voeu qui pouvait paraître prématuré.
Il est plus probable que Tarcisse, très jeune encore et qui hésitait, connaissant la faiblesse humaine, à s’engager dans une voie qui la conduirait à la sainteté, demanda à réfléchir et pria ses parents, quelle voulait habituer peu à peu à la séparation inévitable, de lui permettre de continuer à prier loin du monde et de demander à Dieu ses grâces et ses lumières.
Prenant pour une hésitation ce qui n’était qu’un excès de tendresse et d’humilité, Ansbert fixa le jour des noces. Tarcisse alors ne vit d’autre moyen de salut que la fuite. Quittant subrepticement le palais, elle se dirigea vers les montagnes du Rouergue, sans souci du danger qu’elle allait courir.
Sa disparition consterna ses parents qui mirent tout en oeuvre pour trouver la fugitive. En vain « le Seigneur, dit le chroniqueur de Conques, lui servir d’ombre et la mit à couvert de l’artifice des hommes ».
On pense que Tarcisse se rendit d’abord auprès de son oncle, Saint Déothaire, évêque d’Arisitum. Cet évêché qui groupait quelques paroisses rurales, à cheval sur le Gard et sur l’Aveyron, avait sans doute été constitué par les Ferréol aux dépens des diocèses de Rodez, d’Usès, de Nimes et de Lodève.
En Gaule, au IVème siècle, les évêques abondaient jusque dans les « pagi », si bien que l’Eglise eut quelque peine à les supprimer, par la suite, pour rehausser l’autorité et le prestige de l’épiscopat.
Combien de temps Tarcisse resta-t-elle à Arisitum ? On l’ignore. Il est probable que, ne s’y estimant pas en sécurité et craignant que les envoyés de son père ne l’y découvrissent, elle se mit rapidement en quête d’une retraite plus sûre, où elle se sentirait à la fois plus éloignée du monde et plus proche de Dieu.
Elle devait la trouver dans le bois de Rodelle. Ce site est grandiose et sauvage. Entre la vallée du Dourdou qui, de Bozouls, par Villecomal et Conques, va se jeter dans le Lot à Grandvabre, et le petit ruisseau nommé la Coussonne s’élève un promontoire défendu par des pentes abruptes et couronné par trois énormes rochers.
C’est au pied de l’un d’eux, et non à son sommet, que s’élevait au temps de Sainte Tarcisse, un château, qui devint par la suite la propriété des Comtes de Rouergue et dont l’Eglise romane actuelle était sans nul doute la chapelle.
Il dut être détruit, avec celui de Bozouls en 1484, le Comte Pierre d’Armagnac, qui les occupait, ayant refusé de rendre hommage à Louis XI. Lorsqu’on descend la Coussonne, qui coule au fond du vallon du Bac. on rencontre un autre ruisseau plus petit. En le remontant on arrive, au bout de deux cents mètres de marche, au pied d’une montagne abrupte au sommet de laquelle commence le plateau de Lagnac.
Là, dans le roc calcaire, s’ouvre une grotte dont l’entrée n’a qu’un mètre cinquante de haut sur soixante centimètres de large. De la voûte coulent, une à une, des gouttes d’eau que recueille un bénitier. Telle fut la demeure ou, plutôt le tombeau, selon l’expression de l’abbé Servières, où Tarcisse vint s’ensevelir vivante.
Mais comment allait-elle pouvoir y vivre ? C’était, à coup sûr, son moindre souci, Dieu ayant proposé, en exemple, à ses créatures, les oiseaux du ciel dont il assure la nourriture.
En effet, matin et soir, une chèvre, se détachant du troupeau de la Divinie, voisine de Lagnac, descendait jusqu’à la grotte et offrait à Tarcisse son lait.
Nuit et jour, au dire de son chroniqueur de Conques, la Vierge mérovingienne « conversait avec les anges », dont elle était la soeur par pureté, et s’appliquait à rendre sans cesse plus parfaite sa connaissance de son Epoux céleste et plus profond son amour pour lui.
Préservée, croit-on, de toute douleur corporelle, elle languissait cependant dans cet exil terrestre et souffrait de la nostalgie du Ciel.
Un jour, enfin, cette âme d’élite acheva de rompre le faible lien qui la rattachait à la terre. Une intense clarté émanant de la grotte attira les habitants des environs. Ils se prosternèrent devant le corps dont le parfum révélait la sainteté. Mais, comme ils n’osaient le toucher, ils firent demander à l’évêque de Rodez de venir présider à son enlèvement.
C’était alors, Saint Dalmas, qui occupa le siège épiscopal de 516 à 581. Escorté de son clergé, il se rendit à Rodelle et descendit à la gtotte. Mais les habitants de Lagnac et de Rodelle se disputant la possession de la précieuse dépouille, il décida de s’en remettre à la décision de la Providence.
On la mit donc sur un char attelé de deux taureaux indomptés, qui choisiraient leur route à leur gré. Ils se dirigèrent vers Rodelle, puis vers Lagnac, où un bras de la Sainte se détacha.
En souvenir de ce fait miraculeux, l’église de ce village possède un reliquaire en forme de bras, surmonté d’une main de femme. Il contient des reliques de Sainte Tarcisse. Les taureaux, faisant demi-tour, prirent ensuite le chemin de Rodez.
Aux portes de la ville, le cortège rencontra le convoi funèbre d’un jeune homme que Saint Dalmas, inspiré par le Ciel, fit arrêter. Il se mit alors en prières avec tous les assistants et demanda à Dieu, « s’il voulait que son nom fut glorifié par Sainte Tarcisse, de faire revenir le défunt à la vie. » Puis, il prit la main de Tarcisse et la posa sur la poitrine du jeune homme qui, aussitôt, sortit de son cercueil, plein de vie, en présence de la foule frappée d’admiration et de stupeur.
La dépouille de la petite sainte fut déposée dans la chapelle de Saint Vincent, située dans le quartier de la Cité. Mais elle était construite en bois, et un incendie la détruisit. Les reliques de Sainte Tarcisse purent, cependant, être sauvées et furent transportées dans l’abbaye des religieuses bénédictines de Saint-Sernin-sous-Rodez, appelée aujourd’hui le Monastère-sous-Rodez.
Le chroniqueur de Conques affirme que « quantité de merveilles arrivèrent pendant cette cérémonie. » le 8 juillet 1691, l’abbesse Christine de Noailles fit déposer la châsse à la limite du choeur et de la nef, pour satisfaire à la fois la dévotion des religieuses et celle des fidèles. En 1793, l’abbaye subit le sort commun à tous les monastères, mais les reliques de Sainte Tarcisse échappèrent en grande partie au pillage et à la destruction, grâce à un prêtre et à deux serviteurs de l’abbaye.
Le dépôt le plus important se trouve au couvent des Carmélites de Rodez, mais de nombreuses Eglises du diocèse possèdent des fragments d’ossements qui leur ont été donnés par les religieuses de Saint-Sernin ou par les Carmélites. L’église du Monastère-sous-Rodez conserve encore la châsse qu’avait fait confectionner l’abbesse de Noailles, mais le chef de Sainte-Tarcisse a disparu.
Elle a été construite avec les pierres de la vieille église de Verrayrettes, dont il ne reste plus que le choeur mutilé, au flanc d’une colline voisine de Rodelle. M. l’abbé René Pouget, successeur de M. l’abbé Lagarrigue, a fait placer sur l’autel de cette chapelle une statue en pierre de la Sainte, dont j’avais demandé à Denis Puech d’établir la maquette.
Ce devait être l’une des dernières oeuvres du maître, auquel l’Amicale Parisienne des Enfants de Bozouls, a rendu, en 1955, sur mon initiative, un hommage solennel en élevant à Bozouls un monument à sa mémoire et à celle de son frère Louis, député et ancien ministre.
Le plus ancien calendrier du diocèse de Rodez, qui remonte à l’an 1300, fait mention de la fête de Sainte Tarcisse, célébrée le 15 janvier. Chaque année, le troisième dimanche après Pâques et le jeudi de l’Ascension, à tour de rôle, les habitants de Lagnac et de Rodelle se rendent en pèlerinage à la grotte. Mais c’est le premier dimanche de septembre que les pèlerins, particulièrement nombreux, viennent la prier et implorer sa protection.
Marc-André Fabre
Prière à Sainte Tarcisse
Douce Vierge, sainte Tarcisse. vous qui avez choisi pour demeure un coin de notre terre, qui l’avez sanctifié par votre pureté angélique et votre ardente charité et dont, même après de longs siècles, la vertu nous sert de modèle ;
Vous qui êtes aujourd’hui notre protectrice, qui veillez sur nos terres et sur nos villages ;
Vous, qui manifestez souvent par des prodiges votre présence pleine d’amour; qui répandez sur nous vos bienfaits, rendant la santé aux malades, la vue aux aveugles;
Nous vous invoquons avec respect et tendresse. Soyez toujours la gardienne de nos foyers. Obtenez-nous la grâce d’une vie très pure, la confiance filiale envers notre Père du Ciel, dans la joie de vivre près de Lui; apprenez-nous à Le servir à votre exemple.
Conservez à nos fils la foi de nos aïeux ; et faites luire la lumière de l’Évangile aux yeux de tous ceux qui sont encore loin du Christ.
Que par vous notre France demeure la terre de la piété profonde et de la vertu généreuse.
Sainte Tarcisse. priez pour nous.
L’église de Rodelle
Construite sur l’emplacement de la Chapelle du Château, édifiée en 1221, dédiée à St-Michel, détruite en 1611, elle est classée au titre des monuments historiques.
Il faut remarquer :
– son Choeur Roman avec son arc triomphal porté par des chapiteaux à entrelacs,
– ses peintures murales du XIIIème mises à jour en 1980.
La pietà dite « Notre-Dame de Pitié » est un groupe en pierre du XVème
Ce type de sculpture correspond au style flamboyant en architecture, révèle l’influence de la spiritualité de St-François d’Assise vers une piété plus humaine et plus charnelle d’une puissance expressive inégalée.
La pietà de Rodelle est une des plus remarquables
La Vierge ne porte pas le Christ à demi étendu et prêt à être couché dans le sépulcre. La Vierge reçoit sur ses genoux le corps supplicié du Christ dont les veines tendues saillent affreusement.
Les mains jointes, les paupières baissées s’inclinent vers le coeur qui a cessé de battre.
St-Jean prostré tient la nuque à deux mains, sur un genou relevé et adore la Sainte Face.
Madeleine, écroulée, étreint un pied qu’hier elle embaumait d’aromates et pleure sur le stigmate du clou.
Il faut admirer la beauté des détails :
– les plis détaillés de la robe,
– la chape géométrique du voile,
– le visage étreint d’une douleur sans larme.
Se rendre à Rodelle :
Les pèlerins qui viennent de loin peuvent prendre leur repas sur réservation à l’Auberge du Roc, 12340 RODELLE, tél. 05 65 44 93 43.